Interprofessionnalité : pourquoi on est plus forts ensemble

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Interprofessionnalité : pourquoi on est plus forts ensemble

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Publié le 16 novembre 2022
Par Yves Rivoal
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Améliorer l’accès aux soins et garantir sur le long terme la présence de professionnels de santé dans une commune ou sur un territoire, tel est le credo de l’exercice coordonné au sein des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Une approche qui séduit de plus en plus de titulaires, persuadés que l’interprofessionnalité va bouleverser les parcours de soins dans les années à venir… 

Un grand bond en avant. C’est ce qu’a permis la nouvelle convention pharmaceutique en faisant de l’exercice coordonné le principal critère pour toucher la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) pour le développement du numérique en santé et l’amélioration de l’accès aux soins. Les titulaires ont enfin pris conscience de la nécessité d’une médecine davantage transverse. « Depuis quelques mois, les demandes de création de Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se multiplient. J’ai l’impression que la profession est en train de prendre la mesure des enjeux liés à l’interprofessionnalité », se félicite la pharmacienne Brigitte Bouzige, vice-présidente d’AVECSanté, une fédération qui ambitionne de transformer le système des soins primaires en généralisant l’exercice coordonné au sein de MSP. 

La porte d’entrée 

La MSP est d’ailleurs la voie choisie par de nombreux titulaires pour se lancer dans l’interprofessionnalité. Avec le plus souvent en toile de fond une problématique d’accès aux soins pour les patients de la commune ou du quartier. « Lorsque j’ai repris la pharmacie Ivrymed à Ivry-sur-Seine(Val-de-Marne) en 2012, il y avait à proximité cinq médecins généralistes. Cinq ans plus tard, il n’en restait plus qu’un, qui allait bientôt partir à la retraite », se souvient Que Anh Nguyen, la titulaire. Apprenant qu’un local de 500 m² au premier étage avec ascenseur est à louer à deux pas de son officine, elle décide de se lancer dans l’aventure avec Solène Péron, une kinésithérapeute du quartier. Aventure qui ne sera pas de tout repos. « Il nous a fallu trois ans pour récolter auprès de la commune, du département de la région et de l’agence régionale de santé (ARS) 600 000 € d’aides, les 250 000 € manquants ayant été financés par un emprunt à la banque, raconte Que Anh Nguyen. Mais le pire, cela a été la recherche des professionnels de santé. Six mois avant l’ouverture, nous n’avions signé avec personne. » La situation s’est par la suite décantée, lorsqu’une médecin généraliste a accepté de rejoindre les deux associées. Le jour de l’ouverture en janvier 2020, la MSP abritait finalement quatre médecins généralistes et demi, deux kinésithérapeutes, un podologue, quatre infirmières et la pharmacie. Toutefois, la création d’une MSP ne relève pas toujours du parcours du combattant. Il a fallu à peine deux ans aux cotitulaires de la pharmacie des Lavoirs à Tignieu-Jameyzieu (Isère), Matthieu Gardin et Adrien Marchiset, pour initier la MSP du Tissage qui a officiellement ouvert ses portes en 2015 : « Nous avons eu la chance de rencontrer tout de suite un jeune médecin qui a été moteur pour monter le projet de santé et s’occuper de chercher des financements, reconnaît Mathieu Gardin. La mairie nous a également soutenus, en nous prêtant notamment un bâtiment de 500 m², situé à 100 mètres de l’officine, en attendant que la MSP s’installe dans ses nouveaux locaux en 2017. » 

En mode projet collectif

Si les pharmaciens sont souvent à l’origine des MSP, les créations des CPTS relèvent plus d’un défi collectif. Pour David Thierry, cotitulaire avec Vincent Dumenil de la pharmacie Martin Pinel à Pont-de-Chéruy (Isère), c’est la crise sanitaire qui a servi d’accélérateur. « Après avoir constaté que l’exercice coordonné ne fonctionnait pas au sein de la MSP que nous avions créée en 2012, j’ai pris contact juste avant le début de la pandémie du Covid-19 avec l’équipe de la MSP du Tissage, raconte le titulaire. Par peur de la complexité administrative inhérente à la création d’une CPTS, ils ont décliné ma proposition. Mais six mois après, un médecin et une infirmière sont revenus vers moi pour créer une CPTS. » L’objet d’une CPTS diffère sensiblement de celui d’une MSP. « La première porte un projet de santé autour des soins, tandis que la CPTS est un projet territorial d’organisation des soins », rappelle Brigitte Bouzige. Dans les deux cas, le processus de création démarre par la rédaction d’une lettre d’intention détaillant les grandes lignes de la démarche. S’ensuivent la réalisation du diagnostic des besoins spécifiques du territoire en matière de santé et la rédaction du projet de santé qui doit être validé par l’ARS. Pour éviter qu’un projet de création vire au cauchemar, « Il faut d’abord éviter de se lancer seul, conseille Brigitte Bouzige. Il est donc recommandé de commencer par inviter tous les professionnels de santé de la commune ou du territoire à une grande réunion de présentation du projet. L’objectif étant qu’à l’issue de celle-ci, se dégage un noyau dur. » Message reçu par Romain Massei et Sandrine Millasseau. Cotitulaires de la pharmacie du Vidourle à Lunel (Hérault), ils ont eu la surprise de voir 120 professionnels de santé participer à la réunion de présentation de leur projet de MSP. « Au vu de l’affluence, l’ARS nous a d’ailleurs conseillé de nous orienter rapidement vers une CPTS, confie le pharmacien. Et moins d’un an après l’ouverture de la MSP, la CPTS du Pays de Lunel voyait le jour en 2020. » 

