La guerre des robots
Si la mécanisation du stock en pharmacie prend de l’ampleur, la concurrence bat son plein entre automates et robots. Les premiers se targuent d’une délivrance rapide quand les second assurent une intelligence de rangement par les bras de la machine…
En fixant des podomètres aux chevilles de ses employés, Yves Comte se doutait-il qu’il ouvrait la voie à un nouveau marché ? Au début des années 90, ce titulaire à Digne-les-Bains est las de payer ses adjoints et préparateurs pour faire de la course à pied. « Ma pharmacie était très longue et mon stock rangé par ordre alphabétique. Pour récupérer l’Ultra-levure, une de nos ventes phares, nous devions aller la chercher au fond de la pharmacie. Les podomètres ont mesuré une moyenne de 10 km parcourus chaque jour ! A 5 km/h, la vitesse d’un adulte à pied, cela faisait deux heures sur une journée de huit heures… payées pour rien ! On peut trouver plus efficace pour optimiser la gestion du temps de travail ! » Bien vu ! De 2007 à 2011, le chiffre d’affaires annuel généré en France par les six principaux fournisseurs oscille entre 23 et 28 millions d’euros. Selon eux, le marché actuel progresserait au rythme de 100 à 150 nouvelles installations par an. Et entre 1 400 et 2 000 officines seraient désormais équipées. Quant à l’avenir, tous s’accordent pour estimer entre 6 000 et 10 000 le nombre d’officines potentiellement clientes. Soit, au rythme d’installation actuel, plus d’un demi siècle de commandes à prévoir…
Le temps des pionniers
Un marché est né. Ou plus exactement adapté. Dès les années 80, une société autrichienne, PEEM, fournit déjà des automates, mais pour des grossistes-répartiteurs. Entrée en 1990 au capital de la société PlusInfos dirigée par Patrick Hassenteufel, elle décide d’adapter son offre aux officines françaises et lance le Pharmamat. Le démarrage ne fut pas évident. « Des pharmaciens voulaient bien être les premiers équipés mais à des conditions intenables. Même après mon deal avec lui, il nous a fallu plus d’un an pour calibrer la machine. Avec très peu d’informatique, nous avons dû calculer le nombre d’ordonnances par jour, le nombre de lignes par ordonnance et le nombre de produits par ligne… et ensuite trouver toutes les dimensions des boîtes ! L’OCP nous y a beaucoup aidés », témoigne Yves Comte, qui finit avec l’aide de son fils, par adapter le Pharmamat en 1993.
Jusqu’en 1999, seul automate du marché, ce dernier règne sans partage… sur une trentaine de pharmacies. Vendu très cher, encombrant et compliqué à installer, il ne résistera pas à l’arrivée de l’Apotéka de Mékapharm. Si la préhistoire de l’automatisation en France commence avec PlusInfo-PEEM, son histoire débute à la fin des années 90 avec la rencontre de deux hommes : Jean-Louis Connier, opticien (voir encadré page 43), et Michel Poux, titulaire à Argentan (Orne). Ils fondent la société Mékapharm en mars 1999, dont l’unique produit reste l’Apotéka. Afin de faciliter le transport et le montage, la machine est démontable et transportable dans une camionnette. Exit la « grosse installation » germanique, place à l’épuré ! En région parisienne, Emmanuel Poux, fils de Michel et diplômé en pharmacie, Olivier Résano et Ralph Olayé se rencontrent à HEC. Ils soutiennent leur mémoire de fin d’étude sur la commercialisation du futur produit et créent à cette fin Phi Concept, SARL toujours en charge de la distribution de l’Apotéka. « J’avais 22 ans et l’aventure m’a séduit », se souvient Olivier Résano, directeur commercial de Mékapharm.
Des automates, en voilà !
