UN MARCHÉ DANS LE FLOU

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Publié le 1 juillet 2021
Par Carole De Landtsheer
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Comme d’autres segments impactés par la crise sanitaire, le marché des produits ophtalmiques n’échappe pas à l’effet Covid. Si la part de l’OTC reste mineure, elle répond à une automédication occasionnelle, qui permet de prendre en charge une pathologie bénigne.

SI LA PRESCRIPTION MÉDICALE RÉGENTE LE SECTEUR DE L’OPHTALMOLOGIE, « la vue étant un domaine très impliquant », selon les termes de Fabienne Seccaud, responsable marketing au sein des laboratoires Théa, plusieurs facteurs peuvent conduire à une automédication : des délais à rallonge pour consulter un ophtalmologue, l’absence de spécialiste dans sa zone géographique, le renouvellement d’un traitement non remboursé, ou encore, la prise en charge d’une pathologie qui ne nécessite pas de se rendre chez un médecin : sécheresse ou irritation de l’œil, conjonctivite allergique ou bactérienne, etc.

L’OTC en mode mineur.

« Certains consommateurs ne veulent pas perdre de temps ou connaissent déjà une marque et ont confiance en celle-ci. C’est pour cette raison que quelques laboratoires, comme le nôtre, déclinent des références remboursées en version OTC. Nous commercialisons le collyre antiallergique Opticron sous deux présentations : remboursable et OTC, dans un format plus petit, pour permettre aux patients d’attendre jusqu’au prochain rendez-vous avec leur ophtalmologue ou leur médecin », explique Inès Mansouri, chef de produit chez Cooper. Reste que la part de l’OTC stricte, évaluée à 20 % du marché total, est encore mineure en France et à contre-courant de ce que l’on observe en Europe : « Le switch entre la prescription et l’OTC s’est effectué il y a plus de dix ans, dans plusieurs pays, tels l’Allemagne, l’Espagne ou les pays nordiques. Des linéaires entiers de produits ophtalmiques sont placés en libre-accès, à disposition des patients. En France, ce marché ne s’est pas encore développé et le rôle du pharmacien, en tant qu’acteur de santé, est encore sous-exploité », remarque Priscille Bilbaut, responsable OTC chez Théa.

Moins de conseils.

Particulièrement concentré, le marché des produits à visée oculaire, répondant à une prescription médicale facultative, est un secteur de spécialistes. Cinq acteurs se partagent l’essentiel des ventes (près de 80 %, en valeur), tirées par les produits de santé (compléments alimentaires et dispositifs médicaux) qui représentent 76,6 % des achats (source : Ospharm). La pandémie a eu un impact sur les ventes des références ophtalmiques en officine : « Globalement, il y a eu moins de passage en pharmacie et de conseil durant cette période », résume Valentine Cucurella, chef de gamme ophtalmo OTC au sein du laboratoire Bausch & Lomb. Résultat : le secteur affiche une baisse de – 5 %, en valeur (source Iqvia). Les solutions de lavage oculaire, qui représentent environ un quart des ventes totales, en unités, composent le segment le plus impacté par la période traversée, alors qu’elles sont souvent vendues en conseil associé. Celui des antiseptiques, d’un poids équivalent, est également affecté car la distanciation sociale n’a pas favorisé la survenue d’infections. A l’inverse, la sphère des antiallergiques ne pâtit pas de la crise sanitaire à l’instar des produits dédiés à la sécheresse oculaire, poussés par une utilisation massive des écrans, pendant la période de pandémie, et le port du masque.

Les pathologies bénignes.

En toute logique, les pathologies bénignes peuvent être soignées avec des solutions disponibles au comptoir. Parmi les marques phares du marché (selon Ospharm), on retrouve Aqualarm, Ilast, Blephaclean, Optone Actimist, Sensivision, ou encore, Dacryoserum rachetée par le laboratoire Cooper : « Nous avons déremboursé ce produit en 2019, parce qu’il faisait déjà l’objet d’une forte demande en automédication (65 % des ventes) en raison de sa forte notoriété, un phénomène assez rare sur le segment du lavage oculaire où l’on trouve énormément de génériques », explique Inès Mansouri. La volonté du laboratoire Cooper de se développer en OTC conduit au lancement de la marque Dacryo, en 2020 : « Nous avions déjà plusieurs références OTC, mais pas une marque OTC. Nous avons profité de la notoriété de Dacryoserum pour proposer cette nouvelle marque ombrelle, qui comprend une solution d’entretien pour les porteurs de lentilles et une solution pour les yeux secs, depuis 2021 », développe notre interlocutrice. Rappelons également le retour de la marque Innoxa, du laboratoire éponyme, qui a lancé en 2020, deux sprays ciblant la sécheresse oculaire (yeux très secs et fatigués) et les irritations liées aux agressions environnementales (irritation et rougeurs) et, fin 2021, ses gouttes bleues, sous le nom de Formule bleue, inspirée de la formule d’origine, pour les yeux secs et fatigués. Une réédition qui s’apparente à un carton avec 20 000 unités déjà commercialisées. Parmi les dernières nouveautés, citons les lubrifiants pour la sécheresse oculaire du laboratoire Visupharma, propriétaire de Visioprev Duo, qui étoffent la gamme Xailin. Sont lancés plusieurs collyres multidoses (Xailin Hydrate, à base d’hypromellose, et Xailin HA, à l’acide hyaluronique, pour les formes plus sévères), ainsi qu’un collyre unidose (Xailin Fresh à base de carmellose). Un gel oculaire multidoses est également proposé.

