Le fiasco de la charte de bonnes pratiques commerciales en OTC

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Publié le 4 avril 2009
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La charte de bonnes pratiques commerciales sur la médication officinale signée en mars 2008 devait être l’une des clés du succès du libre accès. Avec une baisse de prix à la clé. Un an après, une enquête de l’UNPF sur les prix catalogue dénonce une augmentation des tarifs de 8,7 % en moyenne. Les signataires vont vite devoir se reprendre pour ne pas s’attirer les foudres des pouvoirs publics.

C’est un véritable scandale, les laboratoires se sont moqués de nous en augmentant de façon éhontée leurs prix catalogue ! », dénonce Claude Japhet, président de l’UNPF. A une exception près, ils n’ont donc pas baissé les prix catalogue, alors qu’ils s’étaient engagés à le faire en signant la charte de bonnes pratiques commerciales paraphée par les syndicats de pharmaciens, l’AFIPA et le Leem il y a tout juste un an. Sur les 300 premiers produits qui représentent 13 % de l’ensemble des médicaments de prescription médicale facultative non remboursables et 60 % de ce marché en volume, les prix fabricants ont progressé en moyenne de 8,7 % en 2009 versus 2008. Plus précisément, 190 produits ont vu leur prix augmenter au 1er janvier, 90 conservent le même et seulement 20 produits, tous du même laboratoire, ont baissé leur prix.

En révélant les résultats de son enquête sur les prix industriels des médicaments OTC, l’UNPF fustige l’ensemble de la chaîne de distribution du médicament. Au-delà d’un sentiment de déception légitime des autorités de tutelle, la confiance de Roselyne Bachelot dans les pharmaciens risque d’être sérieusement entamée. La profession risque de perdre ni plus ni moins son soutien. La ministre de la Santé avait jusqu’ici défendu sans relâche la profession pour que l’OTC reste à l’officine. Saluée par tous comme une avancée historique, la charte était d’ailleurs un signal fort adressé en ce sens.

Des efforts anéantis par des dérapages des prix catalogue

Un an plus tard, il n’en est rien. « Les industriels ont bien manoeuvré, ne décolère pas Claude Japhet, le pharmacien doit rogner sur sa marge pour maintenir ou baisser ses prix publics. » Ce qui est donc mission impossible quand il achète ses produits chez son grossiste. En vendant au répartiteur, le laboratoire n’a pas intérêt à toucher à ses prix industriels car toute baisse de tarif, à remise constante (14,75 %), constitue une perte sèche de CA. Or, selon le président de l’UNPF, au moins un tiers des flux de ces 300 produits passe par le répartiteur. « Les prix ne peuvent donc pas baisser et l’officine est tenue pour responsable ! », s’exclame-t-il. « Les laboratoires ont baissé les remises plus que les prix », ironise Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. De son côté, Philippe Gaertner, président de la FSPF, attend avec impatience le compte rendu de l’observatoire prévu pour la mi-avril, qui permettra de faire un état des lieux précis des prix industriels et des prix publics pratiqués. Sur ce point, le libre accès avait valeur de test pour l’officine. Les baisses de prix publics, quand elles ont eu lieu, ont porté en priorité sur les médicaments de cette zone et Philippe Gaertner se réjouit des efforts fournis par la profession. Même si, juste derrière, le ton change : « Nous n’acceptons pas qu’ils soient anéantis par les dérapages des prix catalogue. »

Pour La Cooper, opposée au libre accès et non signataire de la charte, la baisse des prix reste encore à prouver. « On entend tout et son contraire sur l’évolution des prix. Pour l’heure, le libre accès n’a rien changé et le seul chiffre cohérent disponible est celui d’IMS sur l’augmentation de 0,6 % du prix public du médicament OTC en 2008 », maintient Gilles Alberti, directeur stratégie et développement de La Cooper. Sur le terrain, il constate que les pratiques des pharmaciens évoluent peu et que leur attention se focalise plus sur les conditions commerciales que sur les prix catalogue. « Environ 60 % d’entre eux appliquent un coefficient de 1,66 sur le prix catalogue, 20 % un coefficient de 2 sur le prix net tandis que les 5 à 10 % de discounters vendent quasiment à prix coûtant avec un coefficient de 1,15 à 1,20 sur le prix net », estime-t-il. Ainsi, les marges que s’octroient certains sont plus que confortables, approchant les 60 % après remises (voir encadré p. 8). Chaque acteur va donc devoir balayer devant sa porte ! « C’est en éduquant le pharmacien à calculer son prix public à partir d’un prix net remisé que les prix baisseront », assure Gilles Alberti.

