Maladie d’Alzheimer : le lecanemab, contre la perte de mémoire et l’oubli du dépistage

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Maladie d’Alzheimer : le lecanemab, contre la perte de mémoire et l’oubli du dépistage

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Publié le 29 mars 2025
Par Romain Loury
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Disponible prochainement en accès précoce, le lecanemab, premier médicament freinant la progression de la maladie d’Alzheimer, pourrait bouleverser la prise en charge des patients et les inciter à un diagnostic plus précoce. À plus long terme, l’espoir d’un contrôle total de la maladie.

À l’été 2018, le ministère de la Santé annonçait le déremboursement des quatre seuls médicaments alors indiqués contre la maladie d’Alzheimer1. La Haute Autorité de santé (HAS) avait estimé, en 2016, que ces agents à visée symptomatique, d’une efficacité insuffisante, n’avaient plus leur place dans le traitement de cette affection neurodégénérative. Pour les associations de patients et les neurologues, l’annonce fut vécue comme un coup de tonnerre. En creux, elle soulignait le désert thérapeutique de la maladie d’Alzheimer, cantonnée à une prise en charge non médicamenteuse.

Sept ans plus tard, l’arrivée d’un premier traitement agissant sur la progression de la maladie, le lecanemab (Leqembi), augure une ère nouvelle2. Dirigé contre le peptide β-amyloïde, cet anticorps monoclonal, indiqué dans les formes précoces de l’affection, permet de nettoyer le cerveau des dépôts amyloïdes, lésions cérébrales qui entraînent la destruction des neurones.

Lors des essais cliniques, le lecanemab administré par perfusion toutes les deux semaines a été associé à une baisse de 27 % du déclin cognitif à 18 mois d’utilisation. Selon la Dre Marion Lévy, directrice scientifique de la Fondation Vaincre Alzheimer, « il s’agit d’un ralentissement du déclin cognitif, non d’une amélioration. Cet effet est statistiquement significatif, mais certains spécialistes l’estiment peu important d’un point de vue clinique. Il équivaut toutefois à environ six mois de gagnés, ce qui est important pour les patients ».

Retour en arrière

Le lecanemab a connu un parcours compliqué. En juillet 2024, il a recueilli un premier avis négatif du Comité des médicaments à usage humain (CHMP) de l’Agence européenne des médicaments (EMA). En cause, la survenue d’amyloid-related imaging abnormalities (Aria) chez environ 15 % des patients. Liées à l’élimination des dépôts amyloïdes, ces réactions œdémateuses ou hémorragiques, le plus souvent asymptomatiques, peuvent, dans de rares cas, entraîner de sévères complications neurologiques, voire le décès du patient.

Le CHMP a finalement fait volte-face en novembre, en raison d’un moindre risque chez les personnes porteuses d’une seule ou d’aucune copie de l’APOE4, allèle du gène APOE prédisposant à la maladie d’Alzheimer. Selon les recommandations du CHMP, le lecanemab sera contre-indiqué chez les porteurs de deux copies (homozygotes) d’APOE4 – soit environ 15 % des malades d’Alzheimer – et chez les patients sous traitement anticoagulant. De même, un suivi resserré par imagerie par résonance magnétique (IRM) doit être mené au cours des premiers mois de traitement.

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En attente de l’autorisation de mise sur le marché européenne, le lecanemab devrait bientôt être disponible en France en accès précoce. Le Pr Bruno Vellas, chef du pôle de gériatrie-gérontologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse (Haute-Garonne), dit l’espérer  « au cours de l’été ». Or, son arrivée prochaine pose de nouveaux défis en matière de prise en charge de la maladie, dont celui de son dépistage précoce. Comme pour toute affection disposant de peu d’options thérapeutiques, les raisons de se faire dépister sont ténues.

Incitation au dépistage précoce

« Puisqu’il n’existe actuellement pas de traitement, les patients ne ressentent pas d’intérêt à se faire diagnostiquer précocement d’une maladie qui leur fait très peur. Dans la grande majorité des cas, elle est diagnostiquée lorsqu’elle est déjà trop installée. L’arrivée du lecanemab souligne le fait qu’il faut plus d’équipements performants d’imagerie [en particulier la tomographie par émission de positons, ou TEP, amyloïdes, remboursée depuis 2023, NDLR], et qu’ils soient plus accessibles pour dépister les formes précoces », explique Kevin Rabiant, responsable du service études et recherche de l’association France Alzheimer et maladies apparentées.

Au-delà de la réticence à se faire dépister, le parcours diagnostique demeure long, rappelle Marion Lévy : « Lorsqu’il est consulté en première intention, le médecin généraliste programme des examens, qui sont analysés par un neurologue, avec lequel il faut souvent patienter plusieurs mois avant un rendez-vous. Il arrive que le patient consulte à un stade débutant, mais que le diagnostic soit établi à un stade déjà modéré ».

