Cancers : les générations Z et Y touchées en plein cœur

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Cancers : les générations Z et Y touchées en plein cœur

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Publié le 25 mai 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
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Le nombre de cancers chez les jeunes est en augmentation. Une étude menée sur 20 ans a permis de mettre en évidence leur évolution chez les 15-39 ans. L’ensemble du corps médical se mobilise pour les détecter à temps et accompagner au mieux ces patients dans la fleur de l’âge.

C’est une étude inédite qui fera date. L’incidence des cancers, c’est-à-dire le nombre de nouveaux cas, chez les adolescents et jeunes adultes (AJA), âgés de 15 à 39 ans et leur évolution entre 2000 et 2020, en France, n’avait jusqu’ici jamais fait l’objet d’une publication aussi approfondie. C’est que les cancers chez les AJA sont rares – 2 700 nouveaux cas par an – et les données peu nombreuses sur le sujet. Pourtant, leur survenance a la particularité d’avoir un fort retentissement sur les personnes touchées compte tenu de leur âge, et sur l’ensemble de leur famille. De quoi justifier le besoin d’affiner les connaissances et de mieux orienter les recherches.

Six cancers à la hausse

Menée par Santé publique France et par l’Institut national du cancer (INCa), l’étude a permis de démontrer que l’incidence de l’ensemble des cancers chez les AJA a augmenté de 1,62 % par an entre 2000 et 2014, puis baissé de 0,79 % par an entre 2015 et 2020. Six cancers sont toutefois à la hausse sur l’ensemble de la période : les glioblastomes (+ 6,11 %), les carcinomes du rein (+ 4,51 %), les liposarcomes (+ 3,68 %), les lymphomes de Hodgkin (+ 1,86 %), les carcinomes du sein (+ 1,60 %) et les carcinomes colorectaux (+ 1,43 %). « C’est une étude descriptive, il ne s’agit pas de définir l’étiologie – les causes et facteurs de risque – de chaque augmentation ou diminution. Nous voulions pouvoir comparer nos chiffres avec ceux d’autres pays, car les cancers dont sont atteints les AJA sont rares, il est donc primordial de pouvoir mettre en commun nos données pour que les recherches aboutissent », explique la Dre Claire Morgand, directrice de la direction de l’observation des sciences des données et de l’évaluation de l’INCa.

L’étude révèle que le taux d’incidence chez la femme (70 cas sur 100 000 personnes-années) est plus élevé que chez l’homme (48 cas sur 100 000 personnes-années). L’âge entre également en ligne de compte : les leucémies, lymphomes, tumeurs du système nerveux central et sarcomes sont majoritaires chez les 15-19 ans (66 %), mais ne représentent plus que 19 % des cancers chez les 35-39 ans. À l’inverse, les mélanomes et certains carcinomes passent de 23 % à 73 % entre ces deux classes d’âge. Ces maladies, chez les AJA, ont aussi la particularité « d’être plus agressifs, compte tenu du métabolisme, de la génétique, des expositions, etc. », continue Claire Morgand. Surtout, leur diagnostic est souvent très tardif : « Face à un jeune patient, les médecins considèrent rarement que certains signes sont évocateurs d’un cancer. Ils y pensent en dernier lieu. Pourtant, toute manifestation atypique inattendue devrait faire l’objet d’examens plus poussés, d’autant plus si les symptômes persistent. Le retard dans la prise en charge implique malheureusement parfois qu’une maladie curable ne le soit plus », regrette la Dre Marine Gross-Goupil, spécialiste des cancers urologiques au centre hospitalier universitaire de Bordeaux (Gironde). « Nous, nous intervenons après coup et nous faisons ce que nous pouvons pour essayer de requinquer ces jeunes. Sur le plan humain, quand le cancer touche des enfants, c’est très dur », confirme la Dre Charlotte Bronnimann, neuro-oncologue au sein du même établissement. Afin d’encadrer au mieux ces jeunes malades et de les accompagner dans leur parcours de soins, un suivi personnalisé est donc devenu indispensable.

Double peine

Comme dans d’autres établissements, l’Institut Curie (Paris) prend en charge, au sein d’une unité qui leur est réservée, les adolescents et jeunes adultes souffrant de cancer. Atteints au moment de la construction de leur identité, de l’orientation scolaire, de la maturation sexuelle ou de l’entrée dans le monde du travail, « ils doivent pouvoir bénéficier d’un parcours de soin adapté et optimal », souligne la Dre Florence Coussy, gynécologue et oncologue, spécialisée dans le parcours de soins des femmes jeunes à l’institut. « Ces patientes doivent recevoir une information claire sur la conséquence des différents traitements sur leur fertilité, les modalités de conservation de leurs ovules, les possibilités de grossesse après un cancer du sein et les contre-indications liées à la contraception dont il faut tenir compte. Elles font aussi l’objet d’un soutien psychologique adapté.»

