L’Ordre fixe la barre à cinq officines

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Publié le 31 janvier 2004
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La présidente de la section A, Isabelle Adenot, a présenté lundi les propositions de l’Ordre liées à l’adaptation de la loi MURCEF. La notion de société de participation financière, ou holding, introduite par la loi en ressort gommée. Restent des outils qui favoriseraient les regroupements d’officines.

Isabelle Adenot souhaiterait ne plus entendre parler de chaînes ni de restructuration à propos du réseau pharmaceutique. Car, selon elle, il y a dans ces termes « de quoi faire paniquer les confrères. Or ils devraient au contraire être rassurés quant aux condition de rationalisation du réseau ». Un souhait qui va bien au-delà de la simple sémantique puisque la proposition de l’Ordre, à l’issue de ses consultations(1) sur la loi MURCEF(2) et de son analyse du rapport Daigre sur le même sujet (voir Le Moniteur n° 2507), tend à empêcher de fait toute constitution de chaînes ne serait-ce que sous la forme d’« enseignes intégrées ».

Non aux « financiers en cascade » !

Dans son idée de regroupement, « une SEL pourrait posséder et exploiter en direct plusieurs sites, ou points de vente. Chaque point de vente garderait sa propre licence d’exploitation, serait placé sous la responsabilité d’un pharmacien inscrit à l’Ordre et ne pourrait être ouvert qu’avec le nombre de pharmaciens prévu selon son CA. Les pharmaciens associés se partageraient le capital de la SEL propriétaire des sites ». Et la constitution de « financiers en cascade » serait interdite, assure Isabelle Adenot. De plus, un tel regroupement ne serait possible que dans une zone géographique (département plus communes limitrophes d’un site). Avantages : « réaliser des économies d’échelle tout en gardant le maillage en officines » et minimiser un risque économique lié à l’un des sites (départ d’un médecin…). En outre, l’Ordre refuse que ces structures apparaissent sous une même bannière type enseigne. Enfin, il limite l’entrée dans le capital à la profession, titulaires et adjoints. Reste que ce projet nécessiterait notamment une intervention législative pour modifier la loi MURCEF (qui prévoit, elle, qu’une société de participation financière de profession libérale, la holding, pourrait investir dans un nombre illimité d’officines).

On s’en doute, ce projet est bien en deçà de l’ambition de certains groupements désirant développer une politique d’enseigne : « Si l’on caricature, la copie de l’Ordre raye du paysage les sociétés de participation financières introduites par la loi MURCEF, note Gilles Brault-Scaillet, président du Collectif des groupements. Une limitation qui nous paraît être une erreur. » Plus encore que cette limitation, c’est le refus ordinal de voir une enseigne investir directement dans des officines qui heurte ces groupements. « Plutôt que de voir de vastes enseignes incontournables et économiquement fortes, avec possibilité pour les confrères d’intégrer celle de leur choix, on va privilégier des baronnies locales à la tête de cinq pharmacies. Or rien ne garantit qu’elle ne seront pas infiltrées par l’extérieur financièrement parlant. »

Briser un tabou.

Une position à l’opposé de celle de la FSPF, qui n’a jamais vu la loi MURCEF d’un bon oeil. « Ce n’est pas le bon véhicule législatif pour résoudre nos problèmes », affirme Bernard Capdeville, pas plus convaincu que cela par la proposition ordinale : « Je n’irais pas jusqu’à cinq officines détenues par une SEL. A cet égard, personne n’a réellement évalué si ces types d’organisation apporteraient de véritables économies d’échelle ou si cela permettrait plus facilement l’entrée des adjoints dans le capital. Je demande à voir. En tout cas, on risque toujours les mainmises à but financier d’un certain nombre de confrères. » Patrice Devillers, président de l’USPO, se veut un peu moins réticent : « La position de l’Ordre est sage. La création de holdings de pharmacie ne se justifiait pas pour la profession, mais il est évident que les pharmaciens ne peuvent plus vivre en sociétés unipersonnelles. Reste à étudier les effets, encore flous, des regroupements, des fusions… »

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On retrouve ces flottements au niveau des prévisions de calendrier : quelques mois pour l’Ordre, un trimestre au maximum pour le Collectif des groupements, dans l’année pour l’USPO, quant à la Fédération, il semble qu’il lui paraisse urgent de ne pas se presser. Prochaine étape, une nouvelle concertation engagée par l’Ordre avec tous les représentants professionnels. « On va rediscuter mais l’Ordre a la main sur ce dossier, précise Gilles Brault-Scaillet. Nous nous réservons toujours le droit de mettre en place des actions. » Tant il est vrai qu’en France le lobbying se fait mais ne se dit pas.

