Services à l’officine : oui, mais maintenant combien ?

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Publié le 18 octobre 2018
Par Francois Pouzaud
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Depuis le 6 octobre, les pharmaciens sont officiellement autorisés à proposer des services rémunérés à leurs patients. Ils vont devoir faire preuve d’imagination dans la construction de leur offre de services et de prestations. Le moment est également venu d’inventer un avenir sans gratuité.

Dix euros le test de dépistage du diabète, 12 € la dispensation de médicaments à domicile… Il va falloir vous y habituer, et vos patients aussi ! Après les nouvelles missions inscrites dans la convention pharmaceutique, les pharmaciens vont pouvoir se positionner sur le créneau des services rémunérés ne relevant pas systématiquement du champ conventionnel et du remboursement. Publié le 5 octobre dernier au Journal officiel, le décret « Services » constitue en effet une nouvelle étape dans la mutation amorcée par l’officine. Certainement même la plus déstabilisante, car ce décret remet en question un pilier traditionnel de l’exercice officinal : la gratuité des services. Dont le seul retour sur investissement réellement mesurable était – jusqu’ici – l’épanouissement personnel dans une dimension psychosociale. Un calcul uniquement en termes d’image donc.

Un changement radical des mentalités

« Le premier travail sera de convaincre les pharmaciens qu’ils peuvent proposer des services facturés », acquiesce Hélène Charrondière, directrice du pôle pharmacie-santé de l’institut d’études de marché Les Echos Etudes. Et ce n’est pas gagné ! Les résultats de l’enquête réalisée par Direct Medica pour les Echos Etudes en juillet 2018 montrent que 47 % des officinaux interrogés pensent que leurs clients/patients ne sont pas prêts à payer de leur poche des services qui ne sont pas remboursés par l’Assurance maladie. Contre seulement 4 % qui pensent qu’ils sont prêts à débourser de l’argent… Et pour 39 % des répondants, « cela dépend des services ». Ces réponses sont pourtant en décalage avec celles d’une enquête Ifop pour Giropharm menée en juillet 2017 qui révèlent, à l’inverse, des Français davantage émancipés à l’égard du paiement de prestations pharmaceutiques. Les personnes interrogées se disent notamment prêtes à profiter de l’expertise de leur pharmacien pour un « check-up santé express » (62 %). Parmi elles, les deux tiers sont même disposées à rémunérer leur pharmacien. Il est donc fort possible que les résistances les plus difficiles à lever ne soient pas celles des patients.

Avec tact et mesure

Dans ce nouvel écosystème des services, la profession va devoir se montrer « imaginative », comme l’appelle de ses vœux Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Les groupements qui ont fait du service leur cheval de bataille seront sans aucun doute des creusets d’idées. « Ils sont structurés et pertinents pour mettre en place et organiser ces nouveaux services rémunérés pour le compte de leurs adhérents ; les pratiques tarifaires devront répondre aux exigences de l’Autorité de la concurrence, mais également être adaptées aux exigences de ces services : temps passé, disponibilité de l’équipe, organisation des locaux, etc. », recommande Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). Sur ce point, Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) n’est pas inquiet : « Les groupements ont déjà anticipé les services rémunérés pour lesquels ils formeront les équipes officinales et équiperont les pharmacies, je leur fais confiance pour aider les pharmaciens à fixer le coût d’une prestation qui soit frappé de bon sens. » De son côté, Philippe Gaertner se garde de donner des consignes de prix pour ne pas être accusé d’entente. « Les prix devront être raisonnables, fixés avec tact et mesure, dans le respect du code de déontologie », se contente-t-il de commenter.

Comment parier cependant que ces services rémunérés ne feront pas le jeu d’une nouvelle bataille concurrentielle, la gratuité pouvant alors être exploitée comme l’argument numéro 1 pour capter de nouveaux clients et les fidéliser ? Alors qu’il s’agit de transformer l’essai « des services et des prestations », le président de l’USPO édicte ses règles de conduite : « Il ne faut galvauder ni la qualité de ces services, ni leur tarification. Des tarifs gratuits, sous-évalués ou, a contrario, démesurés entraîneront des situations explosives et suicidaires et se retourneront, dans un cas comme dans l’autre, contre ceux qui les ont pratiqués. »

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Un tarif conventionnel pour la PDA et la dispensation à domicile

