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Peut-on faire une croix sur la pharmacie?
Partagés entre le devoir de porter assistance à une personne en danger et le respect du libre choix des patients, les professionnels de santé se trouvent confrontés aux exigences des pratiques religieuses en matière de soins et de traitements. L’enjeu est de taille : respecter les croyances de chacun dans les limites de la laïcité, au bénéfice de la prise en charge des malades.
Le débat autour de la laïcité a mis en exergue la radicalisation des pratiques religieuses à l’école mais aussi à… l’hôpital. Selon l’Académie de médecine, de plus en plus de femmes de confession musulmane refusent d’être examinées par un gynécologue de sexe masculin. Un refus qui s’étend parfois à l’accouchement et à l’anesthésie péridurale.
« Des intégristes qui posent un réel problème ? On en a une centaine sur deux mille deux cents accouchements par an. C’est peu mais épuisant à gérer », confiait au Monde en décembre dernier le Pr Daniel Raudrant, du service maternité de l’hôtel-Dieu de Lyon. « Toutes les religions acceptent la pratique des examens par une personne du sexe opposé en cas d’urgence, la pudeur passe au second plan, nuance Isabelle Lévy, auteur de plusieurs ouvrages* sur les soins et les croyances et formatrice sur ces questions en milieu hospitalier. En revanche, toute femme peut demander à être suivie en consultation prioritairement par une femme et aucune secrétaire n’a droit de le lui refuser. »
Le cas particulier du ramadan.
Combien d’incidents consécutifs à des impératifs religieux ont été réellement recensés dans les hôpitaux ? Nul ne le sait, mais les soignants sont de plus en plus soucieux face aux demandes singulières des patients. « Ils ne savent plus dans quelles limites ils peuvent agir. L’actualité a mis en avant des exemples peu courants en gynécologie, concernant des minorités extrémistes, alors qu’il existe depuis des années des problèmes au quotidien, le plus fréquemment en rapport avec l’alimentation ou la toilette funéraire. Et dans la plupart des cas on trouve le juste équilibre entre les croyances et l’organisation des soins », poursuit Isabelle Lévy.
Si la religion est avant tout une affaire privée et ne doit pas dicter ses lois dans les établissements publics (l’IVG se pratique depuis des années…), peut-elle tout de même intervenir dans le choix des thérapeutiques ? La réponse est claire : presque toutes les croyances placent le respect de la vie avant toute autre considération. Elles autorisent donc à transgresser les interdits, en particulier alimentaires, dans l’intérêt du malade. « Aucun texte n’interdit le recours à des médicaments non halal [conformes au rite musulman, NdlR] si nécessaire, et c’est même une obligation lorsque la vie est en danger, mais nous consommons prioritairement des médicaments sans alcool et d’origine végétale quand nous avons le choix », précise Hocine Rais, directeur des affaires culturelles à la mosquée de Paris et professeur de droit musulman à Paris-V.
Cependant, les exigences du ramadan peuvent modifier le cours des maladies chroniques, les pharmaciens sont alors confrontés à des patients mal informés ou pratiquants à l’extrême, s’obstinant à observer le jeûne au détriment de leur santé. « Pourtant, la devise de l’islam est de guérir avant de jeûner ! », martèle Hocine Rais.
En effet, le Coran recommande l’exonération du ramadan pour traiter une maladie grave. En pratique, les personnes souffrant de certains diabètes (lire page 18), d’épilepsie non contrôlée, d’ulcères évolutifs, de maladies cardiovasculaires et d’asthme non stabilisé sont dispensées de jeûner. Attention aussi aux insuffisants rénaux car la privation de boissons entraîne la diminution de la filtration glomérulaire !
Un « Vidal » des médicaments casher.
Qui dit ramadan n’interdit pas pour autant tous les médicaments, seules les voies orale et intraveineuse à but de nutrition parentérale sont prohibées. Tous les autres modes d’administration sont possibles, y compris les comprimés sublinguaux. Une prise unique le soir (à la rupture du jeûne) reste évidemment la solution idéale ! Il semble utile d’insister sur les dangers que pourraient provoquer le « rattrapage » de toutes les prises médicamenteuses au moment de la rupture du jeûne.
Autre préoccupation des musulmans, mais aussi des juifs, des bouddhistes et des hindouistes : l’origine végétale de la gélatine des gélules. Les uns pour des raisons de certification des viandes, les autres parce qu’ils sont végétariens. Si l’épisode de la vache folle a évincé les composants animaux, rien ne le prouve sur les boîtes. « Je regrette vraiment que la nature de la gélatine soit précisée pour certains compléments alimentaires et non pour les antibiotiques », lance à ce propos Isabelle Lévy.