Attendu cette année dans les grands CHU, le diagnostic par biomarqueurs sanguins, les peptides phospho-tau, pourrait fluidifier le parcours des patients. « Ils ne permettront pas d’établir le diagnostic, mais nous indiqueront s’il y a lieu de mener des examens complémentaires. S’ils sont positifs, la personne sera dirigée vers des examens plus poussés, avec un neurologue et un neuropsychologue. S’ils sont négatifs, on pourrait proposer un suivi par le généraliste, par exemple avec un bilan tous les six mois », explique Marion Lévy.

Au-delà d’une incitation au dépistage précoce, l’arrivée du lecanemab devrait aussi bouleverser le fonctionnement des centres mémoire, sommés de trouver des places en hôpital de jour pour les perfusions bimensuelles, et des créneaux pour les IRM de contrôle. À la suite de l’avis positif du CHMP, la Fédération des centres mémoire (FCM) se dit mobilisée pour « apporter une aide à la structuration du parcours de soins » et « donner accès à des contenus qui seront utiles à la prescription (bilan préthérapeutique avec analyse du statut ApoE), la surveillance et le traitement des effets indésirables potentiels ». La FCM prévoit de publier prochainement des recommandations à ce sujet.

Autorisés aux États-Unis

D’autres médicaments anti-Alzheimer devraient arriver en Europe au cours des prochaines années. Autorisé en juillet 2024 aux États-Unis, en cours d’évaluation par l’EMA, le donanemab (Kisunla), également un antiamyloïde, a été associé à une baisse de 35 % du déclin cognitif à 18 mois. Côté recherche, des essais sont menés afin d’alléger la prise, que ce soit en vue de formes injectables par voie sous-cutanée – qui permettraient une administration en ambulatoire, voire à domicile –, ou d’une posologie espacée ou moins dosée pour limiter le risque d’aria.

Par ailleurs, « des essais sont en cours chez des patients asymptomatiques, mais positifs aux biomarqueurs, afin de voir s’il est possible de stopper la maladie d’Alzheimer », explique Bruno Vellas. Menées outre-Atlantique, deux études dénommées Ahead visent en effet à évaluer l’efficacité préventive du lecanemab chez des patients présentant de premières lésions amyloïdes, mais sans trouble cognitif déclaré.

Qu’il s’agisse de ralentir la progression de la maladie ou d’en atténuer les symptômes, 127 médicaments étaient en cours de développement début 2024, dont 32 en phase 3, selon le bilan annuel dressé par le Dr Jeffrey L. Cummings, neurologue à l’université du Nevada (États-Unis). Parmi eux, le trontinemab, en cours de phase 2, entraîne une élimination rapide des dépôts amyloïdes, avec un faible risque d’Aria. Évalué en phase 3, le sémaglutide, un agoniste du récepteur du GLP-1 indiqué contre le diabète de type 2 et l’obésité, suscite aussi l’intérêt. Selon une récente étude observationnelle, les patients sous sémaglutide seraient 40 à 70 % moins à risque de maladie d’Alzheimer que ceux prenant d’autres antidiabétiques.

Trop de tau pour crier victoire

Si les antiamyloïdes freinent le déclin cognitif mais n’empêchent pas la progression, c’est en raison de la complexité des lésions cérébrales impliquées dans cette affection. Au-delà des dépôts amyloïdes, l’agrégation intracellulaire de la protéine tau (pour tubulin associated unit) détruit le cytosquelette, déstructurant le neurone. « Le neurone est asphyxié par l’accumulation de β-amyloïde, mais également détruit de l’intérieur par celle de tau. Il meurt de nécrose, déversant son contenu dans l’espace extracellulaire, ce qui est très toxique pour les neurones voisins », explique Kevin Rabiant.

Bien que moins avancée que la recherche d’antiamyloïdes, celle de traitements anti-tau, plus ardue en raison de la localisation intracellulaire de la cible, se poursuit. Également en vue, la neuro-inflammation, qui caractérise toute maladie neurodégénérative. Selon Marion Lévy, « l’idéal serait de trouver des molécules qui ciblent différents axes, afin au moins d’arrêter la progression de la maladie. Et de faire en sorte que le patient puisse vivre avec, sans trop de contraintes. Tout comme pour le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), où la trithérapie a permis aux patients de vivre avec leur séropositivité ».

1 Il s’agit de trois anticholinestérasiques (donépézil, rivastigmine, galantamine) et d’un antiglutamatergique (mémantine).

2 Un autre antiamyloïde, l’aducanumab, fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché conditionnelle aux États-Unis depuis 2021. Un dossier a été déposé auprès de l’Agence européenne du médicament (EMA) avant d’être retiré en avril 2022. Faute de résultats cliniques probants, sa demande était peu susceptible d’aboutir.

À retenir

  • Le lecanemab, un anticorps monoclonal dirigé contre le peptide β-amyloïde, sera le premier traitement autorisé en Europe à agir sur la progression de la maladie d’Alzheimer.
  • Réservé aux patients au stade précoce de la maladie, il constitue une incitation forte à accélérer le diagnostic, notamment à l’aide de biomarqueurs sanguins.
  • D’autres antiamyloïdes devraient arriver sur le marché au cours des prochaines années, tandis que les recherches se poursuivent sur des cibles thérapeutiques variées.