Bausch & Lomb, en position de leader.

Le laboratoire Bausch & Lomb (32 % de pdm, en valeur, selon Ospharm) doit son leadership à sa présence sur l’ensemble des segments et à plusieurs best-sellers. En commençant par son produit phare, PreserVision 3, qui se double depuis 2020 de la référence PreserVision 3 Femme, répondant aux besoins des femmes ménopausées, avec un apport de 20 microgrammes en vitamine D. Cette vitamine, susceptible de réduire le risque de dégénérescence maculaire, fait actuellement son apparition dans nombre de compositions. Egalement en pole position, figurent les produits Désomédine, le seul médicament à l’Hexamidine du marché, à la propriété bactériocide et indiqué en cas d’infection bactérienne de l’œil, mais aussi Allergiflash, le seul collyre antihistaminique de la sphère OTC, conseillé pour traiter les conjonctivites allergiques. « Nous avons pour ambition d’apporter au pharmacien le même arsenal thérapeutique que celui dont dispose l’ophtalmologue », expose Valentine Cucurella. Sa dernière nouveauté, Désodrop, un dispositif médical apporte une réponse nouvelle au traitement de la conjonctivite virale, alors qu’il existe en pharmacie quelques solutions renfermant des colloïdes d’argent, à l’effet anti-infectieux. « Sa formule, très technique, comprend de l’ozone, molécule connue pour son action à la fois antiseptique et anti-inflammatoire. Afin de bénéficier du pouvoir de l’ozone et de le rendre biocompatible avec la surface oculaire, celui-ci est incorporé dans une huile végétale », explique notre interlocutrice.

Des compléments alimentaires pour le vieillissement rétinien.

Dans le top 5 des produits du marché, figurent quatre compléments alimentaires positionnés sur le vieillissement rétinien. Sur ce segment, « la recommandation d’un professionnel de santé (ophtalmologue, médecin) est le premier driver de recours (pour 54 % des sondés », met en avant l’institut Arcane Research dans son étude “Compléments alimentaires à visée oculaire” (2019). Meilleure vente du marché, le complément alimentaire Nutrof Total (11,2 % de pdm, en valeur, selon Ospharm) est fabriqué par le laboratoire Théa, challenger du secteur – avec 16,6 % de pdm, en valeur (Opsharm) – et acteur phare du sans conservateur. « Si notre laboratoire a développé des liens étroits avec les ophtalmologistes, il a aussi été l’un des premiers à proposer la formule la plus proche possible des recommandations de l’étude américaine Areds*, qui avait montré l’intérêt de supplémenter les patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge », indique Fabienne Seccaud. La composition évolue et intègre désormais de la vitamine D, soit 5 µg par capsule, pour une posologie recommandée de deux capsules par jour. Parmi les autres best of du marché figurent les produits PreserVision 3 – 11,1 % de pdm, en valeur -, Suvéal Duo du laboratoire Densmore – 7,8 % de pdm, en valeur – et Macula-Z d’Horus Pharma – 3,1 % de pdm, en valeur -, selon Ospharm. La performance de Suvéal Duo s’explique notamment par sa prise unique (1 capsule/jour), quand la plupart des acteurs proposent deux capsules par jour. Nouveau, le complément alimentaire Rétineal (1 comprimé/jour), lancé par le laboratoire Densmore, à base d’extrait de Curcuma, de Quercétine, de Zinc et de Lutéine, est destiné aux patients plus avancés dans le processus du vieillissement rétinien. « Rétineal va au-delà des phénomènes oxydatifs auxquels est exposée la rétine. Les dernières publications scientifiques ont mis en évidence la pluralité des composantes physiologiques impliquées dans le vieillissement rétinien : inflammation, apoptose, dérégulation de l’autophagie… Ce produit vient étoffer l’arsenal de prise en charge du médecin », explique Ludovic Gruet, directeur médico-marketing chez Densmore. Signalons également le lancement par Visupharma du complément alimentaire CoQun OS, à base de coenzyme Q 10, une molécule anti-âge essentielle au bon fonctionnement des mitochondries, responsables de la production d’énergie dans les cellules et susceptibles de dysfonctionner avec l’âge et d’affaiblir plusieurs organes dont l’œil, particulièrement énergivore.

