LA PHARMACIE CLINIQUE ENTRE À L’OFFICINE !

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Publié le 26 mai 2012
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Après l’hôpital, c’est au tour de l’officine d’ouvrir grand ses portes à la pharmacie clinique, propulsée au comptoir via les nouvelles missions confiées aux officinaux. Comment la définir et comment s’organiset-elle ? Quels bénéfices peut-on en tirer ? Explications.

La pharmacie clinique, c’est la pharmacie au lit du patient », résume Jean Calop, auteur dès 1985 d’un ouvrage sur le sujet (1). Professeur de pharmacie clinique et praticien hospitalier au CHU de Grenoble, il est l’un des pères fondateurs de la pharmacie clinique en France. Si cette définition est étymologiquement évidente, puisque « clinique » vient du mot grec klinè (« lit »), elle mérite toutefois quelques explications, surtout lorsqu’on envisage de la transposer à l’officine. La pharmacie clinique a pour but l’optimisation du traitement pour un patient donné. Sa première définition date de 1961 et met en avant le rôle intellectuel du pharmacien : « La pharmacie clinique consiste en l’utilisation optimale du jugement et des connaissances pharmaceutiques et biomédicales du pharmacien dans le but d’améliorer l’efficacité, la sécurité et la précision selon laquelle les médicaments doivent être utilisés dans le traitement des patients. »

Tout a commencé avec la 5e année hospitalo-universitaire

Si la pharmacie clinique est née en Amérique du Nord dans les années 60, c’est pour répondre à un besoin : à l’époque, plusieurs procès faits aux médecins américains mettaient en évidence la mauvaise gestion des thérapeutiques médicamenteuses et la nécessité d’y remédier en s’appuyant sur les compétences du pharmacien. Rapportée du Québec par Jean Calop dans les années 80, la pharmacie clinique s’est d’abord implantée en milieu hospitalier grâce à la réforme des études de pharmacie de 1984 qui instaurait la 5e année hospitalo-universitaire. Désormais, tous les étudiants étaient sensibilisés à la pharmacie clinique avant d’exercer leur métier de pharmacien en ville. « A l’hôpital, faire de la pharmacie clinique, c’est essayer d’intégrer le pharmacien dans l’équipe médicale pour au final proposer éventuellement au médecin des modifications dans les rapports coût/efficacité et risques/bénéfices de certaines prescriptions », explique Jean Calop.

La pharmacie clinique s’appuie en premier lieu sur la validation de la prescription (détection des contre-indications physiopathologiques, vérification des interactions éventuelles, des posologies, des effets indésirables incontournables). Cette partie n’est rien d’autre que le cœur de métier de tout pharmacien. Mais la pharmacie clinique s’intéresse aussi au patient et aux relations que celui-ci entretient avec son traitement médicamenteux puisqu’une optimisation thérapeutique peut ensuite être proposée au patient pour gérer certains effets indésirables, ou préciser certaines mises en garde ou précautions d’emploi dans les rythmes de prises. Ainsi, à l’hôpital, le pharmacien clinicien (lorsque c’est possible avec les étudiants de 5e année hospitalo-universitaire) recense l’ensemble des médicaments pris par le patient lors de son admission, évalue l’observance, analyse les traitements prescrits et essaie de déterminer si l’hospitalisation n’a pas une origine iatrogène médicamenteuse ; il peut alors rédiger une synthèse pour le médecin hospitalier et intervenir auprès du patient. « L’aspect “connaissance du patient” est très important et cela implique de s’intéresser à la personne dans sa dimension socio-économique, culturelle, psychologique et dans ses croyances et représentations, ajoute Jean Calop. Un médicament ne sert à rien s’il n’est pas pris ou mal pris. »

La pharmacie clinique nécessite la constitution d’un dossier patient répertoriant les connaissances sur ce dernier, sur tout ce qui peut influencer son traitement, améliorer l’observance et la tolérance, faciliter la gestion des effets indésirables. « Le suivi est une étape importante, il permet de répondre à la question : ce qui a été prescrit est-il efficace ? », souligne Jean Calop. Si le traitement n’atteint pas son objectif, il faut essayer de trouver pourquoi. Ainsi, la pharmacie clinique peut mener à réaliser un ajustement de stratégie thérapeutique en fonction des effets observés chez le patient. Ces objectifs et ces tâches sont encore loin de constituer une routine en milieu hospitalier et les avancées restent lentes. La relation médecin-pharmacien de proximité est cependant plus facile à l’hôpital et les interventions pharmaceutiques scientifiquement validées sont plus faciles à transmettre et donc acceptées.

