La balle est dans votre camp

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Publié le 2 septembre 2014
Par Yves Rivoal
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Dans un contexte de compression des marges, le MAD peut constituer une véritable bouffée d’oxygène. Confirmation auprès de pharmaciens qui ont pris ce segment en main avec brio, malgré la concurrence des prestataires de santé à domicile…

Vieillissement de la population, réduction des durées d’hospitalisation, pathologies de plus en plus lourdes à gérer au domicile… Tous les ingrédients qui concourent au développement du maintien à domicile des patients sont aujourd’hui clairement identifiés. « Si l’on se fie aux données de remboursement fournies par l’Assurance maladie, on estime que le marché du MAD a atteint 600 M€ en 2012, souligne Jean-Philippe Alosi, délégué général de la Fédération des prestataires de santé à domicile. Mais si l’on y ajoute les services médicotechniques délivrés à domicile comme l’assistance respiratoire, la nutrition ou la perfusion, on atteint alors un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros. » C’est tout ce périmètre que couvrent aujourd’hui les différents prestataires de santé à domicile (PSAD) qui se partagent, avec les pharmaciens, un secteur d’activités devenu très concurrentiel. Des pharmaciens qui ont d’ailleurs perdu une grosse part de ce marché faute de pouvoir lutter à armes égales avec les prestataires, comme le rappelle Thierry Majorel, titulaire à Savignac (en Gironde) : « Comme nous n’avons pas le droit de communiquer ni d’aller prospecter dans les hôpitaux, c’est très compliqué de rivaliser avec des prestataires. Résultat, la plupart du temps, ils captent tout le flux MAD des patients qui sortent de l’hôpital. »

1• Question de prestataire

Tout gérer… ou pas

Pour reconquérir des parts de marché sur le MAD, il faut déjà appréhender la façon de travailler. La stratégie plus fréquente consiste à collaborer avec un ou plusieurs PSAD, ou à s’appuyer sur les offres MAD proposées par des groupements comme Giphar ou Pharmactiv (voir encadré page 14). « Le fait de passer par un prestataire nous permet de ne pas avoir à investir dans un stock, et donc de ne pas immobiliser de la trésorerie, souligne Catherine Dessenoix, cotitulaire depuis 2004 de la Pharmacie de l’Isle à Montpon-Ménestérol, qui a fait le choix de travailler exclusivement avec Alcura. Je bénéficie également d’une offre de produits beaucoup plus large que si j’achetais en direct et d’un service logistique appréciable pour les livraisons. »

Mais attention, tous les PSAD ne fonctionnent pas de la même manière ! Quand certains travaillent exclusivement avec les pharmacies, d’autres mélangent les genres : la collaboration avec les pharmacies et la commercialisation en direct avec les patients. Prenons par exemple le cas d’Orkyn, l’un des leaders du secteur qui travaille aujourd’hui avec 14 000 officines en compte. Cette différence de positionnement a une incidence importante sur le mode de rémunération. « La grande majorité des dispositifs médicaux apportent des marges intéressantes aux pharmaciens, qu’ils soient à la vente ou à la location, assure Jean-François Vié, directeur général d’Orkyn. L’officine peut également décider de déléguer l’intégralité de la prestation à son prestataire, y compris la facturation à l’organisme de Sécurité sociale du patient. C’est souvent le cas pour les fauteuils roulants, la nutrition entérale et certains dossiers médicotechniques… Dans ce cadre, le prestataire rémunère l’officine sous forme d’honoraires. » Mais lorsqu’un prescripteur contacte Orkyn pour appareiller un de ses patients, la pharmacie n’est pas rémunérée.

Chez Alcura France, la filiale MAD d’Alliance Healthcare, qui approvisionne 12 000 pharmacies et gère 60 000 dispositifs médicaux au domicile de patients, dont 26 000 lits en location, le modèle économique est sensiblement différent. « La pharmacie reste toujours la porte d’entrée du patient, que ce soit sur la collection de 5 000 dispositifs médicaux que nous avons en référence dans notre catalogue ou sur l’offre de prestations médicotechniques, souligne Romain Watremez, directeur des ventes chez Alcura France. C’est donc la pharmacie qui facture aux patients les dispositifs médicaux et médicotechniques. Mais lorsqu’elle ne dispose pas des agréments nécessaires pour gérer leur mise en place, Alcura prend le relais pour le compte de la pharmacie, de la gestion de l’ordonnance à la facturation. » Dans ce dernier cas, la pharmacie n’est pas assurée d’être rémunérée… Au pharmacien de bien négocier avec son prestataire !

