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Droits de douane américains : l’onde de choc
Le 9 avril dernier, Donald Trump a suspendu pour 90 jours les droits de douane qu’il avait annoncés tambour battant une semaine plus tôt. Une volte-face, dans la pure tradition de sa stratégie économique : menacer fort, semer l’instabilité, puis reculer pour mieux revenir à la charge.
Aujourd’hui, le secteur industriel, et en particulier pharmaceutique, guette la moindre de ses annonces. Le président américain compte bien jouer de tous ses leviers pour s’ériger en maître de l’économie mondiale. Quitte à risquer des pénuries… y compris dans son propre pays.
Après deux mois de déclarations menaçantes, Donald Trump a finalement annoncé, le 1er avril 2025, une hausse des tarifs douaniers : 10 % sur toutes les importations, 20 % sur les produits européens, jusqu’à 46 % pour certains pays asiatiques. Coup de théâtre : huit jours plus tard, il suspend finalement une partie de ces taxes pour une durée de 90 jours, à l’exception des produits chinois, frappés d’un tarif maintenu à 125 %.
À terme, tous les secteurs seront touchés… même l’industrie pharmaceutique longtemps épargnée. Le 8 avril au soir, lors d’un dîner à Washington, Donald Trump a en effet promis « une énorme taxe sur les produits pharmaceutiques ». Le 14 avril, il remettait le sujet sur la table, invoquant des raisons de sécurité nationale. Cette rhétorique martiale répond à la pression exercée sur le président par le Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA). Le puissant lobby américain de la pharmacie, qui redoute une flambée des prix mais aussi un effondrement logistique, aurait demandé à Donald Trump d’épargner le secteur d’une taxation.
En effet, si plusieurs anticancéreux, antibiotiques de dernier recours ou traitements spécialisés sont produits exclusivement en Europe, de nombreux laboratoires « américains » font fabriquer leurs molécules en Inde, au Pakistan ou en Chine.
« Pendant un temps, Donald Trump a sans doute pris conscience de son manque de souveraineté. La santé ne se manipule pas comme un baril d’acier », analyse Guillaume Racle, pharmacien économiste et élu au bureau national de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO).
But de la manœuvre : relocaliser à tous crins
Désormais, la menace qui plane sur les médicaments est bien réelle. À l’instar des autres secteurs industriels, la politique économique de la Maison Blanche s’inscrit dans une stratégie qui vise à contraindre les fabricants de médicaments à relocaliser leur production sur le territoire américain, ou, à défaut, à y investir massivement. « Les droits de douane ne sont pas seulement un outil fiscal. Ils sont une arme de remodelage industriel », note Guillaume Racle. Si, dans certains secteurs – acier, batteries, semi-conducteurs –, cette démarche peut éventuellement porter ses fruits, dans celui de la pharmacie, elle risque de se révéler bien plus dangereuse. « Rapatrier la production pharmaceutique prend du temps, notamment à cause de l’internationalisation des chaînes de production », répond Pierre-Yves Geoffard, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste des politiques de santé.
Entre les nouveaux sites à homologuer, le transfert de procédés complexes, la sécurisation de la chaîne d’approvisionnement, la nécessité d’obtenir les certifications de la FDA (Food and Drug Administration), en moyenne, cinq à dix ans sont nécessaires pour une relocalisation complète.
Las, pendant ce temps, la contrainte tarifaire imposée par les droits de douane peut faire basculer des décisions clés et entraîner des pénuries mondiales. À cause de la pression fiscale, certains groupes pourraient choisir de fermer des unités européennes jugées non rentables, sans considération sanitaire. Face à une telle menace, certains importateurs pourraient aussi chercher à constituer des stocks. Une stratégie d’urgence qui déséquilibrerait l’ensemble des flux mondiaux.
Si ces taxes étaient finalement actées, les industriels européens seraient pris en étau. Deux options s’offriraient alors à eux : répercuter les augmentations des coûts sur les prix ou rogner sur leurs marges. « Les producteurs peuvent éventuellement baisser leurs marges pour éviter des hausses de prix, mais cela ne pourra être qu’une solution temporaire », analyse Pierre-Yves Geoffard.
Dépendance mutuelle des deux côtés de l’Atlantique
L’Europe est évidemment l’une des premières cibles de cette guerre commerciale larvée. Hub logistique et fiscal de l’industrie pharmaceutique du Vieux Continent, l’Irlande a, par exemple, exporté pour 36 milliards d’euros de médicaments vers les États-Unis en 2023. Le petit pays de cinq millions d’habitants concentre d’ailleurs les sites européens de géants comme Pfizer, MSD, Johnson & Johnson ou Amgen.
Derrière, la Belgique, l’Allemagne, le Danemark et la France – avec 3,8 milliards d’euros exportés – sont également dans le viseur.
La dépendance transatlantique est d’ailleurs réciproque. La France, à elle seule, a importé pour 4,9 milliards d’euros de médicaments en provenance des États-Unis en 2023.
Au fond, si l’Europe risque de vaciller, les 333 millions d’Américains pourraient aussi être de lourdes victimes collatérales de cette politique nationaliste. Seraient-ils dans la capacité économique de payer leurs médicaments 5, 10, 15 fois plus cher qu’actuellement ?
« À ce stade, les cartes sont brouillées. Mais Donald Trump peut tout à fait décider d’assumer une récession passagère pour son pays en échange d’un gain industriel durable », note Jean-Pierre Thierry, conseiller médical à France Assos Santé.
2,5 milliards de dollars
C’est le montant qu’il manque à l’Organisation mondiale de la santé pour financer son budget 2026-2027, déjà réduit de 5,3 à 4,2 milliards de dollars après le retrait des États-Unis. Résultat : un trou de 1,9 milliard pour la période, auquel s’ajoute un déficit de 600 millions dès cette année. Un désengagement amorcé sous la présidence Trump, qui continue de peser lourd sur les finances de l’organisation.