En attendant, l’Ordre avance un autre outil pour « rationaliser » le réseau, la fusion : « Un regroupement géographique et matériel concentrant deux fonds en un seul lieu avec fusion des deux licences d’exploitation en une seule, explique Isabelle Adenot. La nouvelle entité peut se placer soit sur l’un des deux emplacements, soit dans un nouveau lieu. Dans ce dernier cas, la fusion est légalement prioritaire sur un transfert et, a fortiori, une création. » Pour cela, l’Ordre prône la levée de l’interdiction de cession dans les cinq ans suivants, la levée de l’obligation de maintien du nombre de pharmaciens (la nouvelle entité serait soumise au quota normal en fonction du CA), l’autorisation de regrouper plus de deux officines, la possibilité de fusionner des officines de communes limitrophes, et surtout la levée des freins fiscaux actuels. Avec de sérieuses discussions interministérielles en perspective.

(1) Ont été associés les quatre syndicats, des groupements pris individuellement, le Collectif des groupements, l’APR, l’ensemble de l’Ordre…

(2) Qui, depuis deux ans et demi, doit faire l’objet d’un décret d’application pour l’officine, élaboré par la profession.

Compte courant associé = danger

Tout sécurisés qu’ils soient, les regroupements sous forme d’une société (SEL) exploitant jusqu’à cinq officines pourront toujours présenter un danger majeur récurrent en officine : la faiblesse de capitaux propres. Dans ces conditions, ce sont les comptes courants d’associés qui assurent le financement. Or le capital, c’est ici le pouvoir, et si ces comptes courants ont été limités par décret (23 juillet 1992) « pour préserver l’indépendance professionnelle de l’exploitant » (comptes limités à deux fois la part de capital pour l’associé exerçant et à une fois pour le non-exerçant), Isabelle Adenot note que de nombreux détournements existent : pactes d’associés, contrats de prestations, conventions de prête-nom, cessions de part en blanc… Elle alerte quant à la signature de tels documents. Des cas de comptes courants associés liés à des grossistes de certaines officines ont déjà été rapportés. Or il s’agit d’une pratique formellement interdite.

Les adjoints : quand, comment ?

– Isabelle Adenot rappelle une piste qui permettrait aux adjoints d’investir dans l’officine : détenir des « parts en industrie » à côté des parts en capital. Proposition décortiquée dans le rapport Daigre commandé par l’Ordre (voir Le Moniteur n° 2507, le commentant en exclusivité). Elle y ajoute l’« intéressement ». La réflexion a été engagée sur ces points à l’Ordre. Avec certaines interrogations : selon quels critères calculer le montant de parts en industrie et le partage des bénéfices… et des pertes éventuelles ? Dans quelles conditions le pharmacien associé en industrie conserverait certains droits sociaux et fiscaux attachés au statut de salarié ?

Bernard Capdeville estime que l’entrée des adjoints dans le capital, pour nécessaire qu’elle soit, peut très bien se faire en dehors du cadre de MURCEF ! « ça se jouera au niveau de chaque entreprise, analyse de son côté Patrice Devillers. L’apport en industrie ne doit pas être le seul outil à disposition des confrères. C’est là-dessus que doit porter la prochaine expertise. A cet égard, il faudra bien réfléchir à revaloriser la rémunération des adjoints. » Ou convaincre les banquiers de leur accorder des emprunts ! Dans certaines sociétés, l’association avec un adjoint est déjà possible. Il s’agit donc d’une question de volonté et de dialogue. « Il n’y a pas que l’argent, il faudra aussi leur en donner l’envie, note Isabelle Adenot. Beaucoup se détournent de l’officine. » « Il faudra aussi que les adjoints apprennent à prendre des risques… », remarque Jérôme Parésys, président de la section D.