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* Etude Areds pour Age Related Eye Disease Study

– 5 %

110,5 M d’unités vendues

Tous les segments du marché ophtalmique ne suivent pas les mêmes progressions. Les antiallergiques et les produits contre la sécheresse de l’œil s’en sortent mieux que les solutions de lavage oculaire et les antiseptiques.

– 9,9 %

116,3 M d’ € de chiffre d’affaires

Le Covid-19 a impacté la sphère ophtalmologique OTC, les passages en pharmacie ayant été réduits au minimum. Cependant, le dynamisme du marché, régulièrement achalandé de nouveautés, n’est pas entamé.

Source : Iqvia, en cumul annuel mobile à fin avril 2021.

Gummies spécial vision. Nouveau, le complément alimentaire Vision (Biocyte) contribue au maintien d’une vision normale. Spécialement pensé pour les plus jeunes, exposés à la lumière bleue des écrans, susceptible d’endommager les photorécepteurs de la rétine, et pour les personnes ressentant une fatigue oculaire, sa formule comprend deux antioxydants (Lutéine, Zéaxanthine), du zinc et des vitamines.

Des compléments alimentaires sur prescription. Les compléments alimentaires positionnés sur le vieillissement rétinien composent une sphère concurrentielle, alimentée par des nouveautés qui s’appuient sur de récentes publications scientifiques.

Nouveaux packs. Le laboratoire Théa adopte une nouvelle identité graphique, appliquée à ses références OTC, pour favoriser une bonne compréhension des produits à la fois des pharmaciens et des patients pratiquant l’automédication.

Naturel en vue

La naturalité est une tendance naissante sur ce marché, mais elle pourrait bien se développer ! « Les consommateurs montrent un véritable engouement pour les produits naturels, secure, présentant un ratio bénéfice/risque optimal », explique Philippe Chanet, directeur général du laboratoire Aboca. Parmi les quelques produits disponibles, citons les gouttes oculaires lubrifiantes et apaisantes Fitostill Plus (Aboca), sans colorant et sans conservateur, à base, notamment, d’eau distillée et d’extrait lyophilisé de fleurs de camomille, riches en polysaccharides à l’action hydratante. « Des tests réalisés en laboratoire prouvent la sécurité et la tolérance de ce produit », poursuit notre interlocuteur. Commercialisée début 2021, l’offre Sensioptic de Bausch & Lomb est « une nouvelle gamme conseil de phytothérapie, sans conservateur, pour les yeux irrités et sensibles. Elle répond également aux attentes du grand public et des équipes officinales qui souhaitent référencer des solutions naturelles », précise Valentine Cucurella. Elle comprend un spray pour les yeux secs et les paupières, dont la formulation combine acide gras de Myritol (acide gras issu de l’huile de coco) et acide hyaluronique. A cela s’ajoute un format flacon pour les yeux irrités, dont la composition comprend de l’extrait d’Euphrasia. Les deux actifs naturels ont été intégrés pour leur effet apaisant. La même année, le laboratoire Cooper lançait Dacryo Yeux Secs, à l’acide hyaluronique et au gel d’Aloe Vera, à l’effet hydratant et rafraîchissant.

CHIFFRES-CLÉS

TOP 5 DES LABOS

PARTS DE MARCHÉ, EN VALEUR, EN CUMUL ANNUEL MOBILE, À FIN MARS 2021.

Source : Ospharm

53,3 %

C’est la part des traitements par voie orale, en valeur, en cumul annuel mobile à fin mars 2021.

Source Ospharm

RÉPARTITION, EN VALEUR, PAR SEGMENT, À FIN MARS 2021.

Source : Ospharm

TOP 5* DES PRODUITS

PARTS DE MARCHÉ, EN VALEUR, EN CUMUL ANNUEL MOBILE, À FIN MARS 2021.

Source : Ospharm

1 Nutrof Total (capsules) 11,2 %

2 PreserVision 3 (capsules) 11,1 %

3 Suvéal Duo (capsules) 7,8 %

4 Désomédine 0,1 % collyre 7,6 %

5 Macula-Z (capsules) 3,1 %

76,6 %

C’est la part des produits de santé (hors AMM) sur le marché ophtalmique, en valeur, en cumul annuel mobile à fin mars 2021.

Source Ospharm