Optimiser le traitement aux ordonnances de ville

Optimiser le traitement à l’hôpital, là où les pathologies traitées sont les plus lourdes et l’équipe pluridisciplinaire la plus facile à réunir, est déjà un grand pas en avant. Mais, que ce soit à l’hôpital ou en ville, les patients sont les mêmes, passant alternativement d’un statut à l’autre. L’idée d’appliquer ce principe d’optimisation du traitement aux ordonnances de ville était donc logique. Avec le concours de la Société française de pharmacie clinique (SFPC), à la base purement hospitalière, tout un travail axé sur l’application de la pharmacie clinique à l’officine a été initié. « Il y a environ deux ans, les représentants de la profession officinale nous ont contactés dans le cadre de l’application de la loi HPST », rapporte Jacqueline Grassin, viceprésidente de la SFPC et responsable du comité de pilotage mis en place avec les représentants officinaux. Pour les officinaux, il s’agissait de définir les actes qui pourraient permettre d’obtenir une rémunération si des honoraires voyaient le jour. Main dans la main, SFPC et officinaux ont donc avancé en suivant quatre cas.

• Elaborer un référentiel métier

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« L’élaboration d’un référentiel métier correspond à une démarche de définition et classification des actes, essentielle car indispensable pour la mise en place de la rémunération », souligne Jacqueline Grassin. Un groupe de travail (2) a ainsi été constitué dans le but d’établir ce référentiel – dont la finalisation est prévue en juin prochain – qui « consiste à définir les tâches, activités et savoir du pharmacien d’officine et qui permettra secondairement de développer des outils d’autoévaluation afin que le pharmacien puisse se situer et mesurer ses marges de progression », précise Jacqueline Grassin.

• Rédiger un guide pour la prise en charge du patient chronique

Un autre groupe de travail (3) a élaboré un guide, sous forme de recommandations et d’outils, afin de définir la prise en charge pharmaceutique d’un patient chronique au cours de son parcours de soin. Il s’agit d’un modèle qu’il est possible d’adapter à différentes pathologies. Trois protocoles ont été définis pour tester l’outil : asthme, BPCO, postinfarctus. Ces protocoles visent à sécuriser le déroulement des entretiens menés avec les patients. En pratique, il s’agit de rechercher les besoins en termes d’observance, de prise en charge pharmaceutique et d’accompagnement. Une étude de faisabilité, réalisée par des pharmaciens officinaux volontaires, est actuellement en cours afin d’évaluer le temps pharmaceutique nécessaire à cette prise en charge, les limites, les adaptations à réaliser. « Les pharmaciens au départ les plus réticents sont étonnés de la facilité avec laquelle s’effectuent les contacts et se déroulent les entretiens », remarque Catherine Leyrissoux, officinale à Lanester (Morbihan) et membre de plusieurs groupes de travail mis en place par la SFPC. « Le comptoir nous permet d’avoir cette facilité d’approche, de discussion et de compréhension vis-à-vis des patients. » Après adaptation des protocoles, une étude sera lancée avec le concours d’étudiants de 6e année pour mesurer l’incidence en termes de santé publique.

• Améliorer les échanges interprofessionnels

L’étape suivante sera d’étendre ce guide aux pratiques transversales de prise en charge du patient chronique en associant les autres professionnels, avec la collaboration de la HAS. « Nous avons par ailleurs en projet(4) de mesurer la valeur ajoutée du travail réalisé en commun par les pharmaciens hospitaliers et les officinaux dans la prise en charge du patient hospitalisé », rapporte Jacqueline Grassin. Ces échanges d’informations entre les deux parties pourraient en effet contribuer à sécuriser les prescriptions, réduire les interruptions de traitement et réduire les réhospitalisations.

• Tracer les interventions à l’officine

La pharmacie clinique implique des interventions du pharmacien pour améliorer la prise en charge du patient, mais comment rendre visible ce travail, le quantifier ? En le traçant et en évaluant les actes pharmaceutiques, autrement dit en identifiant le type d’intervention et la solution apportée. « Les hospitaliers ont un outil leur permettant de recenser et codifier leurs interventions. Un groupe de travail(5) auquel participent hospitaliers et officinaux s’attache actuellement à adapter cet outil de recueil des interventions à l’officine », indique Jacqueline Grassin. De la même manière qu’à l’hôpital, l’outil validé est destiné à être intégré dans le logiciel de dispensation à l’officine. « Ces actes sont transparents pour les organismes de tutelle. En les définissant comme indicateurs, nous les formalisons, nous rendons visibles notre quotidien puisque nous avons tous le souci de sécuriser la dispensation, d’apporter le bon produit au bon patient et au bon dosage, commente Catherine Leyrissoux. La pharmacie clinique, les officinaux en font depuis longtemps, mais leur travail n’est pas reconnu, notamment par l’Assurance maladie. » En d’autres termes, il s’agit d’apporter la preuve du travail quotidien du pharmacien dans le parcours de soin du patient et d’obtenir la reconnaissance de ce travail. « La FSPF est très impliquée dans ces divers dossiers qui sont importants pour faire évoluer et mieux reconnaître la place du pharmacien auprès des patients », souligne Catherine Leyrissoux.

