Transactions d’officines en 2024 : le marché danse sur les pointes

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Transactions d’officines en 2024 : le marché danse sur les pointes

Publié le 23 avril 2025 | modifié le 24 avril 2025
Par Julien Descalles
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Confrontés à une rentabilité en baisse, les pharmaciens titulaires doivent désormais souvent revoir leurs stratégies de cession. Entre la diminution des marges, la hausse des charges et l’évolution des critères de valorisation, le marché de la transaction officinale connaît d'importantes mutations. L'analyse approfondie d'Interfimo offre, année après année, un éclairage indispensable sur ces évolutions.

La tendance amorcée en 2023 se confirme : la valorisation des pharmacies continue de reculer en 2024, selon l’étude annuelle d’Interfimo « Prix de cession des pharmacies en 2024 ». Ainsi, pour les officines générant plus de 1,2 million d’euros de chiffre d’affaires hors taxes (CA HT), cet indicateur passe de 84 % à 76 %, tandis que celles réalisant un CA inférieur à ce seuil reculent de 59 à 54 %. Pour Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo, « cette évolution est une réponse logique à la baisse de rentabilité des pharmacies. Cependant, le marché doit encore mieux intégrer cette réalité ». En effet, l’excédent brut d’exploitation (EBE) diminue plus rapidement que les prix de vente. « Entre 1,2 et 2 millions d’euros de CA, la variation est de 8 %, celle de l’EBE, de - 14 %. Et le décalage se constate aussi pour des officines entre 2 et 3 millions d’euros de CA – respectivement - 7 % et - 15 % – et au-dessus de 3 millions d’euros, pour lesquelles le prix de vente est stable mais l’EBE moyen chute de 14 % », explique l’expert. Ce grand écart doit être davantage comblé au risque d’entamer la fluidité du marché. « Si vous surpayez le fonds de commerce, vous risquez de faire face à la frilosité des banquiers, qui vont réclamer un apport personnel plus conséquent, et à une rentabilité qui ne permet pas de rembourser le crédit », prévient-il.

Une rentabilité sous pression

Derrière un taux d’EBE qualifié d’historiquement bas dans l’enquête – s’établissant à 8,6 % du CA , contre 9,7 % l’année précédente –, se cache l’effet conjugué de la baisse de la marge brute et de la croissance des frais de personnels et généraux. « Après une période post-Covid-19 où les difficultés pour trouver de la main-d’œuvre ont tiré les salaires vers le haut – une période qui semble s’estomper –, il a fallu remettre à niveau les rémunérations du reste du personnel en place depuis longtemps pour les fidéliser. De quoi provoquer une première tension sur les trésoreries », note Jérôme Capon. En outre, ces dernières restent affectées par l’inflation des charges énergétiques et, plus encore, des loyers. « De petites charges de leasing, dues à des investissements dans les cabines de téléconsultation, des étiquettes électroniques, etc., pèsent également de plus en plus dans les comptabilités », fait-il encore remarquer, tout en soulignant leur utilité : « Elles accompagnent autant le déploiement des nouvelles missions et permettent un meilleur pilotage de la marge et une réactivité plus forte pour adapter les prix, avec une gestion plus fine et rapide de sa tarification – l’évolution d’un prix chez un grossiste est immédiatement répercutée en rayon. » Reste que cette baisse des flux financiers peut avoir des conséquences lourdes, en premier lieu pour les petites pharmacies endettées ou les acquisitions récentes à des prix de cession trop élevés.

Place à la jeunesse

« Bonne nouvelle : les premières installations représentent 52 % des dossiers étudiés en 2024, soit plus de 450 opérations. Preuve que le métier attire toujours », se réjouit Jérôme Capon, directeur du réseau Interfimo. Des primo-accédants dont la moyenne d’âge est de 35 ans et qui accélèrent la féminisation de la profession : 58 % sont des femmes, contre 52 % de l’ensemble des acquéreurs. En outre, ces derniers se montrent intéressés par des officines toujours plus importantes (2,2 millions d’euros de CA en moyenne, contre 2 millions d’euros en 2022). Seulement 17 % des premières installations concernent des pharmacies de moins de 1,2 million d’euros. « Les jeunes ont une vraie appétence pour l’exercice de groupe. Les primo-accédants peuvent aspirer notamment à concentrer leurs plannings sur des durées intenses plus courtes, et à se dégager du temps hors de la pharmacie le reste de la semaine. Or, ce modèle n’est compatible qu’avec des officines suffisamment grandes pour accueillir au moins deux titulaires », témoigne l’expert-comptable. Enfin, leurs destinations géographiques privilégiées sont l’arc atlantique et le pourtour méditerranéen. Sans surprise, tant ils partagent le même héliotropisme que leurs aînés. C’est en effet en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie et en Provence-Alpes-Côtes d’Azur que sont enregistrés les prix de vente moyens les plus élevés.

Comment déterminer le prix juste ?

Quant à la baisse de la marge brute, à 28,3 % du CA, contre 29,5 % en 2023 et 32,6 % en 2022, il faut y voir une confirmation d’une tendance lourde : celle du poids toujours plus prégnant des médicaments chers. Avec une croissance de 10 % sur l’année, ceux-ci entraînent bien une hausse du CA moyen (+ 4,3 %), mais attention cette progression est en réalité un trompe-l’œil. La faute à la marge des produits chers bien inférieure à ceux des médicaments remboursables ou plus économiques. Conséquence : « Comment imaginer vendre au même prix deux pharmacies voisines dégageant un CA équivalent, mais dont l’une d’elle commercialise quatre fois plus de produits chers que l’autre ? Leur rentabilité n’a rien à voir et n’est donc pas comparable ! », prolonge Jérôme Capon.