Les industriels refusent de porter seuls le chapeau

Répondant aux accusations portées par les syndicats, Vincent Cotard, président de l’AFIPA, accepte la critique et conçoit que les politiques commerciales de certains de ses adhérents soient discutables. Il invite même les pharmaciens « à forcer la main aux laboratoires dont la politique commerciale ne permet pas de répondre aux engagements de la charte ». Mais il rappelle que « les signataires se sont engagés pour une plus grande transparence et une meilleure lisibilité des prix, mais pas strictement sur une baisse des prix ». Les industriels refusent donc de porter seuls le chapeau… Vincent Cotard ne souhaite pas porter un jugement sur les politiques commerciales des pharmaciens, histoire de ne pas envenimer les choses. Mais il n’en pense pas moins : ils ne sont pas non plus exempts de tout reproche concernant les prix et les marges qu’ils appliquent. « Si l’on analyse et compare les pratiques de chacun, les pharmaciens ne seront pas gagnants dans cet exercice, personne n’a donc intérêt à entrer dans une polémique stérile. En revanche, nous avons intérêt à nous mettre autour d’une table et nous interroger sur la construction d’un prix consommateur pour parvenir à plus de cohérence en ce domaine. »

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Ni d’un côté, ni de l’autre, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de grands changements dans les comportements. « Après un an de vie de la charte, le bilan est au milieu du gué », considère Gilles Bonnefond, qui appelle à plus de transparence sur les prix d’achat et les prix publics. Pour vous (voir « Ce que vous en pensez » p. 10), ce raté n’est pas vraiment une surprise. Dès le départ, la signature de la charte a été un effet de manches aux seules fins de calmer le jeu avec le ministère et la DGCCRF. Les signataires se sont défilés. D’ailleurs, peu de temps après, l’UNPF avait claqué la porte du comité de suivi et refusé de participer à l’observatoire des prix car il n’était pas conforme au cahier des charges arrêté. « L’AFIPA veut limiter l’activité de l’observatoire au seul suivi des prix publics alors que nous avions demandé un droit de regard sur les prix fabricants. Si cela avait été accepté, leurs manoeuvres industrielles auraient été vite déjouées. » Et Claude Japhet d’annoncer : « Un accord est en passe d’être finalisé avec l’USPO et le Collectif des groupements pour créer notre propre observatoire de tous les marchés. A partir des factures, nous aurons ainsi toutes les données en main : prix catalogue, prix remisés, prix public… »

Les nouveaux délais de paiement plombent la trésorerie

Autre soupe à la grimace pour les pharmaciens : depuis le 1er janvier 2009, les délais de paiement ne peuvent plus, en principe, dépasser 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de l’émission de la facture. Exit donc les prises de commandes de six mois ! Sauf à ce que le laboratoire accepte de les fractionner et de les livrer en trois fois. D’autres ont profité du flou artistique sur l’application de la loi de modernisation de l’économie pour proposer des délais de paiement supérieurs (à 90 jours) comme le prévoit l’accord interprofessionnel dérogatoire déposé par les syndicats et le Leem, et sur lequel la DGCCRF ne s’est toujours pas prononcée. Depuis le 30 mars, l’alignement à 60 jours est donc la règle en l’absence de validation par décret. Un changement lourd de conséquences sur le plan financier pour beaucoup de pharmaciens. Avec des effets parfois dramatiques sur la trésorerie, comme pour ce pharmacien qui, en passant d’un règlement de 75 à 60 jours, se retrouve maintenant à devoir financer 150 000 euros. « Baisse des remises, augmentation des prix d’achat pharmaciens, délais de paiement réduits…, les pharmaciens ne pourront pas absorber ce nouvel à-coup de trésorerie », s’inquiète Gilles Bonnefond.

Après avoir perdu un an, pharmaciens et industriels sont-ils enfin prêts à jouer le jeu de la transparence, à ne plus se renvoyer la balle et à s’entendre pour proposer au consommateur des médicaments innovants à des prix acceptables ? Vincent Cotard estime que cela est encore possible par la transparence des prix et le nombre croissant de médicaments en libre accès. « Sous l’effet de ces deux facteurs, les prix extrêmes vont se corriger naturellement, ce qui entraînera une baisse des prix de l’ordre de 0,5% à 2% sur le libre accès. » Mais baisser à outrance les prix n’est pas non plus le but recherché par cet industriel qui rappelle que le prix du médicament OTC en France est inférieur à la moyenne européenne. « Nous avons l’obligation de réussir ensemble », martèle Philippe Gaertner. Il faut maintenant espérer que les signataires de la charte repartent du bon pied, car, vis-à-vis des autorités de tutelle, ils n’ont plus le droit à l’erreur.