Le premier modèle vendu est installé en août 1999 dans une officine du Cannet (Alpes-Maritimes). L’arrivée de concurrents, tels que le fabricant italien Tecnilab et le distributeur ARX, qui exposent dès 2000/2001 à Pharmagora, n’empêchera pas Mékapharm de creuser une sérieuse avance. Jusqu’à se tailler encore aujourd’hui près de 40 % de part de marché (en nombre de pharmacies équipées). Parmi les fournisseurs les plus importants et toujours présents, Mach 4 et son Robomat apparaît en 2003 suivi de l’automate de Pharmax en août 2004. De 2000 à 2007, le marché s’accroît jusqu’à compter une douzaine de vendeurs. Même des agenceurs comme Fahrenberger et son Robothek se mettent à l’automatisation. « Elle était encore considérée comme une composante de l’agencement. Pas comme une méthode de travail à part entière », témoigne Jean-Charles Gervasi, associé fondateur de Tecnilab. Profitant toujours de son avance, Mékapharm réalise en 2002 sa meilleure année : 106 installations.
De 2003 à 2007, l’automatisation vit ses années fastes. Nombre de pharmaciens se laissent aller à un achat d’impulsion ou, pour des raisons fiscales, souhaitent faire augmenter leur charges. On achète parfois sans trop y regarder des machines vendues, à cette époque, plus de 100 000 euros et en méconnaissant les caractéristiques techniques du produit. « J’ai entendu gémir un pharmacien qui s’était équipé d’un robot dans sa cave, se souvient Yves Comte, qui a créé l’Association des utilisateurs de robots et d’automates pour défendre les acheteurs face aux vendeurs. Il se retrouvait tout benêt devant ses clients à attendre que les boîtes lui parviennent au comptoir ! » Et l’association jouait alors la consolante pour les déçus de l’automatisation…
Quand le soufflé retombe
La crise vient refroidir les ardeurs technologiques des titulaires et l’assèchement du crédit se fait de plus en plus sentir à partir de 2008. Depuis, à coup de retrait ou de rachat, l’offre s’est rétractée. Le soufflé est retombé. Cinq fournisseurs représentent la plupart des ventes et des implantations aujourd’hui, avec, par ordre d’importance : Mékapharm, ARX, Mach4, Pharmax et Tecnilab. « Les anciennes machines telles que Anatole, Consys et Ariana ont vécu. Si elles peuvent toujours être opérationnelles, elles ne sont plus vendus », affirme Olivier Résano. Côté acheteurs, ils ont gagné en maturité et en réflexion. « J’ai visité une petite dizaine de d’officines avant de me décider », témoigne Philippe Potot, titulaire à Taverny (Val-d’Oise)et récemment acquéreur d’un robot. « Depuis 2007, les pharmaciens distinguent les systèmes entre eux, les comparent et s’efforcent de se concentrer sur celui le mieux adapté à leur géolocalisation », constate Vincent Deltour, de Meditech. Car après 15 ans d’existence, l’offre de produits reste encore marquée par l’antagonisme robot/automate, même si tous les fournisseurs proposent des systèmes combinés. Pour rappel, l’automate fonctionne par canaux, éjecteurs et force de gravité, et permet une délivrance très rapide. Le robot utilise un bras capable lui à la fois de ranger et de délivrer (mais moins vite que l’automate). Capacité de stockage, optimisation du rangement, vitesse de dispensation, architecture de l’officine, évolution des ventes de médicaments, changement du métier de pharmacien : tous les arguments sont bons pour vanter soit l’automate, soit le robot. Clarifions. Côté automates, des fabricants français de la première heure : Mékapharm et Pharmax. Côté robots, des fabricants, pour la plupart allemands, venus s’adapter au marché français : ARX-ROWA, Mach4, Meditech (belge). Parti de l’automate en 2000 avec son Mouv-tech puis Twin-Tech, le fabricant italien Tecnilab s’est, lui, lancé dans la robotisation avec son Dream-Tech puis son Evo-Tech. Il vante sa « gamme complète, adaptée au besoin de chaque pharmacie ».