Se débrouiller seul

Pour des raisons d’efficacité économique, les pharmaciens qui gèrent de gros volumes en MAD achètent en direct auprès des fabricants (voir le témoignage de Philippe Durand p. 15). Certains vont même jusqu’à créer une structure spécifique au MAD, en parallèle de l’officine. C’est ce qu’ont fait Agnès Tarodo de la Fuente, titulaire de la Pharmacie de l’Hôtel de ville à Saint-Amans-Soult dans le Tarn, et son mari Eric Dubois. Ils ont en effet créé, en 2003, une société de matériel médical qui exposait ses produits dans un magasin situé juste en face de leur pharmacie. « L’activité se développait bien auprès de nos patients et des pharmacies du département, puisque nous avions une centaine de lits en location lorsque la structure de matériel médical fondée par un groupe de pharmaciens du Tarn, appuyée par le syndicat, nous a fait, en 2008, une proposition de rachat qui ne se refusait pas », racontent-ils.

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Six ans plus tard, Eric Dubois et sa femme continuent d’acheter leur matériel en direct auprès des fabricants et le MAD représente près de 12 % du CA de l’officine. Mais ils ne regrettent pas d’avoir vendu leur structure. « Tout simplement parce que l’âge d’or est terminé pour les grossistes, qui ont vu leur marge divisée par trois en cinq ans dans un contexte de concurrence accrue. Et puis il faut aussi savoir que lorsque vous vous lancez dans cette activité, il faut pouvoir consacrer beaucoup de temps au service après vente, qui se révèle très chronophage. »

2• Notion d’expertise

Communiquer à bon escient

Le mode de fonctionnement choisi, il faut ensuite faire savoir aux patients que la pharmacie est susceptible de répondre à leurs problématiques en matière de maintien à domicile. Pour ce faire, rien ne remplace une belle exposition en vitrine et sur le point de vente. Dans sa pharmacie de 150 m2, Thierry Majorel a aménagé une zone de 12 m2 pour le MAD en face de l’entrée, légèrement sur la gauche. « Nous y exposons des fauteuils coquilles, des fauteuils roulants, des couches… En sachant que nous faisons tourner les produits pour que les patients prennent conscience de la profondeur de notre offre. »

Cotitulaire avec son épouse Tiphaine de la pharmacie qui porte leur nom à Pleyben, un village du Finistère de 3 800 habitants, Erwan Houeix a engagé des travaux, fin 2013, pour faire passer la surface de vente de 50 à 120 m2. Dans la nouvelle configuration de l’officine, une surface de 40 m2 est réservée au MAD. Dans une petite vitrine, une affiche ainsi que des lits et des chaises miniatures qui tournent sur un plateau rappellent aux passants qu’ils peuvent ici trouver des solutions pour le maintien à domicile. Six mois après l’inauguration du nouvel aménagement, les premiers retours sont plus qu’encourageants. « Depuis la fin des travaux, le MAD est le secteur qui s’est le plus développé, confie Erwan Houeix. Auparavant, nous vendions un ou deux fauteuils électriques releveurs par an. Sur les six premiers mois de l’année, nous en sommes déjà à une dizaine, et c’est la même chose pour toutes les familles de produits. Le fait de pouvoir exposer plus de matériels nous a aussi permis d’investir de nouveaux segments comme les cannes fantaisie qui marchent très bien, tout comme les chaussures médicalisées et les aides à la marche. »

