L’arthrose du genou donne du cartilage à retordre

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L’arthrose du genou donne du cartilage à retordre

Publié le 12 août 2025
Par Romain Loury
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Malgré sa prévalence élevée dans la population, l’arthrose du genou dispose d’un arsenal thérapeutique limité, essentiellement à visée antalgique. Les efforts se poursuivent pour développer des traitements capables de freiner la progression de la maladie, voire régénérer le cartilage.

Contre l’arthrose du genou, la plus fréquente devant celles de la hanche et de la main, « l’activité physique, la perte de poids et la rééducation constituent le trépied de la prise en charge », rappelle le Pr Christian Roux, du service de rhumatologie du centre hospitalier universitaire de Nice (Alpes-Maritimes). Quant à l’arsenal thérapeutique, il repose essentiellement sur des traitements antalgiques.

Parmi ceux évoqués par la Société française de rhumatologie (SFR) dans ses recommandations de 2020, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) per os et topiques, les opioïdes faibles, voire les forts en dernière intention. Concernant le paracétamol, « d’efficacité très modeste, statistiquement significative mais cliniquement non pertinente », il peut être prescrit comme traitement d’appoint, mais pas au long cours.

Si les infiltrations intra-articulaires de corticoïdes font largement consensus en cas de poussée inflammatoire, celles d’acide hyaluronique ont été déremboursées en 2017 à la suite de leur réévaluation par la Haute Autorité de santé (HAS) qui, à l’inverse de la SFR, les jugent peu efficaces. Deux ans plus tôt, les antiarthrosiques symptomatiques d’action lente (AASAL), à savoir insaponifiables d’avocat et de soja, chondroïtine, glucosamine et diacéréine, jusqu’alors remboursés à hauteur de 15 %, avaient subi le même sort.

Avis contrasté sur les antiarthrosiques d’action lente

Selon l’évaluation de la HAS, les effets des AASAL sur la douleur et la gêne fonctionnelle liées à l’arthrose sont minimes. D’autre part, la prise d’AASAL n’est pas liée à une moindre consommation des AINS. La SFR explique que leurs effets sur la douleur et la gêne fonctionnelle « peuvent être observés de manière statistiquement significative comparativement à un placebo, mais la pertinence clinique de cet effet à l’échelon individuel demeure discutable ». D’autres sociétés savantes ne les recommandent plus, comme l’American College of Rheumatology (ACR), qui n’évoque que l’usage de chondroïtine contre l’arthrose de la main.

Selon le Pr Florent Eymard, du service de rhumatologie de l’hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne), « le déremboursement a probablement diminué la prescription d’AASAL. Certains patients continuent à en prendre, car ils estiment leur douleur plutôt apaisée. Il s’agit d’une solution complémentaire, non d’un traitement miraculeux qui permet de soulager complètement la douleur ».

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Du côté des patients, l’Association française de lutte antirhumatismale (Aflar) défend ces médicaments. Selon sa présidente, Françoise Alliot-Launois, « les AASAL sont un traitement au long cours. Leurs effets ne surviennent qu’après deux, trois mois. Il faut les prendre à raison de deux à trois cures par an, ou en continu ».

Une maladie fréquente… mais négligée

Comment expliquer que, malgré sa forte prévalence, la gonarthrose compte aussi peu d’options thérapeutiques ? Le contraste est saisissant avec des maladies rhumatismales moins fréquentes, comme la polyarthrite rhumatoïde et la spondylarthrite, dont la prise en charge a été bouleversée par l’arrivée des biothérapies au début des années 2000.

Selon Françoise Alliot-Launois, cette faible offre s’expliquerait par des préjugés persistants « des praticiens comme des patients. Parmi les idées reçues : c’est une maladie normale car liée au vieillissement. D’autres disent que l’articulation est usée parce qu’on s’en est trop servi. Certains pensent même que c’est une maladie qui passe toute seule !».

Autre écueil, l’évolution lente de la maladie complique l’évaluation des médicaments lors d’essais cliniques. Par ailleurs, sa physiopathologie demeure mal comprise. « Quand j’étais étudiant en médecine, l’arthrose nous était présentée comme une pathologie du cartilage », se souvient Christian Roux. «Puis on a réalisé que l’os sous-chondral jouait aussi un rôle important. Actuellement, on se rend compte que l’inflammation du tissu synovial constitue probablement l’un des premiers éléments du développement de cette pathologie. » D’où la difficulté de trouver un médicament efficace : « La plupart des études ont trait à des mécanismes qui ne portent que sur un seul tissu. Il y a donc peu d’effet observé, parce que l’arthrose implique divers tissus», ajoute le rhumatologue niçois.