Fabricants à couteaux tirés
Depuis 2011, de nouveaux acteurs sont arrivés sur ce marché. Ainsi Pharmagest propose le premier robot-comptoir Sellen (fabriqué par la société corse Intecum) avec un avantage mis en avant : le gain de place. La machine est conçue sur mesure selon les couleurs et les dimensions de la pharmacie. Les robots italiens Pharmathek (Sintesi, PTK 410…) entrent quant à eux en France par le biais de l’agenceur Th Kohl. Est-ce le retour des professionnels non spécialisés dans l’automatisation ? « La tendance va vers de moins en moins d’acteurs sur ce marché, vu la difficulté de notre métier et donc de la fragilité de quelques-uns d’entre nous », répond Stéphanie Barrière, de Synergie Tech, qui commercialise Tecnilab. « Le marché français est le plus concurrentiel d’Europe et donc où les prix sont les plus bas. Le nombre d’officines s’équipant évolue peu depuis plusieurs années. Seules les parts de marché ont évolué entre certains systèmes », poursuit Olivier Résano. Autrement dit, les fournisseurs se tirent dans les pattes et les années folles sont bien finies. Signe des tensions, ARX s’est plaint, auprès de l’Office européen des brevets, de contrefaçon contre Mékapharm (tête du robot utilisée dans l’Oméga). Cette affaire n’est pas la première puisqu’en 2007 Mach 4 avait attaqué (en vain) ARX. Dans ce contexte, les « roboticiens » tirent leur épingle du jeu. Et innovent. Ainsi, des robots aux dimensions standardisées vendus près de 80 000 euros ont été développés par ARX-ROWA, avec le Rowa Smart et Tecnilab avec son Evo-Tech Kompact.
Avantage aux robots ?
Si pour des raisons historiques, culturelles, et parce que les médecins français prescrivaient plusieurs boîtes, les automates étaient recherchés pour leur rapidité, le scénario actuel a changé « Depuis 2010, il se vend plus de robots que d’automates », n’hésite pas à affirmer Bertrand Juchs, directeur associé de la SAS Mach4 Pharma Systems. La baisse des prix des robots – qui restent plus chers que les automates – favoriserait ce mouvement. Mais pas seulement. La mécanisation a progressé dans les officines… et dans les esprits. Elle induit une nouvelle façon d’exercer. C’est selon ce principe que semblent se décider les titulaires. « Je suis fasciné quand je regarde mon bras-robot aller d’un point à un autre, recalculer en permanence les dimensions des boîtes, l’espace de stockage, pour trouver le meilleur rangement. Ses paramètres me dépassent complètement. Surtout nous, pharmaciens, qui avons en fac appris à ranger par forme et par ordre alphabétique. Lui ne range que pour optimiser l’espace », témoigne Philippe Potot. Cette « intelligence du stock » (rangement automatique optimisé, gestion des dates de péremption…) l’a conduit à préférer le robot à l’automate. Quitte à rajouter quelques milliers d’euros en plus. Autres temps, autres mœurs. Désormais familiarisés avec les machines, les pharmaciens leur en demandent plus. Le « roboticien » de choc Bertrand Juchs va même jusqu’à prédire la fin des automates pour défendre sa « paroisse » : « Les prix des robots baissent. Le nombre de boîtes prescrites baisse. La question est : quand l’épiphénomène franco-français qu’a représenté l’automate s’achèvera-t-il ? Partout dans le monde, c’est le robot qui l’emporte. Le business qui consiste à vendre des canaux fabriqués en Chine a vécu. Les fabricants d’automates sont d’ailleurs obligés de brader leurs appareils. »
Vers un partage des rôles
