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Un pharmacien de « rave »
Intéressé par la physiologie du cerveau et interpellé par l’usage des drogues depuis ses études, Patrick Beauverie est devenu incontournable dans le domaine des toxicomanies. A 39 ans, ce praticien hospitalier (hôpital Paul-Guiraud, Villejuif), spécialiste en neuropsychopharmacologie, est responsable de l’analyse des drogues pour Médecins du monde. Rencontre.
Pourquoi cet attrait inconditionnel pour le cerveau ? « Qui dit cerveau dit absence de maîtrise. Et justement, j’aime bien les difficultés ! », explique Patrick Beauverie. Sa soif de connaissances lui vaut, entre autres, l’obtention d’un DU de neuroendocrinologie, d’une maîtrise de sciences biologiques et d’un DEA de neurosciences. Son savoir dans le domaine de la psychopharmacologie le mène jusqu’à l’Afssaps où, depuis 1999, il est membre de la commission nationale des stupéfiants et des psychotropes
Les défis scientifiques ne font pas peur à ce spécialiste en neuropsychopharmacologie. Au contraire, il se passionne pour « les friches », comme il dénomme les domaines où tout reste à explorer. C’est donc tout naturellement, après son internat en 1993, qu’il accepte le poste d’assistant spécialiste au sein du premier centre méthadone extrahospitalier : la clinique Liberté à Villejuif. « Nous servions de modèle expérimental au niveau national. A l’époque, la méthadone n’était pas encore perçue comme un médicament. » Peu de temps s’en fallut, puisque ce produit reçut son AMM en 1995. En partie grâce à l’intervention de notre pharmacien qui rédigea la partie préclinique du dossier (sous la direction du Pr Christian Jacquot).
Le vaste champ de la toxicomanie, il l’a traversé lors de son expérience officinale estudiantine, hors des sentiers battus : pharmacien de nuit au Drugstore Saint-Germain à Paris.
Flash-back. 1983, l’épidémie de sida débutait. « Le quartier de la rue de Rennes comptait de nombreux prostitués masculins dont la plupart étaient des usagers de drogue », raconte Patrick Beauverie. Attentif à leurs problèmes, c’est avec eux qu’il met en place un distributeur de préservatifs. C’est pour eux qu’il transgresse la loi en vendant librement des seringues. « Je ne faisais qu’exercer mon rôle d’acteur en santé publique, pour limiter la propagation du VIH. » Trois nuits par semaine (les jours où Patrick Beauverie travaillait), l’officine sortait les seringues de leurs sachets hermétiques.
Il participe à la mise au point des Stéribox
Notre pharmacien n’a fait que devancer le décret de 1987 autorisant l’achat de seringues sans ordonnance. Une disposition qu’il juge trop tardive mais qui lui permit de participer, avec l’association Apothicom, à la mise au point des kits Stéribox. Son rôle : s’assurer de la compatibilité des biomatériaux. « Il faut par exemple trouver la porosité idéale du filtre pour qu’il puisse retenir les impuretés mais laisser passer la drogue », explique-t-il en montrant sa collection de Stéribox dont le premier, illustré par Wolinski, ne fut jamais mis en circulation car jugé trop osé.
Au fil de ses années d’études, Patrick Beauverie perd le contact avec la cité, carrière hospitalière oblige. Mais en 1999, il rejoint Médecins du monde. Responsable de l’analyse des drogues, il anime pour les missions Rave un vaste dispositif sanitaire mis en place pour identifier les drogues de synthèse (substances stimulantes type amphétamines, empathogènes type ecstasy ou hallucinogènes type LSD). Dans un but précis de santé publique : documenter l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies. Mais aussi pour responsabiliser les usagers par rapport à leur consommation.
Collecte de drogues dans les raves
Première étape, la collecte des drogues dans les raves. « Nous sommes là pour témoigner et interpeller, il ne faut pas se séparer de notre jeunesse », revendique-t-il. D’autant qu’une partie de cette jeunesse ne sait pas faire la fête sans produits. Une jeunesse qui s’éclate sous l’emprise de l’ecstasy mais qui n’hésite pas à faire analyser ses comprimés en pleine « free party » sur les stands de « testing » mis en place par Médecins du monde.
« Ainsi, nous pouvons entrer en contact avec les usagers de drogue et amorcer le dialogue. Il m’arrive souvent de converser pendant trois heures durant avec des consommateurs », raconte Patrick Beauverie, plongé dans l’univers des « teknivals », où il n’existe pas de frontières entre « teufeurs » et intervenants de Médecins du monde. Si le testing permet de déceler des faux comprimés d’ecstasy en trois à quatre minutes, cette simple réaction colorimétrique de Marquis ne conduit pas à une analyse qualitative de la drogue. Il faut pour cela réaliser une chromatographie sur couche mince dont les résultats sont affichés sur les stands en quarante à cinquante minutes.
Face à la variabilité de la composition des comprimés d’ecstasy rencontrés, les missions Rave ont poussé encore plus loin leurs analyses avec la mise au point du Système d’identification national des toxiques et des substances de synthèse (SINTES). De Superman à Pemon, les noms fantaisistes de comprimés ne manquent pas ! « Le danger réside dans l’apparition de nouvelles molécules particulièrement dangereuses et sur le risque, évalué à 1 %, de rencontrer des principes actifs hallucinogènes », relate l’expert.
Et côté drogues de synthèse, la chimie clandestine se développe. SINTES dénombre 300 molécules. A chaque nouvelle drogue, un nouvel effet. L’analyse des produits est réalisée dans deux laboratoires (Marseille et Fernand Widal). En quatre semaines, les résultats qualitatifs et quantitatifs (des échantillons jugés particulièrement dangereux) sont rendus publics sur les stands. Objectif : informer les usagers mais aussi initier si nécessaire des alertes sanitaires. Mission réussie puisque depuis la création de SINTES, il y a deux ans, les risques intrinsèquement liés aux produits diminuent. « Nous rencontrons beaucoup moins de comprimés d’ecstasy renfermant des médicaments, des substances hallucinogènes ou des amphétamines, assure Patrick, chiffres à l’appui, comme si les messages passés aux usagers étaient arrivés aux oreilles des producteurs et des dealers. »
Son combat : dépénaliser l’usage du cannabis
Patrick Beauverie se déplace tous les deux mois sur les six missions Rave de Médecins du monde (Paris, Strasbourg, Bayonne, Lyon, Montpellier, Nice), sur lesquelles repose le projet SINTES. Et il ne cache pas sa satisfaction. « Ce projet mis en place par Médecins du monde et unique à l’échelle internationale constitue une fantastique parade contre l’abus des drogues », assure-t-il.
Au-delà de l’oeuvre sanitaire, la dimension humaine a fortement marqué Patrick. « Je rencontre au sein de Médecins du monde des personnalités passionnantes, des gens qui donnent », confie-t-il, tout en considérant son expérience comme une parenthèse dans sa carrière. « L’an prochain, j’arrête, mais pas avant la rédaction d’une motion en vue de la légalisation contrôlée du cannabis. »
Sa grande bataille est de dépénaliser l’usage du cannabis dans un cadre de loi bien précis abordant la question du cannabis au travers une éducation à la santé, interdisant la vente aux moins de seize ans, avec la mise à disposition d’alternatives thérapeutiques pour le sevrage.
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