Quand l’observance religieuse influe sur l’observance médicale

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Publié le 9 mars 2002
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Anthropologue à l’INSERM, Sylvie Fainzang a publié aux Presses universitaires de France « Médicaments et société », reflet de cinq années d’observation des attitudes des patients à l’égard de leurs traitements. Objectif : analyser leurs différents comportements, avec comme critère de comparaison l’origine religieuse des malades.

Catholiques, musulmans, protestants ou juifs, nos comportements de patients sont étroitement liés à notre origine culturelle et religieuse. Ainsi, chacun réagira d’une manière particulière devant son médecin ou son pharmacien et l’observance du traitement variera en conséquence. Pour en arriver à cette conclusion, Sylvie Fainzang a observé cinq années durant une population d’environ 180 personnes de toutes catégories socioprofessionnelles, âges et sexes. En milieu hospitalier mais aussi au domicile des malades, en s’immisçant dans la vie privée de ceux qui ont accepté de collaborer sous la garantie de l’anonymat. « Athée ou croyant, tout individu est marqué, souvent de manière inconsciente, par des valeurs transmises de génération en génération qui se retrouvent dans la manière dont il appréhende les traitements. »

Bien entendu, il faut réserver à ces observations la place qu’elle mérite puisque bien d’autres facteurs interviennent dans la manière de se soigner : le niveau socioculturel, la personnalité, le vécu, la profession… Pourtant, de grandes tendances comportementales se dessinent. « Globalement, les catholiques s’en remettent volontiers au savoir des professionnels de santé. Les musulmans également, mais à un degré plus élevé. Ils obéissent scrupuleusement aux conseils de leur médecin, et, dans une moindre mesure, à ceux du pharmacien, résume Sylvie Fainzang. Quant aux personnes d’origine juive, elles sont plus critiques vis-à-vis des prescriptions et valorisent la discussion avec les acteurs médicaux. La culture protestante s’inscrit, elle, dans un désir d’autonomie. »

Quelle que soit la religion, on se méfie des psychotropes

Mais l’anthropologue a également ouvert les tiroirs des patients qu’elle a interrogés, et découvert que les protestants rangent leurs médicaments dans le tiroir de leur table de nuit et que les catholiques les placent dans le buffet de la salle à manger, quasiment offerts à tous. « Dans les familles catholiques, on aime faire partager à ses proches les traitements que l’on a essayés pour soi-même. A l’inverse, chez les protestants, on considère que le traitement est le problème de chacun. Les protestants font une lecture plus individualiste de la prescription, tout comme ils ont une gestion plus individualiste du mal. »

L’auteur note également que chez certains protestants, on détruit souvent l’ordonnance après l’avoir recopiée. Un peu comme s’ils s’appropriaient l’acte de prescription. « Cette volonté de ne pas se soumettre à l’autorité (même médicale) est à mettre en parallèle avec la volonté protestante d’affirmer sa responsabilité et son libre arbitre », analyse Sylvie Fainzang, qui s’est aussi arrêtée sur la prise de psychotropes. Là, les comportements se rejoignent, avec une constante, quelle que soit l’histoire personnelle des patients : la réticence. Par crainte de prise de poids (catholiques), de dépendance (protestant) ou de perte de mémoire pour les personnes d’origine juive chez qui le culte de la mémoire est omniprésent.

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L’aspirine suscite une totale confiance

Pour les musulmans, les psychotropes ont des effets néfastes pour le corps. « Avec ces traitements, ils craignent de perdre toute responsabilité et de basculer dans la folie », explique Sylvie Fainzang. A l’inverse des psychotropes, l’aspirine suscite une totale confiance. Cette molécule représente pour les patients de toute confession « le médicament par excellence » à qui l’on attribue toutes les vertus thérapeutiques. Aux pharmaciens de prêter attention aux aspirations de leurs patients.

Sirops et pommades, attention danger !

« Beaucoup de patients considèrent avec désinvolture les sirops, affirme Sylvie Fainzang. Leur bon goût sucré fait oublier leur statut de médicament. » La preuve, ils se retrouvent souvent rangés à côté des… confiseries. Mi-médicaments, mi-bonbons, leur posologie est assez aléatoire et ils sont donc administrés à la demande. « Lorsqu’un enfant tousse, on lui propose « un peu de sirop », histoire de le réconforter », ajoute-t-elle. Heureusement, cette attitude particulièrement désinvolte vis-à-vis des sirops antitussifs ne s’applique pas avec les antibiotiques présentés sous cette même forme galénique. Du côté des pommades, « trop assimilées aux crèmes cosmétologiques », on retrouve le même problème d’utilisation désordonnée. Une confusion qui, selon Sylvie Fainzang, est entretenue par le « mélange des genres » en officine. A méditer.

Des médecins prêts à changer leurs pratiques

Si 75 % des médecins de ville ne posent jamais à leurs patients la question de leur confession religieuse, 67 % des libéraux affirment avoir été confrontés à une situation dans laquelle les convictions religieuses du patient ont interféré avec leur pratique médicale et les prescriptions qui en découlent. C’est ce qui ressort d’une enquête réalisée par le site MedHermes (medhermes.fr) du 1er à 4 février 2002 par questionnaires envoyés par courriel auprès de 770 praticiens. 34 % d’entre eux regrettent de ne pas être assez informés des pratiques ou des préceptes religieux concernant le corps, et 53 % expliquent qu’ils modifieraient leurs pratiques et leurs comportements s’ils connaissaient les actes de nature à heurter la sensibilité religieuse de leurs patients.

Le recours au médicament est étroitement lié au statut social

Lors de son enquête « Santé, soin et protection sociale » menée en 2000 et publiée en janvier dernier, le Centre de recherche, d’études et de documentation en économie de la santé (CREDES) a étudié la consommation mensuelle de produits pharmaceutiques chez un groupe représentatif (20 000 personnes) de l’ensemble des ménages français. Résultats.

Ce n’est pas une surprise : l’état de santé est le premier déterminant de la consommation pharmaceutique. Le taux de consommateurs de pharmacie au cours du mois étudié est 2,6 fois plus élevé chez les sujets présentant un risque important sur le plan vital que chez ceux ne présentant aucun risque, et il passe de 24 % chez les personnes n’ayant aucune gêne ou une gêne infime à 67 % chez celles dont l’activité est restreinte. Le niveau social pèse, évidemment, beaucoup sur la consommation de médicaments. Un tiers des ménages d’artisans-commerçants et d’ouvriers ont acquis au moins un médicament en un mois contre plus de 40 % des ménages d’employés administratifs, de professions intermédiaires ou de cadres supérieurs, qui s’avèrent les plus gros consommateurs (44 %). Les personnes ayant fait peu d’études, les bénéficiaires de la CMU, du RMI et celles qui ont de bas revenus consomment nettement moins de pharmacie : le taux de consommateurs est de 33 % mais de 29 % chez les personnes déclarant ne pas avoir de couverture complémentaire maladie. Sur le mois étudié, ils ne sont que 8 % à avoir acquis des médicaments non prescrits. « Ce type d’acquisition est fortement influencé par le milieu social, mais aussi par le niveau d’études ou le revenu », note le CREDES. Le taux de consommation est multiplié par 3 chez les personnes qui disposent des revenus les plus élevés. Les acquisitions les plus fréquentes concernent les antalgiques (28 %) et les médicaments de l’appareil respiratoire (24 %). Enfin, si les deux tiers de la population générale connaissent le terme générique, ils ne sont que 51 % dans les ménages d’employés de commerce et d’ouvriers qualifiés, et 31 % chez les ouvriers non qualifiés.

N.F.