Savoir faire

Pour proposer une véritable expertise sur le MAD, il faut aussi investir dans la formation. C’est ce qu’a fait Pascaline Dehay, titulaire de la Pharmacie de Richebourg, qui a rejoint le réseau SMA comme une cinquantaine de pharmacies situées dans le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. « J’avais déjà obtenu un DU en MAD pendant mes études. Mais lorsque j’ai décidé de développer cette activité dans mon officine, je suis partie suivre quatre jours de formation au cabinet Pharmaréflex avec mon adjointe afin de faire le point sur les matériels et d’apprendre comment accompagner les patients à leur domicile. » Le commercial de son prestataire Médical Santé Nord passe aussi de temps en temps à la pharmacie pour former l’ensemble de l’équipe sur tel ou tel produit. « Tant et si bien qu’aujourd’hui mes préparatrices sont, elles aussi, en mesure de conseiller les patients sur des demandes classiques et de se retourner vers moi et mon adjointe dès qu’une requête plus spécifique se présente », assure Pascaline Dehay.

Pour la formation, mais aussi pour le merchandising, il est en effet possible de s’appuyer sur son ou ses fournisseurs. Orkyn comme Alcura ou encore les groupements de pharmaciens fournissent des outils de PLV ad hoc. Certains réseaux soutiennent aussi les officinaux. Damien Pipart, directeur du réseau SMA, confirme : « Dans la foulée des décrets de la loi HPST, nous avons lancé en 2011 une offre d’accompagnement des pharmaciens d’officine qui intègre un pack de communication officinale classique avec un catalogue, une plaquette d’information à remettre au patient et une page web de la pharmacie sur notre portail pharmacie-sma.fr. » Le dispositif prévoit également une étude de marché qui permet aux pharmaciens d’évaluer le potentiel du MAD sur leur secteur et d’identifier tous les acteurs qui interviennent dans la chaîne. Si tout pharmacien ne peut pas lancer dans le MAD, il existe de réelles chances de le faire tant en milieu rural qu’urbain.

3• Mission hors les murs

Tisser sa Toile

Pour exister face aux prestataires qui comme Bastide Le Confort médical commencent à commercialiser leurs produits sur Internet, les pharmaciens devront eux aussi s’investir au-delà de l’officine physique. Et se faire voir sur la Toile. A l’instar de l’initiative déployée par Pharmareva. « Nous avons lancé un site marchand et un dispositif de newsletters afin que nos pharmaciens relais puissent communiquer auprès du grand public et récupérer la clientèle dans les officines », explique Michel Gautier, président-directeur général de Pharmareva. Pour ce faire, un parcours client permet d’acheter sur le site et de se faire livrer à domicile, mais moyennant des frais de port dissuasifs afin d’inciter les clients à aller retirer leurs achats dans la pharmacie relais la plus proche. « Les premiers résultats sont encourageants puisque nous avons d’ores et déjà près de 15 000 visites par jour, précise Michel Gautier. Nous commençons en outre à avoir les premiers retours de pharmaciens qui voient arriver des clients internautes qu’ils ne connaissaient pas et qui génèrent des ventes additionnelles via les ordonnances. »

Comme son nom le laisse suggérer, le MAD implique aussi de se déplacer au domicile des patients, comme le reconnaît Catherine Dessenoix. « Dans la mesure du possible, nous accompagnons toujours le livreur d’Alcura lorsqu’il livre un lit médicalisé. Et si ce n’est pas possible, nous nous déplaçons systématiquement quelques jours après pour réaliser un état des lieux et voir si d’autres aménagements doivent être envisagés. J’observe d’ailleurs qu’une relation de confiance et d’intimité s’établit lorsque l’on se déplace chez les patients. En ce sens, le MAD constitue véritablement un excellent levier de fidélisation. »

Désormais, se développent de nouvelles approches qui visent à intégrer les pharmaciens dans les réseaux participant à la prise en charge des patients à domicile. « Grâce au dispositif mis en place par SMA, j’ai pu rencontrer le centre local d’information et de coordination de l’Artois et l’Aide à domicile en milieu rural de Vieille-Chapelle, pour qui nous avons d’ailleurs assuré des ateliers de formation afin d’aider les personnes qui interviennent au domicile à utiliser les matériels. Nous travaillons également en réseau avec les kinésithérapeutes. Ces différents échanges nous positionnent en tant que coordinateur du suivi du patient à domicile, témoigne Pascaline Dehay. Avec les médecins et des infirmiers de notre secteur, le service se met doucement en place. » En revanche, le contact a été beaucoup plus difficile à établir dans les grosses structures comme les hôpitaux où les PSAD sont en général très présents. Pas de doute pour la titulaire, le bilan est positif. « La mise en avant de notre expertise sur le MAD fait entrer dans la pharmacie de plus en plus de patients que l’on ne connaissait pas. Et les acteurs de santé aux alentours savent qu’ils peuvent trouver chez nous des solutions aux problèmes de leurs patients. Tout ceci fait qu’aujourd’hui, nous enregistrons une progression de 20 % sur nos ventes », conclut-elle.

