Le Jour du Soigneur

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Publié le 28 mars 2009
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33 millions de séropositifs dans le monde, 150 000 en France. Ces chiffres, rappelés lors du Sidaction dans la foulée des propos papaux, remettent la capote sous les feux de la rampe. C’est l’occasion pour les pharmaciens qui seraient timorés de se ressaisir.

Dire que le préservatif ne protège pas du sida est une contrevérité scientifique absolue. Le préservatif est le seul moyen de préservation contre la maladie. Le message de Benoît XVI est catastrophique en termes de santé publique. » Ces propos de Roselyne Bachelot, synthétisent à eux seuls la levée de boucliers qui a suivi le discours tenu la semaine dernière en Afrique par l’ex-préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi (anciennement Inquisition). Qu’il s’agisse « d’erreurs manifestes de communication » et/ou de « propos injustement interprétés », comme l’a déclaré un évêque français, le résultat est là. En Afrique, l’effet sur les populations pourrait en être « gravissime », s’inquiète Médecins du monde.

Trop peu de préservatifs à bas prix dans les officines

Chez nous, l’événement a surtout remis un coup de projecteur sur l’importance de la prévention, surtout en pleine période de Sidaction (5,6 MEuro(s) de promesses de dons, soit 400 000 Euro(s) de plus par rapport à 2008 (1)). Et permis à Christophe Dechavanne, promoteur du préservatif à 1 F, de déplorer les relâchements et, en prime time, de tancer les pharmaciens trop timorés sur la capote à 20 centimes. De fait, outre le millier d’officinaux adhérents à Croix verte et Ruban rouge, seuls les pharmaciens des groupements PHR (60 à 70 % de ses 2 600 adhérents) et les 880 de Plus Pharmacie proposent en permanence des préservatifs à bas prix (2).

C’est peu, et même « honteux », selon Jean Lamarche, président de Croix verte et Ruban rouge, même si Lucien Bennatan, président de PHR, « trouve dommage que Christophe Dechavanne s’en prenne à la profession ». Ce sont des « propos diffamatoires et virulents », ajoute Jean-Philippe Delsart, président de l’Association française des pharmaciens catholiques. Mais Lucien Bennatan concède qu’« il ne faut pas nous dédouaner. 50 % de la profession refuse encore de dispenser la contraception d’urgence. Or on ne peut pas, sous couvert de je ne sais quelle conviction, ne pas être au service de la santé ». Jean-Philippe Delsart s’en défend : « Nous sommes avant tout des professionnels de santé, donc soucieux de la santé publique, et nous jouons vraiment le jeu. Le préservatif est quand même aujourd’hui le moyen technique pour limiter la propagation du sida. » Toutefois, « le moyen idéal de protection pour les contaminés est l’abstinence. Pour les couples sérodiscordants, le préservatif », estime-t-il…

Pas le temps, pas assez de marge, confidentialité inexistante…

De son côté, Antoine & Associés vend 25 millions de préservatifs par an via les maisons de presse, buralistes ou GMS, mais déplore n’avoir qu’une poignée de clients pharmaciens malgré un démarchage régulier. « Au début, ils m’ont demandé une gamme normée NF (3), mais ils n’en veulent pas, souvent au motif que la marge (50 %) est trop faible », déclare Hervé Antoine. « Personnellement, je n’ai jamais autant vendu de Durex ou de Manix que depuis que j’ai les Polidis à 20 centimes à côté », réagit Jean Lamarche. Force est de constater que le marché du préservatif chute à l’officine tandis qu’il croît en GMS (voir notre hors-série « Marché » n° 2736/2737). Or « la prévention fait tant partie du métier que ce serait dommage de se faire doubler par d’autres circuits », relève Julian Benwaïche, de Plus Pharmacie. En attendant, avec 96 millions de préservatifs achetés l’an dernier, les Français sont loin derrière les Britanniques (180 millions), les Espagnols (200), les Allemands (240) ou les Italiens (240). Inquiétant.

« Il faut cibler en priorité certains populations dites plus à risque comme les homosexuels ou les personnes migrantes. Les pharmaciens ne sont pas assez impliqués dans ce domaine », déclarait le 29 novembre dans nos colonnes Anne Guérin, directrice d’Arcat. Pourtant, la simple mise à disposition de brochures sur la sexualité trouve preneurs, selon une étude menée l’an dernier par l’association : 80 % des clients interrogés à la sortie des 10 pharmacies parisiennes participantes se disent intéressés, estimant que c’est « le bon lieu pour informer sur le VIH mais que se pose un problème de confidentialité ». Quant à l’éventuel argument du manque de formation sur la façon d’aborder la sexualité au comptoir, l’UTIP se montre sceptique : « Oui, il faut donner des pistes pratiques au pharmacien pour dédramatiser. Mais si on veut s’impliquer, on va au-devant des questions et il n’y a plus de tabou ! », estime Marina Jamet, trésorière de l’UTIP, titulaire à Paris et membre du réseau santé Paris-Nord.

