De la salle de sport à l’officine : les nouvelles frontières de la santé préventive

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De la salle de sport à l’officine : les nouvelles frontières de la santé préventive

Publié le 28 juin 2025
Par Audrey Fréel
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Les salles de sport s’immiscent peu à peu dans le champ de la santé. En quelques années, elles ont changé de visage, passant d’un espace de performance à un lieu axé sur le bien-être et la santé. Un virage soutenu par les pouvoirs publics, à travers les maisons Sport-Santé, mais aussi par les pharmaciens lors des bilans de prévention.

Et si les salles de sport devenaient le nouveau terrain de la médecine préventive ? En constante progression, le chiffre d’affaires du secteur a plus que doublé ces dix dernières années. Actuellement, le marché français des salles de sport est estimé à 3 milliards d’euros, pour environ 7 000 salles. « 15 millions de Français les fréquentent – dont presque 7 millions avec un abonnement –, c’est colossal. Il s’agit d’un vrai phénomène de société », souligne Virgile Caillet, délégué général de l’Union sport & cycle (USC). Un engouement alimenté par les réseaux sociaux, avec une attention particulière portée sur l’apparence, la performance mais aussi de plus en plus sur la santé. Les salles de sport jouent le jeu. « Nous nous considérons comme des acteurs de la prévention en santé. Les sources de motivation ont beaucoup évolué ces dernières années. Nous ne sommes plus dans une logique de compétition, mais plutôt dans l’entretien du capital santé », continue Virgile Caillet. Les salles de sport sont par ailleurs en phase avec les nouveaux modes de consommation, en particulier ceux plébiscités par les millenials et la génération Z. « Ils peuvent y aller quand ils le souhaitent, quelle que soit l’heure. Cela répond à un besoin de simplification et de personnalisation de l’offre, ce qui n’est pas le cas avec la pratique sportive traditionnelle en association, qui repose sur des jours et des horaires précis », relate le délégué général de l’USC.

Un modèle qui évolue

Malgré cette bonne dynamique, les salles de sport pâtissent toutefois d’une baisse de la rentabilité. « Elles ont été soumises aux effets de l’inflation, et en particulier à la hausse des salaires et de l’énergie. Elles doivent aussi rembourser les prêts garantis par l’État (PGE), ce qui limite leur capacité de financement », analyse Virgile Caillet. Or, leur modèle économique repose sur des charges fixes importantes (loyer, matériel, salaires, coût de l’énergie), ce qui demande une capacité d’investissement conséquente. De fait, le modèle tend à évoluer. « Alors que le marché reposait essentiellement sur des indépendants, il se concentre désormais vers un nombre plus restreint d’enseignes », note le délégué général de l’USC. Parmi les acteurs qui dominent le marché : le Néerlandais Basic-Fit, les Français Fitness Park, Keepcool Neoness ou encore l’Orange bleue. Certains d’entre eux s’appuient sur des modèles financés par des fonds d’investissement. « Cela leur permet d’avoir une meilleure capacité financière et de s’implanter plus largement sur le territoire », commente Virgile Caillet.

Les maisons Sport-Santé prennent de l’ampleur

En parallèle, les pouvoirs publics s’emparent aussi du sujet. La prévention santé par le sport est devenue une stratégie nationale. Pour preuve, la mise en place d’initiatives comme les maisons Sport-Santé.

Lancées en 2019, elles visent à soutenir le développement de l’activité physique à des fins de prévention et thérapeutiques. « Nous comptons à présent 540 maisons Sport-Santé. En 2024, 245 000 personnes ont été accueillies dans ces structures », détaille Alexis Ridde, chef du bureau de l’accès aux pratiques sportives tout au long de la vie, au sein du ministère des Sports. Ces établissements reçoivent des personnes, avec ou sans ordonnance, pour les conseiller, les orienter et éventuellement leur délivrer une pratique sportive adaptée. « Les maisons Sport-Santé n’ont pas l’obligation de prendre en charge la pratique sportive. Si elles le proposent, elles doivent avoir des professionnels formés. Il peut s’agir de professionnels de santé ou d’intervenants en activité physique adaptée (APA) », détaille Alexis Ridde.

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Dans une optique de renforcement du maillage territorial, la typologie de ces structures est volontairement diversifiée. « 60 % des maisons Sport-Santé sont portées par des associations, dont une grande partie par des associations sportives », révèle Alexis Ridde. 17 % sont tenues par des collectivités territoriales, 9 % par des établissements de santé, 9 % par des sociétés commerciales (dont des clubs de sport privés) et 2 % par des structures variées (comme des mutuelles). « Les salles de sport peuvent créer des maisons Sport-Santé. Certains réseaux, comme Keepcool Neoness, forment d’ailleurs des éducateurs APA. Mais cela n’est pas encore très développé », indique Virgile Caillet. Pour ce dernier, il est essentiel de mener un travail collaboratif avec les soignants, les collectivités et les acteurs du loisir sportif pour développer ce dispositif. « L’objectif est de renforcer le maillage sur le territoire et de pérenniser le développement de ces structures, en poussant les professionnels de santé, et notamment les médecins, à orienter davantage vers les maisons Sport-Santé », confie, pour sa part, Alexis Ridde. 