Les brevets, un autre levier de pression majeur
Les États-Unis disposent, en outre, d’un levier de poids pour amortir le choc des droits de douane : les brevets. Depuis vingt ans, Washington a investi massivement dans la recherche biomédicale – via les National Institutes of Health (NIH) et les partenariats public-privé –, consolidant ainsi sa domination sur l’innovation pharmaceutique.
Résultat : une part considérable des brevets sur les médicaments les plus récents, notamment dans l’oncologie, les thérapies ciblées ou les traitements à ARNm, est à présent détenue par des groupes américains. Or, si la production peut être réalisée en Europe, la propriété intellectuelle, elle, reste souvent centralisée aux États-Unis – ou dans des filiales enregistrées dans des juridictions à fiscalité avantageuse.
À chaque boîte vendue, une partie significative de la valeur repart ainsi outre-Atlantique sous forme de redevances ou de royalties. Ce système de captation légale permet aux États-Unis de dominer un secteur dont une large part des volumes est pourtant fabriquée à l’étranger.
Et la problématique est d’autant plus critique sur les médicaments innovants, pour lesquels les États ne disposent d’aucune solution de substitution : pas de générique, pas de mise en concurrence possible.
Si les Européens décidaient d’entrer dans un bras de fer, Trump pourrait envisager de limiter les exportations des médicaments brevetés ou de les faire payer au prix fort. « Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’endroit où les médicaments sont fabriqués, mais celui où les bénéfices sont enregistrés », explique Jean-Pierre Thierry. En clair, un laboratoire peut produire en Europe, mais si les revenus générés sont rapatriés et taxés aux États-Unis, alors ce sont eux qui en tirent la valeur économique. « Tant que les décisions stratégiques, la propriété des brevets et les flux financiers restent hors du territoire européen, notre souveraineté pharmaceutique est une illusion. Relocaliser des usines n’a de sens que si l’on relocalise aussi le pouvoir de décision et les retombées économiques », poursuit-il.
Contactés par Pharmacien Business, ni le Leem (Les Entreprises du médicament) ni l’Association européenne des industriels du médicament (EFPIA) n’ont souhaité répondre à nos sollicitations.
Une chaîne fragilisée, jusqu’aux comptoirs d’officine
« Il se joue ici l’importance de notre indépendance médicale. Pendant le Covid-19, tout le monde s’en est rendu compte, puis tout le monde a oublié. Cinq ans après, où en sont la politique européenne de relocalisation et la stratégie de recherche de traitements ? » interroge Guillaume Racle.
La réponse, pour l’heure, reste incantatoire. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a promis une liste de médicaments critiques, des achats groupés, un principe de préférence européenne. Mais sans stratégie commune sur les brevets, les prix et la fiscalité, les annonces risquent fort de rester lettre morte. Le critical medicines act n’est toujours qu’un projet. Et les moyens engagés à Bruxelles n’ont rien de comparable avec les plans massifs lancés à Washington.
« L’Europe est un géant économique mais un nain politique, tranche Guillaume Racle. Sans vision industrielle partagée, nous serons les otages de décisions prises ailleurs. »
Trump a-t-il orchestré un délit d’initiés ?
Au-delà de la géopolitique et de l’économie, la suspension des tarifs soulève aussi des questions éthiques. Plusieurs analystes dénoncent une manœuvre de manipulation des cours. Les annonces de Trump ont secoué les marchés pharmaceutiques – puis les ont calmés. Une volatilité profitable pour certains acteurs politiques.
« Le président des États-Unis participe littéralement à la plus grande manipulation de marché au monde », ont affirmé les élus démocrates de la commission des services financiers de la Chambre des représentants, également sur X.
De son côté, la très médiatique députée démocrate new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez a menacé dans un tweet lapidaire : « Tout membre du Congrès ayant acheté des actions au cours des dernières 48 heures devrait probablement le déclarer dès maintenant. J’entends des rumeurs intéressantes circuler dans l’hémicycle. La date limite de déclaration est le 15 mai. On va bientôt apprendre certaines choses. Il est temps d’interdire le délit d’initié au Congrès. »
La pause des tarifs est-elle un geste de sagesse économique ou un levier spéculatif parmi d’autres ?
Entre bras de fer industriel et manipulation des marchés, la saga trumpienne sur les médicaments ne fait sans doute que commencer.
Dispositifs médicaux : sous le feu direct des taxes
Contrairement aux médicaments, les dispositifs médicaux, eux, ne bénéficient d’aucun traitement de faveur. Ils font partie des produits directement visés par les hausses tarifaires américaines. Une annonce qui inquiète fortement la filière. Dans un communiqué publié dans la foulée des mesures, le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem) dénonce « des décisions inacceptables » et alerte sur « la très grande hétérogénéité des composants » qui entrent dans la fabrication des dispositifs.
Reçue à l’Élysée avec la Fédération française des industries de santé, la présidente du Snitem, Laurence Comte-Arassus, appelle à un temps d’analyse spécifique par filière et à une réponse coordonnée à l’échelle européenne. Le Snitem reste en lien étroit avec les fédérations MedTech Europe et Cocir (Coordination Committee of the Radiological, Electromedical and Healthcare IT Industry) et se dit prêt à soutenir toute action publique résolue. En parallèle, il appelle à « bloquer ou revisiter tout ce qui peut freiner l’accès au marché des dispositifs médicaux sur le territoire national ». Un signal d’alerte politique autant qu’industriel, sur une chaîne de production rendue vulnérable par l’extraterritorialité des flux et la complexité des circuits transatlantiques.
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