Savoir bien s’entourer

Pour ne pas se heurter à un mur administratif, les porteurs de projets doivent savoir frapper aux bonnes portes : celles de l’ARS, de l’URPS (Union régionale de professionnels de santé) et de la Cnam (Caisse nationale de l’Assurance maladie). « Le soutien de nos correspondants au sein de ces instances a été très important et utile. L’URPS nous a notamment accompagnés dans la rédaction du projet de santé, reconnaît Claire Hellin-Florent, titulaire de la pharmacie Centrale de Raismes (Nord), et coprésidente de la CPTS du Grand Valenciennes. Pour établir le diagnostic santé de notre territoire, nous nous sommes aussi beaucoup appuyés sur le site Internet Rezone CPTS qui permet d’obtenir des données sur un ensemble de communes sélectionnées : nombre d’habitants, patients sans médecin traitant, taux de vaccinations et de dépistages, recensement des professionnels de santé par discipline, par âge, avec leur taux d’activité moyen… » Au final, le processus de création a été relativement rapide. « Entre l’assemblée générale constitutive qui s’est déroulée le 10 mars 2021, et la validation du projet de santé par l’ARS, il ne s’est écoulé que quatorze mois, et nous avons signé notre accord conventionnel interprofessionnel (ACI) dès juillet dernier », précise la pharmacienne. Pour la rédaction du projet de santé et la recherche de financement, la CPTS du pays d’Angoulême a décidé d’utiliser les premiers fonds versés par l’ARS au recrutement d’une coordinatrice. « Son apport a été extrêmement précieux, car elle avait déjà participé à la création d’une CPTS. Elle savait donc comment rédiger un projet de santé et connaissait toutes les arcanes du financement », reconnaît Jeanne Lazard, titulaire de la pharmacie de Basseau à Angoulême (Charente) et trésorière de la CPTS. 

Des actions variées

Les actions mises en œuvre par les MSP et les CPTS se révèlent variées. « Dans le cadre de la MSP du Tissage, nous avons établi des protocoles pour les plaies chroniques, la prescription d’insuline pour les patients diabétiques et la prise en charge des patients sous AVK (traitement par anticoagulants, NdlR). Nous sommes également en train de finaliser un gros projet sur la fin de vie », détaille Mathieu Gardin. Tous ces protocoles ont à chaque fois été conçus par de petits groupes de travail pluriprofessionnels de trois ou quatre personnes. La CPTS des Portes du Dauphiné s’est, elle, emparée de la question de l’accès aux soins. « Nous avons mis au point une procédure d’orientation des patients sans médecin traitant et nous sommes en train de tester une mallette de téléconsultation qui pourrait être distribuée aux infirmières. Les médecins ayant parfois du mal à se déplacer au domicile des patients », explique David Thierry. Pour essayer d’attirer de nouveaux professionnels de santé sur son territoire, la CPTS a mené une importante campagne de promotion afin d’inciter, notamment les maires, à mettre des locaux à disposition des porteurs de projets de MSP. Et elle devrait faire de même dans les facultés. Autre initiative dans les cartons : la création d’une villa qui, à l’image des internats à l’hôpital, aura vocation à accueillir en colocation des médecins stagiaires ou remplaçants. Les pharmaciens trouvent naturellement leur place dans ces modes d’exercices coordonnés en s’emparant le plus souvent des volets liés au management ou à l’organisation. Tous les titulaires que nous avons interrogés concèdent toutefois qu’investir le champ de l’interprofessionnalité peut se révéler chronophage. « Pendant les trois ans où j’ai travaillé sur la création de la MSP, j’ai sacrifié une bonne partie de ma vie de famille », résume Que Anh Nguyen. 

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Les patients, grands gagnants

« Même s’il a fallu investir des heures et des heures au moment de la création de la CPTS, et accepter de lui consacrer encore aujourd’hui quatre à cinq heures par semaine, je m’éclate, assure la titulaire. Le fait de rencontrer d’autres professionnels de santé, de partager l’information et de mettre en place des protocoles permet véritablement de mieux orienter et prendre en charge nos patients. » Ceux-là sont d’ailleurs les grands gagnants de l’exercice coordonné. Dans la commune de Mathieu Gardin, les effets de la MSP n’ont pas tardé à se faire sentir. « Quelques mois après sa création, nous sommes passés sur la commune d’un à sept médecin généralistes. Les patients sont donc ravis, d’autant plus qu’ils commencent à s’apercevoir que les professionnels de santé s’organisent pour mettre en place une prise en charge globale », note le pharmacien. La seule véritable ombre au tableau, c’est l’argent ! « Malgré un budget de 220 000 €, les professionnels réunis au sein de notre CPTS travaillent encore bénévolement, deux ans après sa création, note Romain Massei. Si l’on veut que l’interprofessionnalité se développe, il faudra mettre en place une indemnisation digne de ce nom afin de compenser l’investissement en temps et en énergie. Sinon, cela risque de décourager les vocations… »