Grâce à ce décret, les syndicats vont pouvoir revenir à la charge pour négocier la préparation des doses à administrer (PDA) et la dispensation à domicile avec l’Assurance maladie. « La PDA sera mise dans l’accord conventionnel avec Nicolas Revel (directeur de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, NdlR), car elle s’inscrit dans la suite logique des bilans de médication, estime Gilles Bonnefond. Il manque encore un référentiel de “bonnes pratiques ” indispensable pour s’assurer que le service rendu est de qualité. La négociation conventionnelle donnera le tempo d’une valeur de tarification, mais rien n’interdira de facturer aussi aux complémentaires santé, dans le cadre d’accords contractuels, et aux patients. »

Un modèle économique qui, selon lui, peut être dupliqué à d’autres services — prévention, dépistage du cancer colorectal, dépistage par TROD (test rapide d’orientation diagnostique) du diabète, du VIH, du risque cardiovasculaire, etc. –. Ces services, par la réalisation en retour d’études d’évaluation et d’impact économique, pourront ensuite revenir dans le périmètre de la convention, pour que tout ou partie soit pris en charge par l’Assurance maladie.

Passage en caisse

« Pour des services tels que la PDA ou nécessitant un espace de confidentialité, le business model sera difficile à créer, car il est propre à chaque pharmacie. Pour établir sa grille tarifaire, le pharmacien va devoir tenir compte de l’état de ses agencements et des nouveaux travaux à réaliser, du niveau d’amortissement de ses équipements et matériels, etc. », expose Hélène Decourteix, consultante e-santé et fondatrice de la société de conseil La Pharmacie Digitale.

Pour d’autres services, la prévention du mélanome mise en place en avril dans les pharmacies Pharmabest est par exemple proposée à 28 € pour un grain de beauté ou une tache et à 14 € pour le suivant. Cette somme est uniquement destinée à couvrir la rémunération du dermatologue expert. Le programme d’accompagnement diététique du patient diabétique de type 2 de Pharmacorp, en partenariat avec Roche Diabetes Care France, est, lui, forfaitisé (4 consultations par mois pour 49 €, soit 12,25 € la séance) et pris en charge par des complémentaires santé.

« Concernant les services de type entretiens en face à face avec un client/patient, si on prend comme hypothèse que leur durée moyenne est de 30 minutes, le tarif irait de 30 à 60 €… Cela me semble déjà très élevé, estime Hélène Charrondière. Il faudrait donc concevoir des formats d’entretiens plus courts, de maximum 15 minutes. Et éventuellement prévoir un prolongement connecté : envoi d’informations par mails, mise en relation du client/patient avec une plateforme téléphonique ou en ligne, etc. » Christian Grenier, président de Fédergy, signale toutefois que le coût de fonctionnement d’une officine est de 2 € par minute : « Il faut tenir compte de l’économie de l’officine et du coût d’une journée d’ouverture qui est de 1 000 euros. »

Pour déterminer des tarifs de « consultations » pharmaceutiques, Hélène Charrondière suggère de travailler avec plusieurs référentiels : les tarifs des téléconseils et téléconsultations en France (hors cadre Assurance maladie), ce qui peut donner une indication de la disposition à payer des clients/patients pour ce type de prestation ; les niveaux de tarification en vigueur dans d’autres pays (Royaume-Uni, Canada…), avec des marges d’incertitude importantes car la perception de la gratuité des service et des soins est beaucoup plus importante dans notre pays que dans d’autres. On ne se refait pas. 


À RETENIR


•  Vous êtes officiellement autorisés à proposer des services payants. Ils pourront être financés par les patients eux-mêmes ou leurs complémentaires.

•  Le décret « Services » publié le 5 octobre ne propose, bien entendu, aucune grille tarifaire.

•  « 1 € par minute » pourrait être une bonne base de réflexion.

REPÈRES 

A quoi ressemblera la pharmacie de demain ? Bernard Deniel, directeur de Media6 Pharmacie, spécialiste de l’agencement d’officine, l’a imaginé pour nous. Un plan idéal qui fait la part belle aux services. Lucien Bennatan, président du groupe PHR, livre son analyse et nous éclaire sur leurs tarifications.
PAR FRANÇOIS POUZAUD – PLAN : MeDIA6 PHARMACIE