Beaucoup trop de médicaments non utilisés dans les maisons de retraite

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Publié le 15 mars 2008
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Deux chercheurs se sont penchés sur la consommation durant une année de 5 205 résidents de 100 maisons de retraite, suivis par 62 pharmacies. Résultat : en valeur, 11,76 % des traitements préparés en pilulier n’étaient pas utilisés ! Un énorme gâchis. Les chercheurs recommandent une facturation à l’unité.

Selon les travaux menés par Francis Megerlin et François Lhoste (1), ce sont ainsi 548 000 euros qui sont gâchés, pour 4 658 750 euros de traitement. Soit 60 millions d’euros si l’on extrapole à la population totale des EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), 100 millions si l’on inclut les EHPA (établissements d’hébergement pour personnes âgées non dépendantes). Les résultats de cette étude viennent corroborer ceux de l’étude similaire réalisée un an auparavant sur 2 300 résidents et durant 4 mois.

Des conditionnements inadaptés

La raison : les MNUP. Ces médicaments non utilisés dès la préparation du traitement (2) correspondent au reliquat des conditionnements utilisés pour remplir les piluliers. Excédents voués à la destruction. Le taux de gâchis est cependant très divers selon les molécules : la rispéridone a le pompon avec 49 % de en volume, la gabapentine 27,23 %, la dompéridone 26,70 %, le lévodopa-bensérazide 25,72 %, le chlorure de potassium 25,56 %, l’acide folique 15,56 %… Le taux de MNUP varie, au sein d’une même molécule, entre dosages (on peut le comprendre pour certains résumés des caractéristiques du produit indiquant notamment de réduire les doses pour les personnes âgées) mais aussi entre spécialités d’un même dosage (y compris entre génériques). Il reste que, si la taille des conditionnements industriels standard est souvent discutée, comme le soulignent les auteurs, « la dispersion des posologies et des pratiques médicales ne permet pas de concevoir un conditionnement parfaitement adapté pour beaucoup de médicaments ».

Délivrance et facturation à l’unité ?

La quadrature du cercle ? « La question ne se pose pas dans les pays où la quantité délivrée correspond à la quantité prescrite », poursuivent-ils. Comme en Amérique du Nord. De plus, s’ajoutent tous les médicaments non utilisés au stade de l’administration (MNUA), liés à des problèmes d’observance. Les auteurs indiquent que des études américaines les évaluent entre 4 et 10 % des coûts de traitements prescrits. Autrement dit, c’est 15,76 % à 21,76 % des médicaments facturés qui ne seraient pas consommés (MNUP + MNUA réunis).

Dans le contexte du papy-boom, et considérant que ces problèmes concernent très certainement aussi la population maintenue à domicile (pas mesurable aujourd’hui), les deux universitaires estiment que la préparation des doses à administrer pourrait trouver, dans de plus en plus de cas, une justification sanitaire et qu’économique.

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Les pharmaciens y seraient-ils prêts ? Rien n’est moins sûr. L’idée de facturation à l’unité de prise avait été évoquée en 1995, puis en 2004, avant d’être abandonnée, notamment face à l’hostilité des pharmaciens et de l’industrie, rappellent les auteurs. De plus, le débat sur le reconditionnement est pourri depuis plusieurs années par la bagarre pour le contrôle du marché des maisons de retraite.

Mais cela n’élude pas la question de fond : dans l’optique d’un recours croissant aux piluliers (en ville ou pour des résidents), les auteurs reposent la question de savoir si ceux-ci doivent être préparés par des pharmaciens ou par des professionnels non formés au médicament (infirmières) ? Les pharmaciens apparaissent globalement contre le fait d’avoir à les préparer. Pourtant, le suivi à l’unité de prise, adossé à l’utilisation du DP, avec une utilisation des excédents facturés (les MNUP restés sous contrôle pharmaceutique dans les officines), pourrait être financé par « le reversement d’une fraction des coûts évités (d’iatrogénie, d’excédents, d’inobservances, d’infrastructures, de personnel infirmier, etc.) », suggèrent les auteurs. Si tant est que les MNUP acquièrent un statut juridique. Mais on est bien loin aujourd’hui d’un tel choix.

En 2004, dans la foulée des grands conditionnements, c’est plutôt l’idée de sortir de petits conditionnements, lorsque cela s’avérerait nécessaire, qui avait été avancée par le ministre de la Santé.

(1) Respectivement maître de conférences et professeur aux facultés de pharmacie et de médecine de Paris-V. Ces travaux sont publiés dans « Santé Décision Management » n°1-2/2008.

(2) Les piluliers étaient ici préparés à l’officine, scellés. Ils étaient « tracés » par une étiquette identifiant le patient, l’ordonnance, le prescripteur, les dates de prescription, de dispensation, la posologie, les numéros de lot, la péremption… Ce sont ces informations saisies informatiquement, en l’occurrence via le système Medissimo, qui ont permis la traçabilité des piluliers et la mesure du taux de MNUP.