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La vie n’est bien évidemment plus la même avant et après une telle maladie. Le cours de l’existence peut s’en trouver bouleversé à jamais, comme l’explique Charlotte Bronnimann : « 20 % des tumeurs cérébrales sont des glioblastomes et leur incidence est en forte augmentation. En matière de séquelles, c’est tout ou rien. Cela dépend de la zone qui est tombée malade. Si c’est une zone fonctionnelle, ces enfants seront handicapés toute leur vie. Ils ne pourront pas suivre une scolarité normale, ni travailler, ils seront tout le temps encadrés médicalement. D’autres s’en sortent mieux, avec des petits problèmes de mémoire et d’épilepsie, mais eux non plus ne trouveront jamais de travail car les entreprises, malgré tout ce qui est dit sur l’inclusion, sont trop frileuses avec ces profils qui travaillent un peu moins vite que les autres. C’est une double peine pour eux. »

Des soins mieux ciblés

Les chiffres sortis de l’étude de Santé publique France et de l’INCa seront complétés, dans les années à venir, par des analyses destinées à confirmer les résultats et à orienter la prévention et les soins. La cancérologie évolue peu à peu vers des approches moins invasives, avec une radiothérapie plus ciblée et une augmentation de la proportion de traitements médicamenteux par voie orale. « L’avantage avec cette catégorie de personnes est qu’il y a moins de comorbidités car elles sont en meilleure santé. Les traitements sont mieux tolérés. On n’est pas confrontés à des accidents vasculaires cérébraux, aux effets du tabagisme, aux corps fatigués comme avec les seniors. Il est presque plus facile de mener un traitement de A à Z, mais tout ce qui l’entoure, notamment les répercussions sur la vie, est plus complexe », explique Marine Gross-Goupil.

L’ensemble du corps médical s’accorde à dire que tout doit être fait pour améliorer la prévention. Preuve en est la diminution du nombre de cas de mélanomes (- 3,05 % par an) « très probablement liée à la prévention faite ces 30 dernières années sur les protections à l’exposition au soleil et sur les dangers des cabines à ultraviolets (UV) », confirme Claire Morgand. Un certain nombre de facteurs de risque ont ainsi été établis pour les plus de 18 ans, sur lesquels il est possible d’agir afin de limiter les risques de cancer : le tabac, qui est à l’origine de 17 localisations de cancer, l’alcool, responsable de huit localisations de la maladie, l’absence d’activité physique et l’alimentation non équilibrée. « Sans oublier que le premier facteur de risque est l’âge. L’âge médian au diagnostic est de 70 ans chez l’homme et 68 ans chez la femme. Rappelons qu’un cancer met en moyenne plus de 30 ans pour se déclarer, il faut donc agir préventivement sur le long terme », poursuit-elle.

Pour les moins de 18 ans, les facteurs de risque sont plus compliqués à analyser. « Le patrimoine génétique n’explique que 10 % de ces cancers. La recherche sur le sujet doit continuer pour que l’on puisse mieux comprendre la survenance de ces maladies. De plus en plus d’études démontrent une hausse des risques liés aux pesticides », pointe Charlotte Bronnimann. Les liens entre l’environnement et l’apparition de certains cancers font en effet l’objet de nombreuses recherches. Certains d’entre eux sont prouvés : radon, pollution atmosphérique, particules fines, notamment issues du diesel, exposition aux UV, certaines substances rencontrées en milieu professionnel… D’autres facteurs environnementaux sont toujours en cours d’investigation.

Prévention sur les réseaux

Une première campagne de prévention vient d’être lancée sur les réseaux sociaux à destination des 18-25 ans. Portée par l’INCa, elle rappelle que près de 40 % des cancers pourraient être évités. « Fumer, boire de l’alcool de manière excessive, avoir une vie trop sédentaire ou encore consommer une alimentation ultra-transformée, autant de comportements qui altèrent nos cellules. Si notre système immunitaire est généralement capable de combattre ces agressions et de réparer les cellules endommagées, leur répétition sur des dizaines d’années favorise le risque de développement de cancers. En effet, les altérations génétiques – causées au sein de l’ADN des cellules – provoquées par ces comportements induisent un dérèglement des cellules qui peut conduire à une prolifération incontrôlée et au développement de tumeurs cancéreuses. Limiter ces agressions répétées de nos cellules est donc essentiel », détaille l’institut. Un message porteur d’espoir, que les pharmaciens peuvent également relayer dans leurs officines. La connaissance des facteurs de risque et des moyens de prévention est l’une des clés pour agir, dès aujourd’hui, contre le cancer.

À retenir

  • 2 700 nouveaux cas de cancers sont détectés chaque année chez les 15-39 ans.
  • Les femmes sont plus touchées que les hommes.
  • Entre 2000 et 2014, le nombre de cancers dans cette tranche d’âge a augmenté de 1,62 %. Il a baissé de 0,79 % entre 2015 et 2020, sauf pour six types de cancers.