Santé des femmes : des inégalités encore trop criantes

© Getty Images

Santé des femmes : des inégalités encore trop criantes

Publié le 9 avril 2025
Par Elisabeth Duverney-Prêt
Mettre en favori
La recherche sur la santé des femmes a évolué ces dernières années, intégrant la question du genre pour répondre à une nécessité à la fois éthique et scientifique. Néanmoins, femmes et hommes ne sont toujours pas logés à la même enseigne en termes de prise en charge et de soins, et ce malgré des investissements de plus en plus conséquents. Pourtant, l’enjeu est de taille !

La face cachée de l’iceberg émerge peu à peu. Là où l’espérance de vie des femmes était autrefois mise en avant, on s’aperçoit que leur vie est certes plus longue, mais leur santé moins bonne que celle des hommes. Les maladies des femmes, leurs symptômes, leurs traitements, ont été pendant très longtemps les parents pauvres de la médecine. L’idée que le corps de la femme fonctionnait et réagissait autrement que celui des hommes n’avait, semble-t-il, pas traversé l’esprit des chercheurs. Pire encore, les médicaments, même s’ils étaient spécifiquement destinés à des femmes, étaient quasiment tous testés sur des hommes.

« Pour concevoir des médicaments, il a longtemps été considéré que les femmes étaient des hommes comme les autres. Ou plutôt que leur corps était une version plus petite du corps masculin. On comprend dès lors pourquoi elles ont 50 % de risque en plus de souffrir d’effets indésirables », résument Marie-Morgane Le Moël et Solenne Le Hen dans leur livre Les Négligées – Enquête au cœur du business de la santé des femmes.

Prévalence féminine

Il aura fallu attendre les années 1990, aux États-Unis, pour que la nécessité d’intégrer le genre et le sexe émerge dans la médecine et la recherche. En Europe, la prise de conscience sera plus tardive et ce n’est que dans les années 2000 que la question sera enfin abordée. « Pour autant, malgré cette prise de conscience, la recherche médicale est toujours insuffisante aujourd’hui. Pour exemple, seuls 4 % des investissements en recherche et développement de l’industrie pharmaceutique sont consacrés à l’ensemble des sujets de santé des femmes. En comparaison, la recherche spécifique sur le cancer de la prostate représente à elle seule 2 % du financement total », pointe Chloé Hurillon, responsable de mission santé au sein de la société conseil Alcimed.

Les maladies gynécologiques ont été les premières à faire l’objet de recherches plus poussées : endométriose, syndrome des ovaires polykystiques, cancer du col de l’utérus, cystites, etc. Mais on découvre peu à peu que les femmes sont sujettes à d’autres pathologies qui présentent souvent une prévalence plus élevée ou des symptômes particuliers : Alzheimer, fibromyalgie, migraines, infarctus du myocarde. Pourtant, la communication sur le sujet est plus qu’approximative. « Les maladies cardiovasculaires tuent huit fois plus de femmes que le cancer du sein, or la sensibilisation est peu portée sur ce problème de santé. Prenons l’exemple des crises cardiaques : la communication est davantage axée sur les symptômes rencontrés par les hommes, comme la forte douleur thoracique irradiant le bras gauche, et pas assez sur les symptômes atypiques rencontrés par les femmes (douleur dorsale, symptômes digestifs, etc.). De fait, les délais d’intervention et d’hospitalisation des femmes sont plus longs, puisqu’elles n’ont pas conscience de ce qui leur arrive. On estime ainsi que le délai de prise en charge d’une femme à l’hôpital, après les premiers symptômes cardiovasculaires, intervient 38 heures plus tard que pour un homme… », poursuit Chloé Hurillon. Un délai qui fait froid dans le dos.

Faire passer la santé de ses proches avant la sienne

Pour Anne-Marie Pernet, directrice du département santé du CSA : « La société a toujours fait peu de cas des problèmes de santé des femmes, d’autant plus qu’elles n’avaient pas tendance à en parler, que ce soit à leurs proches ou aux professionnels de santé. C’est pour cela que nous avons décidé, en collaboration avec le collectif Femmes de santé, de créer un baromètre sur la perception des femmes sur leur santé. Nous avons voulu replacer leur parole au cœur du système. » Et les résultats sont éloquents :  près de neuf femmes sur dix se considèrent en bonne santé alors que 25 % d’entre elles ont un problème de santé grave ou moyennement grave. « C’est là que l’on parle de résilience. Les femmes, même si elles sont malades, vont résister aux effets physiques ou mentaux de leur propre maladie pour faire passer la santé de leurs proches avant toute chose. » Autre constat saisissant : parmi les femmes qui se disent en mauvaise santé, 20 % ne trouvent pas de solution médicale à leur problème.

Publicité

Tout cela a forcément un coût pour l’Assurance maladie qui accompagne tant bien que mal des femmes souffrant de maladies chroniques jusqu’au bout de leur vie : « Investir dans la santé des femmes doit être une priorité pour chaque pays. Garantir aux femmes l’accès aux innovations en matière de soins de santé est l’un des meilleurs investissements que les pays puissent faire pour leurs sociétés et leurs économies. Remédier aux inégalités liées à l’endométriose et à la ménopause pourrait contribuer à hauteur de 130 milliards de dollars au PIB mondial d’ici à 2040 », lançait Shyam Bishen, responsable des soins de santé au Forum économique mondial en janvier 2024.

Dès le mois de mars, Joe Biden signait un décret pour encourager la recherche scientifique sur la santé des femmes, avec un plan de financement de 500 millions de dollars par an. En France, l’engagement est un peu plus timoré : « Emmanuel Macron avait lancé le Plan endométriose infertilité en 2022 en annonçant 30 millions d’euros pour la recherche. Pour l’instant, les chercheurs que nous avons interrogés n’en ont pas vu la couleur », regrettent Marie-Morgane Le Moël et Solenne Le Hen.