Des avantages pour les patients, les pharmaciens et l’assurance maladie

Les officinaux ont la connaissance et le savoir-faire pour entrer de plain-pied dans la pharmacie clinique. Ils ont aussi comme atout la proximité, dans une période où la désertification médicale pose problème. Comme l’indique Vivien Veyrat, enseignant et officinal, membre de plusieurs groupes de travail formés par la SFPC, « à l’heure où la population âgée augmente, la pharmacie clinique permet de s’occuper des personnes polymédiquées. De manière générale, cette discipline est au cœur du métier de pharmacien. Le but aujourd’hui est que ce dernier soit davantage acteur, pour diminuer l’iatrogénie et faire des économies de santé en améliorant la qualité des prescriptions ». Les avantages de la pharmacie clinique seront ainsi partagés par les patients (prévention de l’iatrogénie médicamenteuse, traitement optimisé), les pharmaciens (valorisation du métier, confiance en soi, confiance des patients, fidélisation) et l’Assurance maladie (diminution des consultations et des hospitalisations). Et Catherine Leyrissoux de conclure : « Nous sommes prêts à relever le défi. C’est notre rôle de sentinelle, un rôle qui nous fait déjà participer aux réseaux de santé et à l’éducation thérapeutique. En étant rémunérés pour cela, nous serons plus crédibles aux yeux des patients et des médecins. En même temps que l’assurance maladie réalisera des économies, le patient sera sécurisé dans son parcours de soin. » Reste à la pharmacie clinique, proche du patient, de s’organiser et se structurer, et au pharmacien de se former pour mieux la maîtriser.

(1) « La pharmacie clinique pourquoi ? comment ? », Edition Ellipses, 1985.

(2) « Référentiel de pharmacie d’officine ».

(3) « Prise en charge pharmaceutique du patient chronique ».

(4) Groupe de travail « Réseau ville-hôpital ».

(5) « Standardisation et valorisation des activités pharmaceutiques ».

Les nouvelles missions du pharmacien

Les nouvelles missions du pharmacien seront en phase avec la pharmacie clinique : le pharmacien correspondant suivra le patient dans son histoire médicamenteuse et son observance, surtout s’il peut s’appuyer sur le dossier pharmaceutique partagé. celui-ci est indispensable à condition de tracer les éventuelles interventions et actions du pharmacien. le bilan de médication, qui consiste à faire le point, à comprendre comment et quand le patient prend ses médicaments, à voir si cette prise correspond aux objectifs définis, en est un autre exemple, tout comme les entretiens d’accompagnement qui permettent de gérer les difficultés de prise et doivent être associés à un plan de prise. ces démarches constituent les stades avant l’éducation thérapeutique qui, elle, est multidisciplinaire et s’effectue en réseau.

Une expérimentation sur le terrain

Trois facultés de pharmacie (Lyon, Grenoble et Clermont-Ferrand ) se sont associées pour consigner via internet toutes les interventions pharmaceutiques des stagiaires de 6e année. Près de 130 étudiants participent à ce travail en cours (5 000 notifications à l’heure actuelle). explications d’olivier catala, enseignant à lyon, officinal et membre de l’APPEX*, à l’initiative du projet : « A chaque intervention sur la prescription, que ce soit en qualité ou en quantité, l’étudiant note pour quel type de problème et quel type de produits, et la solution retenue. » Une grille développée par la SFPC avait déjà permis une quantification des actes en milieu hospitalier. la plupart des paramètres ont été repris pour l’officine. « Si l’on compare les interventions à l’hôpital et à l’officine, on voit que les préoccupations sont globalement les mêmes. Il y a juste une adaptation à faire », souligne olivier catala. Quel est l’intérêt pour l’officine de quantifier les actes pharmaceutiques ? Faire de la traçabilité. « Si on peut dire aux pouvoirs publics : voyez, cela coûte cher s’il n’y a pas d’intervention pharmaceutique, c’est un pas décisif vers la reconnaissance du travail et la rémunération qui pourrait en découler. » Pour olivier catala et les facultés associées, le travail engagé est d’abord une expérimentation sur le terrain, en temps réel.

« Nous collectons une mine d’informations extraordinaire. Nous attendrons que l’étude soit terminée, fin juin, pour communiquer sur les résultats. »

* L’Association pour la promotion des pharmacies expérimentales (APPEX) est impliquée dans ce travail via la collaboration de nombreux bénévoles.