Pour mettre fin aux interrogations des patients juifs pratiquants, le Dr Gilles Assuied a décidé d’éditer un guide des médicaments cacher, ou plus exactement autorisés par le conseil des rabbins orthodoxes de Paris. Créé en 1997, le Médiel est désormais diffusé gracieusement à 15 000 professionnels de santé (dont 5 000 pharmaciens) et il est téléchargeable sur Internet. Ce guide, dont la version grand public est en cours d’élaboration, est directement financé par les laboratoires. Mais il ne suffit pas de payer (environ 1 300 euros par produit) pour figurer dans le Médiel. La composition, au vu des renseignements fournis par les fabricants, est ensuite passée au crible par des chimistes et des rabbins. Evidemment, cette liste n’est pas exhaustive et est renouvelée chaque année (l’édition 2004 accueille certains laits infantiles).
En résumé, un médicament ne répond pas aux règles de la cacherout (l’ensemble des lois alimentaires de la religion juive) s’il contient des ingrédients d’origine animale non cacher (porc, animaux sans sabot fendu, poisson sans écailles, animal non vidé de son sang à l’abattage) en quantité supérieure au 1/60 et s’il est exempt d’alcool de vin.
Dans ces conditions, les médicaments homéopathiques (tous les unitaires) des laboratoires Dolisos et Boiron ont été reconnus cacher par le rabbinat de France (haute dilution des souches, alcool des teintures mères provenant des betteraves). « En cas de doute sur la composition d’un médicament, il est préférable de conseiller une forme neutre et sans goût (comprimé plutôt que sirop ou ampoule), dont on ne tire aucun plaisir et qui s’éloigne de la notion d’aliments », indique Gilles Assuied. Pas toujours évident pour un professionnel de santé non informé de s’y retrouver…
Si la santé passe en principe avant toute religion dans les cas graves et chroniques, comment doivent réagir les pharmaciens devant le refus d’un médicament vital ? Imposer, certainement pas ! Expliquer, certainement. Contacter le médecin, sûrement. Se mettre en relation avec l’autorité religieuse concernée, souvent amenée à déculpabiliser les patients, nécessairement. Du dialogue et de la communication jaillit souvent la lumière…
* « Croyances et laïcité » (éditions ESTEM, 2002), « Pour comprendre les pratiques religieuses des juifs, des chrétiens et des musulmans » (éditions Les Presses de la Renaissance, 2003).
Diabète et ramadan
Changements d’horaires et d’alimentation (tendance à manger plus de sucres, de graisses et moins de fruits et légumes), la période du ramadan ne facilite pas l’équilibration de la glycémie. Selon la conférence de consensus « Diabète et ramadan », le jeûne n’est permis qu’aux diabétiques de type 2 bien équilibrés et indemnes de toute complication dégénérative.
Mais certains patients sous insulinothérapie peuvent être réfractaires à ces recommandations. Il s’avère alors nécessaire d’en avertir le médecin car les doses d’insuline doivent être diminuées, l’apport alimentaire ayant lieu au moment où les dépenses énergétiques sont les plus faibles.
Le patient diabétique effectuant le jeûne doit :
– conserver la ration calorique habituelle ;
– effectuer des autocontrôles glycémiques plusieurs fois par jour ;
– stopper le jeûne si la glycémie est trop basse ;
– bien prendre les hypoglycémiants au cours d’un repas pour éviter les risques d’hypoglycémie.