Le Bus du Cœur des Femmes

L’association Agir pour le Cœur des Femmes a lancé, en 2021, le Bus du Cœur des Femmes, une grande opération itinérante de prévention des maladies cardiovasculaires. Son objectif : déployer un dispositif de dépistage partout en France. Des pharmacies et groupements, à l’image d’Aprium, sont associés à l’opération. « Nos pharmaciens sont encouragés à venir tenir l’un des stands du parcours de diagnostic. Il y a un véritable enjeu de détection des symptômes », explique Laure de Santi, directrice marketing enseignes chez Aprium. Chaque jour, les maladies cardiovasculaires tuent 200 femmes en France, or huit accidents cardiovasculaires sur dix sont évitables. Le Bus a commencé son parcours à Cannes au début du mois. Quinze étapes sont prévues cette année à travers la France.

Toutes les informations sur https://www.agirpourlecoeurdesfemmes.com/

Femtech

Les investissements privés sont en revanche de plus en plus impressionnants : la Femtech (contraction de female et technology) est un marché estimé à 75 milliards de dollars pour l’année 2025, tiré par les États-Unis, et suivi de près par l’Europe. En France, les start-up investies dans ce segment visent des innovations en santé (logiciels, tests de diagnostic et dispositifs médicaux) et en bien-être (produits de grande consommation, compléments alimentaires et applications mobiles). « Elles ont été cofondées par des femmes pour une grande majorité d’entre elles. C’est une bonne chose : elles apportent leur propre vision de l’intérêt économique et de la santé », continuent les autrices.

Plus de 80 % de la charge médicale d’un foyer

Le marketing a lui aussi pris un nouveau virage ces dernières années, misant de plus en plus sur les femmes. « La grande majorité de nos clients sont des femmes. La charge médicale des foyers leur incombant à plus de 80 %, elles sont au cœur du dispositif de la santé. Nous avons donc changé notre façon de parler à nos clients patients il y a environ trois ans. Nos actions commerciales ou de santé sont systématiquement incarnées par des portraits de femmes », explique Laure de Santi, directrice marketing enseignes chez Aprium. Mais loin d’un simple plan marketing, le groupement a décidé de s’engager à leurs côtés : « Nous savons que les femmes font passer leurs proches avant leur propre santé. Nous avons souhaité les aider en allégeant leur charge mentale avec notre service RappelOrdo et en créant un podcast santé qui leur permet de se renseigner sur leurs propres problèmes sans perdre de temps », continue la responsable. Chez Giphar, des temps forts santé sont organisés pour les femmes enceintes, des sensibilisations au dépistage du cancer colorectal et du cancer du sein. La femme est aussi devenue une priorité pour Santalis : « Nous considérons qu’à chaque étape de sa vie, la femme a besoin d’un accompagnement pour sa santé et son bien-être. Chaque année, nous organisons une campagne spécifique sur toutes les problématiques de santé que peut rencontrer une femme pendant sa vie : règles douloureuses, contraception, ménopause. Cette année, elle se déroulera en avril. Elle permet de faciliter le dialogue avec les clientes qui abordent plus facilement certains sujets, et de mettre en avant le rôle de conseil du pharmacien », détaille Oana Catalin, directrice marketing et communication d’Astera Retail.

Le rôle du pharmacien

Conscients de ce rôle que peut jouer le pharmacien en matière de conseil, de nombreux laboratoires se sont lancés dans l’élaboration de produits d’hygiène et santé à destination des femmes. Des produits qui sont aujourd’hui pléthores. « Face à une offre désormais complexe, les pharmaciens sont la référence pour délivrer les conseils nécessaires à l’achat », pointe le rapport des Échos Études sur la santé de la femme et la Femtech. Le marché spécifique de la santé des femmes en officine a enregistré une hausse de plus de 15 % depuis 2021, avec en première ligne, les compléments alimentaires dont le chiffre d’affaires dépasse les deux milliards d’euros chaque année.

« Il y a du bon et du moins bon dans tous ces produits. En creusant, nous avons découvert certains business qui n’ont vraiment rien de sérieux, à mi-chemin entre la tambouille chamanique et le féminin sacré. Tout n’est pas à jeter certes, mais il est dommage que tant d’argent soit porté sur ce segment, et si peu sur la recherche. Mais nous allons vers du mieux. En tout cas, nous voulons y croire, car en France, quatre millions de femmes n’ont pas de solutions de guérison à court terme que ce soit pour l’endométriose, les ovaires polykystiques ou les fibromes. A contrario, on constate que des recherches comme celle sur le Viagra ont été menées très rapidement », concluent les auteurs Marie-Morgane Le Moël et Solenne Le Hen. Cherchez l’erreur.

Un marché de poids

Les ventes de produits de soins et de bien-être pour les femmes en officine ont atteint 350 millions d’euros en 2024.

  • Les produits de soins représentent 30 % du marché, en hausse de 12 % par rapport à l’an passé avec les produits de soins dédiés au confort vaginal, aux mycoses vaginales et aux infections génitales.
  • La dermatologie/dermocosmétique est le deuxième segment, avec une part de marché de près de 27 % (produits d’hygiène intime).
  • La grossesse arrive au troisième rang (17 % de parts de marché), avec les tests de grossesse et les compléments alimentaires pour femmes enceintes.
  • La ménopause représente 8,7 % des parts de marché (compléments alimentaires limitant les symptômes indésirables).

Source : Les Échos études/Gers Data