POURQUOI LE MODÈLE « GÉNÉRIQUE » DOIT CHANGER

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Publié le 5 octobre 2013
Par Francois Pouzaud
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Non seulement, le PLFSS prévoit 960 millions d’euros de baisse de prix en 2014, mais il s’en prend en plus aux coopérations commerciales, difficiles à vérifier, en instaurant « une obligation déclarative » des génériqueurs concernant les remises versées aux pharmaciens. Et la DGCCRF n’a pas attendu pour contrôler les officines.

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de décembre 2012 refait surface dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2014) présenté le 26 septembre dernier. Le gouvernement envisage « d’instaurer une déclaration des remises accordées aux pharmaciens pour chacune des spécialités génériques. » L’objectif est de faire émerger le véritable prix auquel les pharmaciens achètent les génériques et de permettre au Comité économique des produits de santé (CEPS) de faire évoluer les tarifs des médicaments génériques sur des bases plus proches des prix réellement pratiqués par les laboratoires.

Dans son rapport sur l’évaluation de la politique française des médicaments génériques, l’IGAS épingle la pratique persistante et peu transparente des marges arrière versées sous forme de prestations commerciales, et suggère d’instaurer un système de déplafonnement des remises accordées aux pharmaciens et de partage des gains entre pharmacie et Assurance maladie s’inspirant du « clawback » anglais (« récupération fiscale »). En revanche, le déplafonnement des remises n’est pas envisagé dans ce PLFSS. « La pire des choses serait d’avoir la transparence sans le déblocage des remises, s’inquiète Gilles Bonnefond, président de l’USPO, qui a proposé, mi-septembre, de supprimer le plafond de 17 %. On risque de condamner tous les titulaires endettés et de précipiter des restructurations d’officines. En l’absence de déplafonnement, les coopérations commerciales s’arrêteront et les baisses de prix ne seront supportées que par les pharmaciens. »

De son côté, la FSPF se dit prête à réformer le dispositif encadrant la négociation commerciale dans le sens d’une plus grande transparence. « Si nous sommes arrivés au bout du modèle, il faut le changer au profit d’un système parfaitement clair et identifié », déclare Philippe Gaertner, président de la FSPF. Mais les rémunérations touchées par les pharmaciens dans le cadre des coopérations commerciales, au demeurant légales, ne sont pas démesurées à ses yeux. « Elles n’ont pas fait bondir les résultats des officines mais ont seulement compensé les pertes de marge sur le médicament. »

Les premiers procès-verbaux tombent

Ce n’est pas d’aujourd’hui que les coopérations commerciales sont dans le collimateur des pouvoirs publics, mais, maintenant que le dispositif « tiers payant contre génériques » s’est en partie substitué au pharmacien, l’orientation donnée par le PLFSS est claire : il n’y aura plus aucune tolérance envers des coopérations commerciales « fictives ». Les premiers procès-verbaux de pharmaciens le démontrent. Dans le cadre d’une enquête nationale sur les relations commerciales entre les opérateurs du circuit pharmaceutique, la DGCCRF a opéré une vague de contrôles depuis juin dernier sur les pratiques des génériqueurs. Environ 400 pharmacies auraient déjà été contrôlées, notamment en Bretagne, Picardie, PACA et Auvergne, avec une dizaine de procès-verbaux d’infraction accompagnés d’une plainte auprès du procureur de la République.

En Bretagne, à l’issue de plusieurs interventions en pharmacie, les contrôleurs ont relevé un certain nombre d’anomalies qui sont reprises dans un courrier que la direction régionale des entreprises de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi a adressé aux deux coprésidentes du syndicat des pharmaciens du Morbihan. Elle leur demande un arrêt immédiat de ces pratiques. « Le service de la concurrence et de la répression des fraudes a une interprétation excessive des textes de loi », s’indigne Michèle Caro-David, coprésidente du syndicat des pharmaciens du Morbihan, rappelant que ce sont les tribunaux qui auront le dernier mot. « Sans le générique, les pharmacies ne sont pas viables », rappelle-t-elle.

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En Picardie, un contrôle s’est soldé par la constatation de 491 infractions de 5e classe (une par ligne de commande) donnant lieu à une amende de 736 500 € (à raison de 1 500 € par infraction) ! Faits reprochés : un montant de coopération commerciale très largement disproportionné au regard du montant des achats du pharmacien, et un contrat de coopération commerciale proposé par le laboratoire de génériques sous couvert d’une société de régie publicitaire qui ne vise qu’à masquer l’octroi de remises illicites.

En Loire-Atlantique, un titulaire nantais a été également verbalisé mais le procureur de la République n’a pas encore décidé s’il allait le poursuivre ou classer le dossier.

Réforme des remises contre honoraires

Lorsqu’il apparaît qu’il y a suffisamment d’argent dans le système pour permettre aux génériqueurs d’attribuer aux distributeurs des avantages financiers supérieurs à ce qui est autorisé, il y a de la place pour des baisses de prix des génériques. Voilà l’interprétation du gouvernement. Celles prévues dans le PLFSS 2014 (410 M€ d’économies) s’inscrivent clairement dans cette orientation. Les règles du jeu sur les génériques vont devoir changer pour éviter des procès à répétition. Ce qui pourrait arranger aussi les affaires des génériqueurs sur le plan économique… « Toute nouvelle pression draconienne sur les prix de l’industrie pharmaceutique du générique ne peut que se répercuter sur les composantes de ses coûts : la production [délocalisation, NdlR] et la distribution [baisse des remises, NdlR] », met en garde le Gemme, l’association des génériqueurs. Mais, dans ces conditions, tout échec ou nouveau report des négociations est interdit. Ainsi, Philippe Gaertner n’envisage pas d’entreprendre la réforme des remises si la rémunération du pharmacien n’évolue pas rapidement vers des honoraires de dispensation. Lui qui, mardi 1er octobre, a appelé au boycott de la réunion du 3 octobre du comité de suivi des génériques du CEPS, souhaite que la mise en place d’honoraires compense la perte de marge, estimée à 10 000 euros par pharmacie, induite par les mesures « médicament » du PLFSS 2014. « Les économies réalisées grâce au générique doivent participer à la mise en place des honoraires », martèle-t-il.

La profession sera rapidement fixée sur son sort lors de la présentation du PLFSS en Conseil des ministres, le 9 octobre prochain.

REPÈRES

34 000 euros de coopération commerciale (moyenne 2012 par pharmacie*).

160 000 euros d’achats en PFHT (moyenne par pharmacie et par an).

37,5 % sur le PFHT : remise globale (remises et coopérations).

* Source Fiducial

Les articles sur lesquels s’appuie la DGCCRF

Le rappel à l’ordre de la DGCCRF en Bretagne porte sur deux articles :

– article L. 138-9 du Code de la Sécurité sociale : « Les éléments comptables recueillis (factures, extraits de compte…) auprès des officinaux montrent que dans certains cas les avantages commerciaux perçus par [eux] dépassent les taux prévus par ce dispositif […]. Si les niveaux de remises mentionnés sur les factures paraissent conformes en première analyse, la prise en compte de l’ensemble de la relation commerciale permet de constater que les taux plafonds sont susceptibles, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, d’être dépassés par l’octroi d’avantages commerciaux conséquents, au titre, notamment, de la coopération commerciale ou de services statistiques ou d’études diverses » ;

– article L. 441-3 du code du commerce : « L’analyse des factures de prestations de services (dans la plupart des cas préétablies par les laboratoires […] sous forme d’autofacturation) […] ne permet pas connaître avec exactitude la nature et les modalités du ou des services rendus ».