Groupements

En première ligne

Certains groupements ont choisi d’investir sur le MAD. C’est le cas de Pharmactiv qui a lancé il y a deux ans, en partenariat avec Orkyn, un catalogue et des « Rendez-vous santé » sur le MAD. « Le rendez-vous s’enclenche après l’installation d’un lit au domicile du patient, explique Diane Cantan, responsable marketing des services points de vente chez Pharmactiv. Le pharmacien remet au patient un dépliant qui visualise les différentes pièces du logement avant et après le MAD, ainsi qu’un questionnaire. Un rendez-vous est pris une dizaine de jours plus tard pour recueillir les réponses, faire un point sur les premiers jours d’utilisation du lit médicalisé et envisager l’installation d’autres équipements. » 250 pharmacies ont déjà adhéré à ce dispositif qui permet en outre de bénéficier d’une formation de toute l’équipe par Orkyn, « en sachant aussi que pour chaque entretien réalisé nos pharmaciens sont rémunérés 25 € par notre partenaire », complète Diane Cantan. Chez Giphar, 95 % du réseau commercialise l’offre Facilodôm lancée il y a quatre ans. « Nous avons conçu un catalogue qui comprend plus de 1 000 références dans les univers du quotidien, de la mobilité, de la chambre médicalisée et de l’hygiène, explique Laurent Egret, directeur du développement MAD. Dans le catalogue, tous les produits sont affichés avec un prix public TTC fixé en amont par la coopérative, avec obligation pour les pharmaciens de l’appliquer.

Y.R.

Politique de prix

Marges confortables

Dans un univers éminemment concurrentiel, la politique de prix joue un rôle essentiel, en sachant que, sur ce point, la marge de manœuvre est restreinte avec les limites imposées par la Sécurité sociale sur le remboursement des LPPR. « Si les pharmaciens veulent récupérer une partie de ce négoce qui leur a échappé, ils doivent absolument se positionner sur les prix du marché pratiqués dans les points de vente des prestataires ou sur Internet », conseille Michel Gautier, P-DG de Pharmareva. En appliquant les prix du marché, les marges restent en général confortables : entre 30 et 40 % sur le matériel en vente, entre 20 et 30 % sur les locations…

Géomarketing

En ville aussi…

Pour beaucoup, le MAD reste une activité beaucoup plus difficile à développer en ville qu’à la campagne, notamment parce que les points de vente y seraient trop petits. Pharmacien adjoint en charge du MAD à la Pharmacie Bodic à Nantes, Maxime Ermann (voir photo) s’inscrit en faux contre ce préjugé. « Les problématiques de pathologie et de vieillissement de la population sont les mêmes à la ville qu’à la campagne, et chez nous aussi les patients sont demandeurs de solutions qui vont leur permettre de rester le plus longtemps possible à leur domicile. »

La volonté de développer le MAD est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé la titulaire de l’officine, Florence Bodic, à acheter le local situé juste à côté de la pharmacie. Dans sa nouvelle configuration, le point de vente fait désormais la part belle au MAD puisque les 40 m2 récupérés sur l’ancien local attenant sont transformés en zone d’exposition du matériel médical et de stockage des produits d’orthopédie. L’offre sur le MAD est aussi mise en avant dans une vitrine d’une quinzaine de mètres de long, dans laquelle sont exposés deux ou trois modèles de déambulateurs ainsi que des fauteuils roulants. Avant les travaux, le MAD représentait 5 % du CA de l’officine, « l’objectif étant de doubler ou de tripler cette part d’ici deux ans », confie Maxime Ermann.