Revoir le discours aux pharmaciens

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Publié le 12 février 2015
Par Francois Pouzaud
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N’en déplaise aux laboratoires de princeps, ils ne sont plus considérés par les pharmaciens comme de vrais partenaires. Explications et révélations d’une enquête du pôle Santé des Échos Études, en exclusivité dans « Pharmacien Manager ».

Paradoxe ! Le métier de pharmacien se transforme depuis que la loi HPST est effective : les pharmaciens trouvent l’envie, l’énergie et les ressources nécessaires pour évoluer dans le sens d’une meilleure prise en charge du patient. Mais, contre toute attente, les laboratoires de princeps restent à l’écart de ces évolutions, alors qu’ils pourraient se poser en partenaires privilégiés des pharmaciens dans leurs nouvelles missions. La récente enquête des Échos Études réalisée par Celtipharm, et révélée par Pharmacien Manager, apporte un éclairage sans concession sur les opinions et les attentes des titulaires vis-à-vis des laboratoires éthiques.

Premier enseignement : les relations se distendent. C’est en tout cas la perception des pharmaciens. « Ces relations sont de moins en moins fréquentes depuis trois ans pour près de la moitié des titulaires interrogés et, lorsqu’elles sont plus fréquentes, elles le sont essentiellement pour les achats directs de médicaments », rapporte Hélène Charrondière, directrice du pôle Pharmacie-Santé des Échos Études. Dans un contexte économique difficile pour l’officine, où les titulaires cherchent d’abord à ménager leur trésorerie, l’érosion des achats directs est une tendance de fond dont profite, par contre, le répartiteur.

Autre trait d’union avec les pharmaciens, la visite médicale tend également à diminuer pour 48 % des titulaires interrogés. En fait, tout cela n’est que le résultat d’une politique délibérée des laboratoires sur le plan commercial, cibler les pharmacies à haut potentiel. Néanmoins, quand ces relations perdurent, la majorité des pharmaciens n’en sont pas plus demandeurs. Ils ne sont que 40 % à souhaiter recevoir plus de visiteurs médicaux (VM) dans les années à venir. C’est donc que les pharmaciens en attendent manifestement autre chose ! « Les visites devraient être de véritables sessions de formation pour 56 % des pharmaciens qui reçoivent des VM, avec des contenus plus scientifiques, des informations de nature plus médicale pour 48 % d’entre eux », explique Hélène Charrondière.

Accompagnement à créer

La suite de l’enquête livre un constat assez dur pour les laboratoires de princeps. Face aux évolutions actuelles et futures de l’officine, les titulaires ne comptent pas sur eux pour les accompagner. Les partenaires privilégiés sont les groupements pour un tiers des pharmaciens interrogés et les laboratoires de génériques pour près d’un quart. Les laboratoires éthiques vont devoir revoir sérieusement leur stratégie avec l’officine s’ils veulent asseoir leur légitimité en tant que partenaires. D’autant que leur accompagnement n’est pas contesté pour la conduite et la mise en place d’entretiens pharmaceutiques destinés aux ­patients asthmatiques (pour 65 % des pharmaciens), à ceux sous AVK (60 %) et dans les actions de prévention et de dépistage (60 %). En revanche, seulement 37 % des sondés considèrent que les labos éthiques peuvent les aider dans la mise en place de bilans de médication. La profession serait-elle devenue méfiante, voyant les labos de princeps comme pourvoyeurs de médicaments, incapables d’intervenir sans aucune velléité promotionnelle de leurs produits. Les pharmaciens préfèrent cantonner les laboratoires éthiques à l’accompagnement des patients chroniques. À l’avenir, ils souhaiteraient être assistés pour le suivi des patients diabétiques (81 % des réponses), souffrant de pathologies cardiovasculaires (75 %) et pour le suivi des patients âgés (74 %). Pour ces labos en quête de reconnaissance, il y a là une possibilité de trouver un nouveau souffle en participant activement à la prévention, au dépistage, à l’observance… Cependant, l’accompagnement proposé reste, pour l’heure et au vu des réponses des pharmaciens, assez classique : formations, remise de brochures d’informations patients… Même si ces services sont jugés de bonne qualité (en ce domaine, plusieurs laboratoires sortent du lot : Sanofi, AstraZeneca, Pierre Fabre Médicament, GSK…), « Les pharmaciens attendent de leurs partenaires des modalités d’accompagnement plus originales qui seraient utiles dans le cadre des parcours de soins, comme des réunions communes pharmaciens/­médecins généralistes, pharmaciens/hospitaliers, for­mation en pharmacie clinique… », indique Hélène Charrondière. À l’heure de l’interprofessionnalité et de la coordination des parcours de soins, plus de 60 % des officinaux souhaiteraient partager leur expérience avec des médecins ­libéraux et près de 50 % avec d’autres pharmaciens, par exemple dans le cadre de réunions confraternelles. Un partage d’expériences qui ne serait pas très compliqué à monter pour les laboratoires éthiques, compte tenu de leur capacité à mailler les différents acteurs de santé ­régionaux et locaux.

Services digitaux à développer

Phénomène mondial, la santé connectée continue de gagner du terrain mais, là encore, les laboratoires éthiques ne sont pas bien positionnés par rapport aux attentes des pharmaciens. Leur offre de services digitaux destinés au patient (sites, applications mobiles, serious games…) est jugée peu innovante et différenciante et 45 % des pharmaciens ne la connaissent pas. « Ils sont partagés quant à l’intérêt des applications mobiles pour les patients : ils ne sont qu’un quart à les juger utiles, précise Hélène Charrondière. En revanche, ils souhaiteraient proposer à leurs patients souffrant de pathologies chroniques des piluliers et des applis pour améliorer l’observance aux traitements. »

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Ainsi, les laboratoires de princeps vont devoir reconsidérer le contenu de leurs discours avec les pharmaciens, plus sous l’angle du marketing de services que sous l’angle des politiques commerciales. Comment ? En ciblant des profils d’officines prêtes à investir dans les nouveaux services au patient plutôt qu’en tirant sur la corde fragile des ventes directes et de la visite médicale purement informative.