ÉTAT D’URGENCE AU BURUNDI

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Publié le 24 novembre 2012
Par Eugénie Baccot
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Au Burundi, où le paludisme est un enjeu de santé publique, les soignants encouragent la prise de traitements de nouvelle génération, les combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA). Cependant, face à de nombreux cas de résistance médicamenteuse, la quinine, souvent la seule alternative, présente un paradoxe, emblématique de l’économie africaine : le quinquina, cultivé sur place, est contraint de faire le tour du monde avant de revenir sous forme de médicament.

Première cause de mortalité, le paludisme touche chaque année 2 des 7 millions d’habitants que compte le Burundi et entraîne la mort de près de 2 700 personnes, selon l’OMS. Un problème de santé publique majeur dans un pays où sévit une pauvreté endémique, 67 % de la population vivant avec moins d’1,25 € par jour, quand le budget d’Etat alloué à la santé s’élevait à moins de 4 € par an et par habitant en 2009. Environ 70 % de la population est exposée au risque de paludisme. Un pourcentage représentatif de la situation mondiale, même s’il est difficile à mesurer du fait du manque de fiabilité des statistiques dans les pays concernés.

On estime que, chaque année, le paludisme, présent dans de nombreux pays tropicaux, est la cause de 300 à 500 millions de cas de fièvre, et si le nombre de décès tend à reculer dans le monde, il demeure très élevé, soit 781 000 cas en 2009 selon l’OMS. Des statistiques plus élevées encore que ceux du redoutable sida. Au Burundi, les moustiques propagateurs, longtemps contenus dans les plaines et les marécages, sont aujourd’hui présents sur tout le territoire de ce pays montagneux grand comme la Bretagne. Guerre civile, déplacements de populations, déforestation et changements climatiques ont permis aux moustiques de s’adapter. « Ils sont montés dans les hauteurs et toutes les provinces connaissent la maladie », témoigne Albert Mbonerane, président pour le Burundi de l’Association de lutte contre la malaria (Aluma). Le paludisme représente aujourd’hui près de 50 % des consultations externes dans les centres de santé dont 40 % des patients sont des enfants de moins de cinq ans.

Dépistage gratuit pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans

La population burundaise vit en permanence exposée aux risques de transmission et il n’est pas rare d’être infecté par le parasite plusieurs fois par an. Difficilement chiffrables, les conséquences socio-économiques de l’épidémie sont très importantes : prise en charge des malades, incapacité de travailler, déscolarisation des enfants… Le manque à gagner en activité est énorme pour un pays sans protection sociale généralisée. Alors que 90 % de la population vit de ses activités agricoles et pastorales, le paludisme condamne une partie de la main-d’œuvre à l’inactivité, menaçant ainsi l’autonomie alimentaire de familles entières.

De très nombreuses contaminations sont recensées en novembre, décembre et janvier, quand des pluies diluviennes balayent la région, favorisant ainsi la prolifération des moustiques. Les centres de santé et les 47 hôpitaux du Burundi sont alors pris d’assaut. Au centre antimalaria tenu par l’Aluma-Burundi, le nombre de visites atteint des records (plus de 1 500 malades en janvier, soit presque le double qu’à l’accoutumée). « Plus de 60 % des patients sont atteints de paludisme », témoigne Albert Mbonerane. Le paludisme, qui menace surtout les personnes âgées, les populations faiblement immunisées ou malades, « serait responsable de la mort de près de 50 % des enfants de moins de cinq ans à l’hôpital », selon USAID, l’Agence des Etats-Unis pour le développement international.

