La dimension santé du pharmacien fait sourire

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Publié le 9 octobre 2010
Par Laurent Lefort
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Avec sa nouvelle communication, on le voit partout. En délicatesse avec l’Ordre sur ce sujet épineux, Lucien Bennatan, président de PHR, se livre à un entretien-vérité.

« Le Moniteur » : Vous n’en avez pas marre de jouer la carte de la provocation ?

Lucien Bennatan : En quoi est-ce provocateur de faire prendre conscience au grand public que la pharmacie peut, entre autres, être un lieu dédié à l’éducation thérapeutique ? Derrière, il y a une refonte totale des relations entre professionnels de santé, avec les patients et avec les acteurs du remboursement. D’autres vont essayer de s’accaparer cette éducation thérapeutique. L’absence de visibilité des pharmaciens dans les médias nous cantonne dans une image de gens aisés, commerçants avant tout. Il y a plus d’une personne que la dimension santé du pharmacien fait encore sourire.

Enfin, en pleine bataille juridique avec l’Ordre, vous n’y allez pas de main morte…

Nous n’allons pas attendre encore 3 ans pour faire savoir que les pharmaciens sont prêts à s’engager dans les nouvelles missions de la loi HPST. Or, on nous demande d’attendre et de ne surtout pas dire que nous pourrions être des acteurs majeurs de cette évolution. Communiquer, c’est exister. On nous demande juste de ne pas exister. C’est grave. Notre attitude n’est pas plus provocante que le fait d’empêcher la libre concurrence de s’exprimer.

Vous donnez l’impression de la jouer plus perso que collectif. Vrai ou faux ?

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C’est vrai, nous entrons par nos marques, mais c’est pour faire parler positivement de toute la profession. Quand notre groupe participe au Téléthon, personne ne vient me reprocher de prendre la parole. Amusant. Notre espoir derrière tout cela ? Etre demain l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, des cercles de réflexion, des politiques et d’associations de consommateurs, car aujourd’hui le pharmacien n’est pas à la place qui lui revient. La bonne question aurait été de me demander si ce n’est pas le rôle du président de l’Ordre et des syndicats. Force est de constater qu’aujourd’hui il y a un déficit en la matière.

Ne craignez-vous pas de déstabiliser vos adhérents ?

Pour ceux sous enseigne, nous n’allons pas assez loin et assez vite. Ils voudraient que nous enfoncions le clou toute l’année. Quant aux adhérents du groupement, leurs critiques portent plus sur la forme que sur le fond.

Au final, vous allez desservir toute la profession, non ?

Ah oui, il ne faut pas développer la communication parce qu’il ne faut pas développer la concurrence entre pharmacies. Pourquoi au juste ? Pour masquer nos carences en termes d’anticipation économique. On veut nous confiner à devenir des épiciers ouverts 24 heures sur 24 pour entretenir des pharmacies qui ne rendront même pas le service minimum attendu : je refuse. La profession est déjà tellement fragilisée. Ce n’est pas la concurrence qui a fait arriver les grands conditionnements ou le TFR. Si je vous suis bien, comme les pharmaciens vont travailler dans le futur avec les médecins, on va les taxer de connivence. Peut-être souhaitons-nous tous rester des salariés de la Sécu, des distributeurs de boîtes ? Je ne le pense pas.

Qu’avez-vous à prouver ?

Justement que nous pouvons passer de dispensateurs à producteurs de services et que ce virage est un gage de valeurs. C’est l’enjeu des cinq prochaines années.

Vous êtes plutôt grève des gardes, croix éteinte ou manif ?

Je suis plutôt jusqu’au-boutiste. Si nous voulons obtenir satisfaction, il faut oser faire mal à nos porte-monnaie : par exemple trois jours ou plus de pharmacies complètement fermées.

Imaginons Lucien Bennatan élu président de l’Ordre, quelle première mesure prend-il ?

J’essaierais de travailler à une refonte du Code de la santé publique, notamment sur les textes qui entravent la libre concurrence. Je vous vois brandir le panneau « Danger ! ». On pourrait introduire dans le cerveau des députés et sénateurs l’idée que le médicament puisse être vendu ailleurs. La peur n’évite pas le danger. Quand on a confiance en soi, on n’a pas peur de la concurrence qui, de toute façon, s’imposera à nous. Même si je ne la souhaite pas.