Réaction : Éric, préparateur à la Pharmacie de la Plaine de Neauphle à Trappes (78)
« Parmi notre clientèle de religion musulmane, nous avons affaire à près de 10 % d’extrémistes qui se montrent très exigeants. Ils demandent systématiquement des sirops sans alcool et il y a toujours une méfiance vis-à-vis des gélules. Par exemple, ils prendront l’amoxicilline en sachets à la place des gélules prescrites. Mais c’est pendant la période du ramadan que leurs exigences peuvent vraiment nuire à leur santé. En particulier pour les personnes atteintes de maladies chroniques qui stoppent leurs traitements durant la journée. La plupart du temps, elles ignorent les vraies règles de la religion. Je suis moi-même musulman et je me permets de leur apporter le Coran pour leur demander où se trouve la recommandation de pratiquer le jeûne dans leur cas. Ils reconnaissent leurs torts mais font malheureusement ce qu’ils veulent, une fois qu’ils sont partis. Je connais une femme diabétique traitée par insuline qui chaque année stoppe ses injections pendant le ramadan et se retrouve systématiquement à l’hôpital au bout du douzième ou quinzième jour… C’est désespérant, mais heureusement cela ne concerne qu’une minorité. »
Réaction : Raphaël elalouf, titulaire à Paris (75013)
« Notre clientèle est majoritairement asiatique. Je n’ai pas constaté d’interdits médicamenteux particuliers. La méfiance envers les produits d’origine animale, et notamment envers la gélatine, n’est pas plus marquée qu’ailleurs. Et contrairement à une idée reçue, je ne vends pas de produits phytothérapiques en très grande quantité (les bouddhistes étant végétariens). En revanche, j’ai dû adapter mon stock en fonction de certaines habitudes de consommation, plus liées à la culture asiatique qu’à la religion elle-même. Ainsi, les produits diététiques pour les régimes amincissants n’ont aucun succès. En revanche, j’ai beaucoup de demandes d’alcool de menthe pour un usage externe. »
Médicaments et Pessa’h
A l’occasion de la pâque juive (Pessa’h), le consistoire israélite publie chaque année une liste de médicaments autorisés pendant cette période particulière où, en sus des règles régissant l’alimentation cacher, il est interdit de consommer, de garder ou de tirer profit du « hamets » (blé, orge, avoine, épeautre et seigle, tous fermentescibles).
« Nous attachons une attention particulière aux excipients et aux additifs qui peuvent provenir d’amidon de blé, tels le sorbitol, le mannitol, l’acide citrique ou le glucose, explique Gilles Tapia, pharmacien responsable de la liste des médicaments cacher au sein du consistoire. Pour cela, nous n’hésitons pas à demander de nombreuses informations aux laboratoires. Toutefois les marques que nous indiquons ne sont certainement pas les seules autorisées, tout comme les médicaments, mais nous ne pouvons pas passer au crible tous les produits. » Cette liste, distribuée sur demande, s’étoffe chaque année. Elle inclut les laits infantiles et certains produits cosmétiques, à la grande surprise de Marie, pharmacienne adjointe à Paris, qui ne comprend pas pourquoi les religieux lui demandent une marque particulière de fard à paupières. Réponse de Gilles Tapia : « Les poudres entrant dans la composition de produits de maquillage peuvent contenir des protéines de blé. »
Réaction : vincent viel, titulaire à Aix-les-Bains (73)
« Je suis installé depuis 10 ans au coeur d’un quartier où réside une branche de la religion juive très orthodoxe. J’ai des demandes très pointues à propos de l’origine de l’alcool ou de la gélatine entrant dans la formule des médicaments. Le Médiel ne suffit pas toujours, il faut souvent une réponse écrite de la part des laboratoires et je ne peux malheureusement pas garantir la provenance de tous les produits. Par exemple, impossible de la préciser exactement en ce qui concerne les capsules d’huiles de poisson, car seuls ceux sans écailles sont autorisés par la religion juive. Je fais beaucoup de recherches sur la composition des médicaments d’automédication, et même de certains produits cosmétiques. Etant catholique et passionné par l’histoire des religions, j’estime que c’est une façon enrichissante d’exercer mon métier. Les fabricants me connaissent ! Je sais maintenant que le seul stick à lèvres cacher garanti sans graisse animale est le Dermophil Indien…. Mais je dois aussi gérer le refus de certaines prescriptions et m’efforcer de convaincre. Dans les cas totalement réfractaires, c’est le rabbinat – avec qui j’ai de très bons rapports – qui tranche en dernier recours. »
L’hindouisme
Interprétation de la maladie « Fantôme habitant l’individu, suite aux erreurs dans la vie antérieure. »
Représentation des médicaments
Pratiquement inexistante puisqu’il faut souffrir pour « améliorer le kharma des existences à venir ».
Signes particuliers
Pas de demande spontanée de médicaments.
Le bouddhisme
Interprétation de la maladie « Envol des âmes habituellement dispersées dans le corps. »
Représentation des médicaments
Dévalorisés face à la place prépondérante de la prière.
Signes particuliers
Peu de recours aux médicaments.
Le catholicisme
Interprétation de la maladie « Moyen de rédemption en référence à la passion du Christ. »
Représentation des médicaments
Considérés comme une contrepartie sécularisée de la maladie.
Signes particuliers
Grosse consommation de médicaments.
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