La fixation des prix est à revoir

Petit exercice de calcul. Soit un médicament dont le prix catalogue est de 100 et la remise du laboratoire est de 35 %. Le pharmacien l’achète donc à un prix net de 65. Pour déterminer son prix public TTC, il applique le coefficient usuel de 1,66 sur son prix pharmacien HT, soit un prix TTC de 166 et de 157 HT (TVA 5,5%). La marge du pharmacien est donc de 157 – 65 = 92, soit un taux de marge brute de (92/157) x 100 = 58,6%. C’est cette marque que certains pointent du doigt, la jugeant élevée.

La philosophie de la charte

Destinée à mettre le libre accès sur les rails, la charte de bonnes pratiques commerciales sur la médication officinale a pour objectif d’éviter certaines pratiques commerciales et dérives de prix, tout en apportant une transparence des prix réclamée par les pouvoirs publics. A travers la charte, tous les signataires s’engagent à proposer le non-remboursable au meilleur coût pour le consommateur et à mettre fin aux distorsions de prix entre officines. Initialement, si les efforts devaient être partagés entre industriels et officinaux, la baisse des prix catalogue et du barème de remises devait être aussi la pierre angulaire du dispositif. Cet accord, validé par la DGCCRF, devait donc mettre fin aux tarifs élevés des prix catalogue assortis de remises très conséquentes.

ce que vous en pensez

Le non-respect de la charte sur les bonnes pratiques commerciales

JEAN-FRANçOIS LE QUERÉ, Le Barp (Gironde)

Quand je passe une commande, je reprends en présence du représentant du labo les prix de l’année écoulée, ligne par ligne, et les actualise informatiquement par rapport aux nouveaux prix catalogue. Je n’en ai pas vu un baisser ses prix sur une seule de ses lignes. De plus, le corridor des remises s’est considérablement rétréci, le faible différentiel entre les paliers n’incite plus à commander de grandes quantités. Pourtant, des prix plus cohérents servent l’image de la profession. De même, les nouveaux délais de paiement sont un mal nécessaire : aujourd’hui, le coût d’immobilisation du stock est de 15 % l’an. On vit dans un monde de façade et d’hypocrisie, la charte n’a été signée que pour contenter la galerie et être politiquement correct vis-à-vis des pouvoirs publics qui, l’an dernier, avaient mis la pression sur les prix en pharmacie.

ReNAUD NADJAHI, Rambouillet (Yvelines)

Les industriels n’ont pas respecté leurs engagements. Ils n’ont rien fait pour réduire les écarts de prix entre les officines. Une baisse des prix publics est attendue sur le médicament OTC, c’est donc le pharmacien qui doit la financer. La majorité des laboratoires appliquent stricto sensu depuis le 1er janvier les délais de paiement réduits à 60 jours sans pour autant avoir diminué leurs paliers de commande. Il y a encore plus alambiqué : certaines grandes marques rattachent les remises supérieures à des volumes d’achats importants de produits à faible notoriété ! Depuis le début de l’année, j’ai rompu les ponts avec deux laboratoires qui imposent des conditions commerciales inacceptables.

PATRICK DÉSERT, Saint-Samson-de-Bonfossé (Manche)

Les bonnes paroles sur la transparence et la baisse des prix lancées au moment de la préparation du libre accès, la charte qui réunit tout le monde autour de la table…, ce ne sont que leurres et effets d’annonce ! Mis à part BMS Upsa qui a baissé ses prix catalogue et resserré ses remises, les autres n’ont rien changé. Ils n’ont pas su également anticiper les effets pervers de la loi de modernisation de l’économie. Maintenant, il n’est plus possible de travailler sur les délais de paiement pour garantir des prix bas. Au contraire, il est nécessaire de relever ses prix pour pouvoir financer ses stocks. Si les laboratoires ne font pas d’effort, deux solutions s’offrent à nous : des achats groupés pour atteindre les paliers de remise maximum, mais cela n’incitera pas les industriels à baisser la garde, ou commander le gros de nos médicaments conseil aux laboratoires de génériques qui proposent des ouvertures de marché beaucoup plus souples.

Propos recueillis par François Pouzaud