Considérée comme une «maladie de vieux» alors que plus de 1 cas sur 2 survient avant 55 ans, l’arthrose n’est détectée qu’au stade douloureux, où les médicaments pourraient être moins efficaces. Selon Florent Eymard, «elle peut débuter assez tôt au cours de la vie, et évolue de manière très progressive. Quand elle devient symptomatique, c’est qu’elle est déjà avancée. De plus, la gonarthrose d’un sujet obèse diabétique n’est pas la même que celle d’un sportif de haut niveau. Imaginer qu’une seule molécule puisse être efficace dans ces différents contextes est peut-être illusoire».

En quête de traitements actifs sur l’articulation

En 2018, la Food and Drug Administration (FDA) a accordé à l’arthrose l’appellation de « serious condition ». Selon ce statut, une autorisation de mise sur le marché conditionnelle pourrait être délivrée à un nouveau médicament sur la base d’études de phase 2, reposant sur des marqueurs intermédiaires (douleur, gêne fonctionnelle, progression radiographique), ensuite consolidés.

« La recherche a avancé ces dernières années. Un grand nombre de molécules sont à l’étude, ce qui n’était pas le cas il y a 15ans », constate Florent Eymard. « Le problème, c’est que peu de candidats passent le cap des études chez l’animal, ou de premiers essais chez l’homme ». Parmi les plus avancés, la sprifermine, analogue du facteur de croissance des fibroblastes FGF18, et le lorecivivint, inhibiteur de kinases de la voie Wnt, impliquées dans la pathophysiologie de l’arthrose, ont obtenu des résultats décevants. Quant au méthotrexate, ses résultats divergent d’une étude à l’autre.

Les effets bénéfiques de certains aGLP-1

Actuellement en vogue, la piste des agonistes du récepteur du GLP-1 (aGLP-1) suscite l’intérêt. Lors d’une étude publiée en 2022, le sémaglutide a été associé à une amélioration importante de la douleur et de la fonction physique chez des patients gonarthrosiques. « De nombreuses études montrent que le poids compte pour beaucoup dans les douleurs de l’arthrose du genou. Mais on ne sait pas encore si les bénéfices observés sont uniquement dus à la perte de poids ou si s’ajoute une action directe sur l’articulation », explique Florent Eymard.

La relation entre obésité et arthrose semble dépasser la seule contrainte mécanique liée à la surcharge articulaire. «Il existe aussi un lien systémique avec le poids, observé dans l’arthrose digitale [qui implique des articulations non porteuses, NDLR]. Le tissu adipeux produit des substances, dont des cytokines inflammatoires, qui peuvent agir à distance sur l’articulation», explique Christian Roux.

La réponse à ces questions pourrait être tranchée par les travaux menés sur un autre aGLP-1, le liraglutide. Lors d’une étude française sur la souris, cette molécule, injectée au niveau intra-articulaire, a entraîné une réduction de la douleur, ainsi qu’une baisse de l’inflammation articulaire et de la production d’enzymes impliquées dans la destruction du cartilage. Coordonné par l’équipe de rhumatologie de l’hôpital Saint-Antoine (Paris), un premier essai est sur le point de débuter chez l’homme.

D’autres molécules à l’essai

Parmi les autres pistes, l’injection articulaire de plasma riche en plaquettes (PRP) pourrait soulager les douleurs et réduire la raideur articulaire. « Les résultats sont hétérogènes, mais les méta-analyses suggèrent une efficacité peut-être supérieure à l’acide hyaluronique et plus durable que les corticoïdes », constate Florent Eymard. Quant aux injections de cellules souches, qui visent à régénérer le cartilage, de récents résultats se sont avérés décevants. Également à l’étude, l’artérioembolisation consiste à boucher les artères géniculées qui alimentent l’articulation. Cette technique a livré des résultats encourageants lors d’études ouvertes. Deux projets devraient prochainement débuter en France, l’un dans la gonarthrose, l’autre (coordonné par Christian Roux) chez des patients aux douleurs persistantes après la pose d’une prothèse de genou.

À retenir

  • Rhumatisme très fréquent, l’arthrose du genou dispose d’un faible arsenal thérapeutique.
  • Parmi les écueils de la recherche clinique, une perception erronée de la maladie, une physiopathologie complexe et variable d’un sujet à l’autre, des diagnostics posés à un stade avancé.
  • Malgré les échecs, la recherche se poursuit sur divers fronts. Parmi les pistes les plus prometteuses, celle des agonistes du récepteur du GLP-1.