Les bilans de prévention peinent à décoller

Depuis janvier 2024, les pharmaciens d’officine peuvent promouvoir l’exercice physique auprès de leurs patients dans le cadre des bilans de prévention. Ceux-ci sont réalisés aux âges clés de la vie : 18 à 25 ans, 45 à 50 ans, 60 à 65 ans et 70 à 75 ans. D’une durée de 30 à 45 minutes, ils sont rémunérés à hauteur de 30 €. « Le déploiement est encore fragile, puisque le taux d’adhésion est estimé à 15 % pour les professionnels de santé pouvant réaliser des bilans de prévention », constate Carine Wolf-Thal. Pour la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens, cela peut s’expliquer par le fait que les pharmacies font face à une pénurie de personnel. « La valorisation financière pourrait aussi sembler insuffisante pour les pharmaciens par rapport au temps investi dans ces bilans », ajoute-t-elle.

Vers une prise en charge par l’Assurance maladie ?

Cette coordination entre professionnels de santé et structures sportives soulève la question du financement de l’activité physique adaptée. Et, en particulier, celle de sa prise en charge par l’Assurance maladie. Depuis le 1er mars 2017, toute personne souffrant d’une maladie chronique peut se voir prescrire par son médecin une APA, dans le cadre du décret du « sport sur ordonnance ». Néanmoins, l’APA n’est actuellement pas remboursée par l’Assurance maladie. « L’objectif est qu’elle soit prise en charge lorsqu’elle est prescrite à des fins thérapeutiques, par exemple pour éviter le risque de rechute d’un cancer. Nous menons actuellement des expérimentations allant dans ce sens », explique Alexis Ridde. Et même si l’activité physique en général n’a pas vocation à être prise en charge, « beaucoup de communes financent l’APA pour leurs habitants et certaines mutuelles proposent même des forfaits pour pratiquer une activité physique », précise ce dernier. 

Les pharmaciens entrent dans la course

Si les médecins peuvent prescrire une activité physique adaptée, les pharmaciens ont également la possibilité d’aborder cette question lors des bilans de prévention. Réalisés aux âges clés de la vie, ils ont été généralisés en janvier 2024 (voir encadré). « Il est important que l’activité physique soit abordée lors des bilans de prévention et que les professionnels de santé qui les réalisent puissent orienter vers des maisons de Sport-Santé », estime Alexis Ridde. Lors de ces bilans, les pharmaciens ont la possibilité de repérer les risques individuels et de fournir des conseils d’hygiène, avec une activité adaptée selon l’âge, les besoins et l’état de santé de la personne. « Il est essentiel d’avoir des connaissances médicales pour pouvoir fournir les bons conseils. Le sport, réalisé de façon trop intense, pourrait, par exemple, ne pas être adapté à certains patients », met en garde Carine Wolf-Thal, présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

Reste que le déploiement de ces bilans en officine demeure timide. « En ce début d’année, les entretiens de prévention peinent à se réenclencher », confirme David Syr, directeur général de Gers Data. Alors que fin 2024, un peu moins d’une pharmacie sur deux réalisait au moins un entretien par an, « sur le premier trimestre 2025, seule une sur quatre continuait sur cette voie », précise David Syr. Avant d’ajouter : « Cela montre qu’il est difficile de l’intégrer dans le quotidien de la pharmacie, même s’il y a des mois où l’accent est mis sur la prévention – cancer colorectal, cancer du sein, etc. » Pour lui, tout l’enjeu est de faire perdurer ces missions dans le temps, et de gérer l’offre de services tout au long de l’année. « Les nouvelles missions représentent un relais de croissance et de pérennisation pour les pharmacies », rappelle-t-il. Alors que l’activité physique devient un levier reconnu de prévention, les pharmaciens ont donc l’opportunité de s’imposer comme des acteurs efficaces et proactifs auprès de leurs clients. Encore faut-il trouver le temps d’intégrer pleinement cette nouvelle mission dans la pratique officinale.

3 questions à Frédéric Bizard, économiste de la santé

Qu’est-ce qui freine la mise en place de la prévention en officine ?

Le pharmacien s’intègre dans le système de santé général, qui n’a pas pris le virage de la prévention. La situation économique des pharmaciens s’est également plutôt dégradée ces dernières années, ce qui rend l’investissement dans la prévention assez compliqué.

En quoi est-ce un relais de croissance ?

La prévention représente une source de gain en matière de santé publique car elle concerne des maladies qui touchent des millions de personnes. Le pharmacien est l’un des piliers du changement dans le domaine du maintien en bonne santé. Il peut notamment agir sur la prévention primaire et secondaire.

Comment est-il possible d’accélérer le mouvement ?

Le pharmacien peut devenir un acteur de la prévention grâce aux innovations technologiques, comme l’intelligence artificielle, qui rend plus accessible la sensibilisation à différents sujets. Il a la chance d’avoir un capital sympathie/confiance très élevé auprès des patients. Mais il faudrait une réforme plus globale du système de santé pour donner un nouvel élan à la profession.