La conclusion est sans appel. « La référence au CA a de moins en moins de sens. Or, les habitudes ont la peau dure : il est encore difficile pour un cédant qui a acquis son officine il y a 20 ans en se fondant sur un pourcentage du CA de ne pas appliquer la même recette. D’où la nécessité absolue de revoir les indicateurs de valorisation pour fixer le prix le plus juste », martèle-t-il. L’enquête propose ainsi, outre l’EBE, d’intégrer le critère de la marge pour pondérer le CA. Dès lors, une petite officine ne serait plus celle qui réalise moins de 1,2 million ou 1,5 million d’euros de CA, mais celle dont la marge brute n’excède pas les 400 000 €. « Une autre approche possible consiste à retraiter les tranches des médicaments chers du CA, propose encore le directeur du réseau Interfimo. Le plus important est de diversifier les points de repères pour mieux prendre en compte les évolutions du secteur. »

Les acheteurs voient grand

Parmi les mutations qui s’opèrent, la course à la taille et son corolaire, la tentation du regroupement, sont confirmés par l’enquête. « Il y a vraiment deux marchés : celui des grandes officines et celui des petites. Plus la taille est importante, plus la demande est forte, et plus elle se vend cher et trouve preneur », abonde Jérôme Capon. À plus de 3 millions de CA, le prix de vente s’établit ainsi en moyenne à 90 % du CA HT. Et peu importe la situation géographique des lieux, pourvu qu’il y ait de la place : les officines de quartier et de centre-ville restent prisées, l’activité et la rentabilité favorables de celles des centres commerciaux sont recherchées, et même les pharmacies de campagne bénéficient d’une moindre concurrence.

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Outre la quête de mètres carrés pour accueillir les nouvelles missions (vaccination, téléconsultation, dépistage, etc.), Jérôme Capon voit dans cette bonne tenue des grandes officines la preuve de bouleversements sociétaux profonds dans la manière d’appréhender le travail. « Les plus jeunes notamment (voir encadré « Place à la jeunesse » p. ) privilégient l’exercice de groupe, veulent travailler avec d’autres titulaires, ils ont donc besoin d’une taille critique. Une appétence pour le collectif que l’on retrouve par ailleurs chez tous les professionnels de santé », témoigne-t-il. Ainsi, les associations et les cessions de titres continuent à gagner du terrain, au détriment des cessions de fond, qui représentaient, l’an dernier, 47 % des transactions du panel étudié par Interfimo.

Les petites se réduisent

À l’inverse, les officines plus modestes, qui plus est souvent situées en milieu rural, sont davantage en souffrance, car les repreneurs ne se bousculent pas au portillon. « D’où la nécessité de mobiliser l’ensemble des acteurs pour renforcer l’attractivité et garantir le maintien du maillage territorial ainsi que l’accès aux soins de proximité », défend Jérôme Capon. Toutefois, l’enjeu dépasse les seules zones rurales isolées : c’est bien la moyenne des prix de cession des pharmacies de moins de 1,2 million d’euros qui a atteint son plus bas niveau historique, à seulement 54 % du CA HT. Un chiffre qui descend même à 44 % en Île-de-France. Ces petites officines ne représentent ainsi que 14 % de l’échantillon étudié, contre 21 % en 2021, preuve d’une contraction du marché. « Elles sont aussi davantage concernées par les fermetures constatées ces dernières années », relève l’enquête. Plus globalement, celle-ci fait le point sur les procédures collectives (sauvegarde, redressement, liquidation) de 2024, soulignant leur augmentation – 140 ouvertes, contre 97 en 2023 –, redressement en tête. « Attention toutefois à ne pas tomber dans la sinistrose : il s’agit moins d’une dégradation que d’une forme de régulation à l’œuvre. Certaines officines qui rencontraient des difficultés persistantes et étaient portées par les aides de l’État mises en place durant la crise du Covid-19 ont dû se résoudre à fermer », tempère Jérôme Capon, qui insiste sur un constat : « Bien que le nombre de transactions ait reculé de 10 % par rapport à 2023, passant de 1 606 à 1 442, le marché est dynamique. Le taux de rotation, avec 74 mutations pour 1 000 officines, reste supérieur à la moyenne des dix dernières années. » Il faut y voir la preuve que les incertitudes économiques et politiques n’ont pas découragé les investisseurs, conclut l’enquête annuelle d’Interfimo. 

À retenir 

  • La baisse des prix de cession s’est poursuivie en 2024.
  • Ce recul traduit un alignement – encore insuffisant – des prix de vente sur la baisse de rentabilité d’un marché en pleine mutation qui doit faire face à la réduction de ses marges, à l’inflation des frais énergétiques ou de personnel et au poids croissant du leasing.
  • En termes de valorisation, outre l’EBE, intégrer le critère de la marge pour pondérer le CA fait de plus en plus sens. Dès lors, une petite officine ne serait plus celle qui réalise moins de 1,2 million ou 1,5 million d’euros de CA, mais celle dont la marge brute n’excède pas les 400 000 €.
  • Le marché des transactions de pharmacies est divisé en deux catégories principales : les grandes pharmacies (plus de 2 M€ de CA annuel), qui restent prisées, et les petites (moins de 1,2 M€ de CA annuel), en proie à plus de difficultés pour trouver des repreneurs.