Le robot, équipement d’avenir des officines ? Les « automaticiens » s’insurgent. « Je n’y crois pas du tout !, réagit Stéphane Nizard, président de Pharmax. Pour les grosses pharmacies, les seules à tirer leur épingle du jeu désormais, il est clair que la dispensation doit s’effectuer rapidement. L’automate y est incontournable. » Même son de cloche du côté de Mékapharm : « Les robots ont évolué pour être plus rapides car notre position de leadership vient de cet argument phare. Mais ils n’ont jamais pu atteindre les performances de notre automate, les technologies le permettant étant évidemment brevetées. » Directeur commercial d’ARX France, François Legaud constate : « On voit de plus en plus d’automates de petite capacités, vendus près de 20 000 euros, pour un petit nombre de produits à forte rotation. » Loin donc des ventes à plus de 100 000 euros des années 2000 et d’une gestion « déléguée » du stock entier. Si cette gestion semble dévolue au robot grâce à son intelligence, la rapidité de dispensation reste l’apanage de l’automate. Se retrouvera-t-il surtout dans les grandes pharmacies ou en stockage d’appoint dans les plus petites ? « On nous a dit tant de fois que nous disparaîtrions… soupire Olivier Résano. Qui peut dire de quoi l’avenir sera fait ? » Et si justement l’avenir appartenait aux solutions mixtes (automate + robot) présents dans la plupart des catalogues ? Rien n’est moins sûr car les fabricants valorisent coûte que coûte leur système d’origine. Comme s’ils avaient développés leurs systèmes intermédiares uniquement pour rester dans la course… Une certitude, l’automatisation des stocks va se développer. Et pas seulement en pharmacie. Quant à l’association d’Yves Comte, en sommeil depuis sa retraite, elle cherche toujours son président…
Top 3 des acteurs
En nombre d’équipements en France et en parts de marché. Source : fabricants.
N° 1
Mékapharm 36,4 %
N° 2
ARX 17,1 %
N° 3 ex-aequo
Mach 4 15 %
N° 3 ex-aequo
Pharmax 15 %
L’automatisation pour les nuls
→ L’automate
Caractéristiques : un automate est un système de canaux où sont rangés les médicaments qui sont ensuite éjectés vers les points de délivrance.
Fabricants : Mékapharm, Pharmax.
→ Le robot
Caractéristiques : un robot est muni d’un bras et programmé électroniquement pour ranger (en optimisant l’espace) et pour délivrer.
Fabricants : ARX, Mach 4, Meditech, Tecnilab, Pharmatek.
→ Le système combiné
Caractéristiques : association d’un automate et d’un robot.
Apotéka/Mékapharm
Automaticien historique, Mekapharm trône depuis 14 ans sur le marché avec son produit phare l’Apotéka.
Robomat/Mach 4
Alliance de l’automate – la Speed Box – et du robot, le Robomat gère et optimise le stock. Forme et couleur personnalisables.
Clic Express/Pharmax
Fabriqué selon le système breveté de « rails amovibles intelligents », l’automate Clic Express est extrêmement compact et modulaire.
Evotec/Tecnilab
Par absence de séparateurs physiques sur les étagères, le robot Evotec optimise l’espace de rangement. Existe aussi en modèle standardisé (Kompact).
Rowa Smart/ARX
Robot au prix unique de 79 900 €HT, grâce à la standardisation de ses dimensions : 4,5 m de longueur, 2,5 m de hauteur, 1,63 de largeur. Disponible en deux jours.
MTXL/Meditech
Le robot MTLX assure une prise multipicking et multipackaging, 33 ventes entre 2010 et 2012.
Sellen/Pharmagest
Du 2 en 1 avec le robot-comptoir Sellen vendu par Pharmagest.
Sintesi/Pharmathek
Commercialisés depuis 2011 en France par l’agenceur Th Kohl, les robots de l’italien Pharmathek s’implantent peu à peu dans nos officines.
- Pharma espagnole : 9 milliards d’investissements et une réforme en vue
- Réforme de la facture électronique, mode d’emploi
- Mon espace santé : un guide pour maîtriser l’accès et la consultation
- Fraude à la e-CPS : l’alerte discrète mais ferme de l’Agence du numérique en santé
- Pharmacie de Trémuson : une officine bretonne pionnière en RSE et qualité
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis