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Face à l’ampleur de la catastrophe sanitaire, le gouvernement multiplie les initiatives visant à limiter les cas de contamination. « Faute de pouvoir distribuer des médicaments prophylactiques tels Nivaquine ou Malarone, les pouvoirs publics ont pris d’autres mesures », explique le Dr Lydwine Baradahana, directrice du Programme national intégré de lutte contre le paludisme. Des campagnes de sensibilisation ont permis de faire changer les comportements en matière de prévention. Des gestes simples comme protéger sa peau ou dormir sous une moustiquaire permettent en effet de réduire drastiquement les risques de rencontre avec les anophèles, qui ne piquent qu’à la nuit tombée. Des campagnes de pulvérisation de solution antimoustiques et la distribution de moustiquaires menées à grande échelle depuis 2004 ont ainsi fait chuter la mortalité liée à la maladie de 11 % en 2011. La tendance s’observe au-delà des frontières burundaises : l’OMS affirme qu’en Afrique et au cours des dix dernières années, « ce ne sont pas moins de 11 pays qui ont enregistré une réduction de plus de 50 % du nombre de cas et de décès ».

Le gouvernement burundais encourage également le dépistage de la maladie, qui permet de multiplier les chances de guérison. Un dépistage gratuit est organisé pour tous les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. Une analyse microscopique faite en laboratoire permet de détecter les parasites présents dans le sang et d’établir un diagnostic en quelques heures. Autre possibilité pour les patients isolés, un test de diagnostic rapide sous forme de kit. Une goutte de sang prélevée au doigt du patient permet d’obtenir un résultat en 15 minutes.

Décevantes combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine

Depuis les années 40, la quinine, peu onéreuse, facile à administrer et omniprésente dans les hôpitaux, est un médicament de référence pour traiter le paludisme. Bien que très efficace pour éliminer les parasites, son utilisation répétée est à éviter. Neurotoxique, la molécule peut entraîner d’importants effets secondaires tels que des vertiges, une baisse de l’acuité auditive voire de l’anémie. De nouveaux produits sont arrivés progressivement sur le marché, telle la chloroquine dans les années 50. Elle est devenue inefficace car elle est souvent mal prise, et/ou sous-dosée, et de nombreux patients développent des résistances. Diversifier l’offre de médicaments apparaît une nécessité et des combinaisons thérapeutiques, de la sulfadoxine-pyriméthamine associée à la chloroquine ou à l’amodiaquine, deviennent, dès 2003, les traitements de référence pour soigner le paludisme.

Cependant, face à un taux d’échec thérapeutique important à ces combinaisons, les autorités sanitaires burundaises ont été contraintes d’ajuster leurs politiques de santé publique. Depuis 2006, elles recommandent, avec le soutien de l’OMS, la prise des combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine (CTA). Comprenant dans un premier temps deux comprimés à prendre simultanément (l’un d’amodiaquine et l’autre d’artésunate), elles n’ont, à leur tour, pas toujours été prises correctement par les patients. Des médecins ont ainsi constaté que, à cause de sa forte amertume, certains malades n’ingéraient pas le cachet d’amodiaquine. Alors, bien qu’il soit possible de guérir du paludisme avec la seule artésunate, ne pas respecter les doses thérapeutiques développe le risque, lors d’une prochaine contamination, de voir des médicaments ne plus agir. Un rapport sur le traitement du paludisme publié par l’OMS en 2011 confirme ces nombreux cas de résistance « observés vis-à-vis de presque tous les antipaludéens actuellement utilisés », et notamment les CTA. Malgré cela, grâce à un taux de guérison de 95 % si le protocole médicamenteux est respecté, les CTA restent le traitement le plus efficace contre la maladie. Aussi, en 2009, pour éviter que les patients ne dérogent à la posologie, les deux produits ont été associés dans un seul comprimé. Plus coûteux que d’autres médicaments (0,62 € par traitement pour un enfant et 1,25 € pour un adulte), les CTA sont donc, très souvent, un obstacle pour un Burundais moyen. La distribution gratuite du traitement par le gouvernement ou les ONG reste souvent l’unique moyen de se soigner. Ce coût élevé ajouté à des problèmes d’accessibilité aux centres de prise en charge et à un manque d’éducation sanitaire explique que bon nombre de patients ne se soignent pas correctement de cette maladie pourtant mortelle. Enfin, comme témoigne l’un des 68 pharmaciens du pays, aussi efficaces soient-ils, ces CTA peuvent être nocifs : « Elles sont très neurotoxiques et le produit est difficile à supporter, notamment pour les personnes âgées et sensibles », explique le président d’Aluma-Burundi. Certains patients, insensibles tout autant à la chloroquine qu’aux CTA, n’ont ainsi souvent d’autre choix que de faire marche arrière et de reprendre de la quinine.

La prise en charge du paludisme au Burundi a toujours été et demeure aujourd’hui, problématique. Le choix du médicament, notamment,reste souvent un dilemme pour de nombreux patients burundais. Après avoir encouragé la prise de quinine, toxique, puis de chloroquinine devenue inefficace, les pouvoirs publics ont finalement mis en avant les CTA. Cependant ces combinaisons ne parviennent toujours pas à soigner convenablement l’intégralité des malades, certains développant des résistances médicamenteuses. Et, conclusion amère comme le traitement, son prix élevé reste une barrière de taille pour bon nombre patients.

Le paludisme

Aussi connu sous le nom de malaria, le paludisme est une infection parasitaire transmise à l’homme par le moustique anophèle femelle infecté par un parasite vivant dans les zones humides marécageuses. Il est présent dans une centaine de pays, particulièrement dans les zones tropicales d’Asie, d’Amérique latine et en Afrique, le continent de loin le plus touché avec 90 % des cas recensés. Plusieurs espèces de parasites du genre Plasmodium présents dans différentes régions du globe sont responsables de la maladie. Le plus dangereux d’entre eux, P. falciparum, fait le plus de ravages au Burundi. Dans les cas les plus graves, les globules rouges infectés peuvent bloquer les vaisseaux sanguins irriguant le cerveau, on parle alors de neuropaludisme. Les symptômes peuvent varier grandement d’un individu à l’autre mais le paludisme débute souvent 8 à 30 jours après l’infection par une fièvre suivie de maux de tête, de douleurs musculaires et d’un affaiblissement de la condition générale. On parle d’accès palustre quand des cycles alternant fièvre, tremblements et sueurs froides surviennent. Dépisté et soigné à temps, le paludisme a toutes les chances de guérir, la prise de médicaments pendant trois jours permettant une rémission rapide.

Le quinquina ou le paradoxe burundais

Efficace mais non sans risque, la molécule extraite du quinquina, un arbre cultivé dans le pays, fait le tour du monde avant de revenir sous forme de médicament. Importée des Andes par les colons belges, l’écorce du quinquina, chargée d’alcaloïdes, contient la fameuse quinine. La production du Burundi est modeste comparée à celle de la République démocratique du Congo (RDC), de l’Inde et de l’Indonésie, l’un des trois principaux producteurs au monde. Les plantations burundaises jouent pourtant un rôle important dans l’économie nationale. La taille des cultures est stable (environ 500 hectares pour tout le pays) mais, grâce à de meilleurs rendements, la production a augmenté de 140 % entre 2005 et 2006. La Sokinabu est l’un des plus gros producteurs du pays. « Pour que le quinquina pousse, il faut que l’altitude soit élevée et le climat un peu froid », explique Christian Remezo, directeur de la société, qui exporte entre 60 et 80 tonnes d’écorce par an. Les productions souffrent de nombreuses difficultés et les rendements congolais ne vont pas sans faire de l’ombre à l’écorce burundaise. Pays en paix mais toujours instable, le Burundi peine à redresser son économie ravagée par des années de conflit, laissant les investisseurs frileux et les projets de construction d’usine de la Sokinabu en berne. Ainsi, faute de pouvoir être transformées sur place, les productions quittent le pays. C’est après avoir été transformé dans un laboratoire allemand ou indien que le quinquina revient au Burundi sous forme de traitement antipaludique, prêt à être administré au patient.