Déserts médicaux : bras de fer entre le gouvernement et l’Assemblée

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Déserts médicaux : bras de fer entre le gouvernement et l’Assemblée

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Publié le 7 avril 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Alors que l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi Garot visant à encadrer l’installation des médecins, le ministre délégué Yannick Neuder annonce des mesures alternatives pour « fin avril ». Deux visions s’opposent, sur fond de pénurie persistante de professionnels.

Le signal est clair : le gouvernement refuse de se laisser dicter sa ligne sur les déserts médicaux. Vendredi 5 avril, en déplacement en Isère, Yannick Neuder, ministre délégué chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, a annoncé qu’il présenterait ses propres « propositions » d’ici la fin du mois. Objectif affiché : bâtir un contre-projet à la proposition de loi de Guillaume Garot, adoptée deux jours plus tôt en première lecture à l’Assemblée nationale contre l’avis de l’exécutif.

« Je veux une solution concertée, pas une fausse bonne idée », a martelé Yannick Neuder depuis le CHU Grenoble Alpes, dénonçant un texte « dangereux » qui risquerait d’aboutir à une médecine à deux vitesses. La proposition de loi socialiste prévoit notamment un mécanisme de régulation à l’installation des médecins, fondé sur les besoins territoriaux — autrement dit, la fin de la liberté totale d’installation. Pour le gouvernement, cette régulation risque d’être contre-productive : « Je ne suis pas sûr qu’un médecin qu’on empêche de s’installer aille dans une zone sous-dense », a insisté le ministre, redoutant des effets pervers tels que le salariat forcé, le changement de métier ou le déconventionnement pur et simple.

Une proposition de loi adoptée malgré l’exécutif

La proposition Garot, adoptée le 3 avril à 88 voix contre 33, s’inscrit dans un climat de forte attente des élus locaux et des patients. Elle prévoit, entre autres, que toute nouvelle installation en zone surdotée soit conditionnée au départ d’un confrère, une logique dite du « postes à postes » déjà appliquée aux pharmaciens depuis la loi HPST de 2009.

Le texte bénéficie d’un soutien croissant parmi les parlementaires, toutes couleurs confondues. Il cristallise aussi les frustrations devant l’échec des dispositifs incitatifs : contrats d’engagement de service public, aides à l’installation, maisons de santé… malgré leur multiplication, 11,7 % des Français vivent dans un désert médical selon la Drees (2 023).

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Le gouvernement mise sur la formation et la coordination

Face à cette pression politique, Yannick Neuder défend une autre approche : augmenter les capacités de formation et mieux organiser l’offre de soins. Il promet une réforme structurelle de la formation médicale, avec la suppression du numerus apertus et un lien renforcé entre formation et besoins territoriaux. « Je veux former plus et former mieux, en lien avec les doyens, et faciliter l’intégration des étudiants revenus de l’étranger », a-t-il affirmé.

Le ministre plaide également pour un maillage territorial renforcé, en soutenant les exercices coordonnés, la coopération entre professionnels et la mutualisation public/privé. « Il faut arrêter d’opposer les acteurs, et construire des solutions de terrain, avec les soignants eux-mêmes », répète-t-il.

Deux visions irréconciliables ?

Derrière cette confrontation se dessine un clivage plus large entre régulation coercitive et incitations volontaires. Pour les syndicats de professionnels de santé, la régulation à l’installation reste un tabou. Le gouvernement, en reprenant leur argumentaire, semble vouloir éviter toute fracture avec les libéraux à l’approche du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2 026.

Mais les élus de terrain, eux, commencent à perdre patience. Dans plusieurs départements, des centaines de communes n’ont plus accès à un médecin généraliste. L’Ordre des médecins lui-même, longtemps hostile à toute régulation, a récemment reconnu la nécessité d’un « rééquilibrage ».

Quel rôle pour les pharmaciens ?

Pour les pharmaciens souvent seuls professionnels de santé présents dans les zones sous-denses, ils assurent une permanence de soins officieux, avec des responsabilités croissantes : vaccination, entretiens pharmaceutiques, tests rapides, bilans partagés de médication… Le débat sur la régulation médicale pourrait bien raviver les revendications de la profession : davantage de reconnaissance, d’autonomie clinique, et une intégration renforcée dans les organisations territoriales de santé.

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