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« Une occasion de rebondir pour ne plus être montré du doigt »

Certes, la Journée mondiale de lutte contre le sida ou le Sidaction sont autant de « bons coups de pouce » pour « stimuler » les officinaux, souligne Marina Jamet, vice-présidente du Cespharm. Mais « il arrive que les professionnels de santé manquent de brochures ». Et d’ajouter un message subliminal à l’intention de nos autorités : « Nous, pharmaciens, pourrions être mieux utilisés. Ce serait d’ailleurs fédérateur plutôt que de voir chaque pharmacien se mobiliser dans son coin. »

Quoi qu’il en soit, la mobilisation est de plus en plus nécessaire. Selon Onusida, « dans les pays industrialisés, les succès des thérapies antirétrovirales […] peuvent altérer la perception des risques associés au VIH. […] La promotion d’une utilisation correcte et régulière des préservatifs […] est essentielle ». En France, 140 à 150 000 personnes vivent avec le virus et les experts estiment que plus de 40 000 ignorent leur séropositivité. D’après Anne Guérin, environ 40 % des nouveaux cas concernent les plus de 40 ans.

Alors, dans la foulée de la polémique papale, si les pharmaciens saisissaient « une occasion de rebondir pour ne plus être montrés du doigt ? », lance Lucien Bennatan, qui réclame à nouveau au passage la possibilité de communiquer. « Mettre le panier de préservatifs à bas prix sur le comptoir est déjà un très bon moyen de communication », réagit Marina Jamet. Et Jean Lamarche de conclure : « Les pharmaciens ont ici une responsabilité particulière. S’ils ne l’assument pas, il faudra peut-être s’en remettre à d’autres distributeurs, l’intérêt de la santé passe avant celui de la pharmacie. Ce manque d’investissement dure depuis trop longtemps. »

(1) Les dons restent possibles jusqu’au 11 avril par téléphone (110), par SMS (tapez DON au 33 000) et sur Internet : http://www.sidaction.org.

(2) Unitaires à 20 centimes chez Croix verte et ruban rouge, boîte de 5 pour 1 euro chez PHR, boîte de 12 pour 2 euros chez Plus Pharmacie.

(3) Make Love, distribué par Osclam, Efficare, Visiomed, In Pharma, chez les répartiteurs…

Pas de clause de conscience

Le refus de délivrance consacré par l’article R. 4235-61 du Code de la santé publique ne peut être motivé que par des raisons de santé et non par des convictions personnelles, morales ou religieuses. Seuls les médecins, les sages-femmes, les infirmiers et les auxiliaires médicaux peuvent l’invoquer, et uniquement en matière d’avortement (art. L. 2212-8 du CSP) et de stérilisation à visée contraceptive (art. L. 2123-1). Si le pharmacien peut ne pas détenir en stock des préservatifs, cela reste délicat au regard de l’article R. 4235-8 du CSP selon lequel « les pharmaciens sont tenus de prêter leur concours aux actions entreprises par les autorités compétentes en vue de la protection de la santé ». F.R.

ce que vous en pensez

La polémique au sujet des propos du pape

Paul Carles, Nîmes (Gard)

Je suis outré par les propos du pape qui risquent de casser vingt années de travail sur la prévention de l’infection VIH et le port du préservatif. J’ai eu l’occasion de m’exprimer localement en tant que responsable d’un réseau VIH. Les associations de familles catholiques ont également réagi vivement à ses déclarations qui auront davantage un impact négatif dans les pays africains et sud-américains qui sont très à l’écoute de ses paroles. Maintenant, il faut relancer les grandes campagnes nationales, saisir localement toutes les occasions de prendre la parole pour faire passer des messages d’éducation et de prévention et, bien sûr, maintenir en permanence des offres de préservatifs à bas prix en officine.

Martine Magnaudeix, Montpellier (Hérault)

Comme tout pharmacien, j’ai réagi aux déclarations du pape et suis en désaccord avec lui en tant que catholique. La polémique déclenchée par cette phrase malheureuse peut avoir le mérite de relancer les actions de prévention. Mais on pourrait trouver d’autres prétextes pour en entreprendre. Par exemple, les lycéens pourraient être pris comme cible car n’appartenant pas à la « génération sida », sous-estimant donc la gravité de la maladie. Les seniors aussi sont exposés. J’ai eu un cas de sida dans ma clientèle âgée. Le prix des préservatifs ne baissera pas dans mon officine car j’estime ne pas pouvoir faire mieux.

Françoise Bloch, Mur-de-Sologne (Loir-et-Cher)

C’est peut-être un mal pour un bien. Nous allons pouvoir nous servir des propos du pape comme tremplin pour la prévention. Cela nous fait prendre conscience de la nécessité de rester motivés dans le combat à mener, en particulier auprès des jeunes. Je ne crois pas que le discours du pape aggrave cet état de fait. En revanche, il pourrait avoir une mauvaise influence sur les pratiquants catholiques.

Propos recueillis par François Pouzaud