- Accueil ›
- Business ›
- Economie ›
- Stratégie et Gestion ›
- Préparation des doses à administrer : les pharmaciens à la croisée de chemins
© Getty Images
Préparation des doses à administrer : les pharmaciens à la croisée de chemins
Organiser, sécuriser et rentabiliser : ce sont les maîtres-mots de la préparation des doses à administrer (PDA), d’autant plus qu’elle est menée à grande échelle. En devenant quasi industrielle, cette spécialisation officinale constitue un métier à part entière. « Notre propos n’est pas de dire que toutes les officines doivent se lancer dans la PDA », affirme Pascal Cucchi, directeur général de la société de matériel Oréus. C’est ainsi que des pharmaciens y mettent un terme tandis que d’autres réfléchissent à l’opportunité de s’engager ou d’enclencher la vitesse supérieure. « Pour prendre la bonne décision dès le départ, il y a deux questions à se poser : qu’est-ce que je perds à ne pas y aller ? Et qu’est-ce que je vais perdre si je ne suis pas en capacité de la réaliser dans de bonnes conditions ? », explique Emmanuel Leroy, associé et leader national santé du cabinet Rydge Conseil (ex-KPMG). De son point de vue, la PDA est un apport complémentaire pour une officine qui a les reins solides et non une solution de sauvetage de l’entreprise. « C’est un process à intégrer dans le fonctionnement de l’officine qui va forcément la déstabiliser. Par exemple, un des leviers pour maximiser les gains de productivité consiste à impliquer et former le personnel. »
Deux profils types
Combien de pharmacies réalisent la PDA actuellement ? Nul ne peut l’affirmer avec précision. Plusieurs milliers d’officines seraient équipées pour la prendre en charge, dont quelques centaines avec un robot. C’est parfois au moment de devoir renouveler ce matériel que des pharmaciens décrochent. La spécialisation est devenue plus exigeante, sous la pression des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), eux-mêmes soumis, depuis 2022, à une vague inédite d’inspections-contrôles renforcés des autorités sanitaires. Mais l’activité offre encore des perspectives à ceux qui sauront bien faire. Miguel Mellick, dirigeant du fournisseur d’équipement Robotik Technology, relève deux profils naissants : des pharmaciens quadragénaires impliqués dans les procédures de qualité, voire de certification, et des officines sous enseigne commerciale déjà positionnées sur les services et la parapharmacie qui veulent ajouter une corde à leur arc. L’entrée sur le marché consiste à opter pour une solution semi-automatisée (manuelle avec remplissage assisté par un logiciel) ou automatisée. Un crédit-bail ou un leasing peut être envisagé lorsque les investissements l’exigent. D’autres modes d’acquisition ont surgi : la mise en commun des équipements entre pharmaciens et l’achat de matériel d’occasion reconditionné.
Du temps « caché »
Que l’on se penche sur un plan de financement prévisionnel ou sur un compte d’exploitation, des éléments sont à regarder de près. « La PDA, cela coûte à l’officine. Avant d’évaluer le chiffre d’affaires potentiel, il est primordial d’identifier une structure de coûts », considère Emmanuel Leroy. Les dépenses récurrentes portent sur la fourniture des consommables (sachets-doses ou cartes « blistérisées » pour pilulier) et sur la maintenance du matériel. Sans oublier le coût des licences informatiques, des étiquettes apposées sur les médicaments non inclus dans la PDA, des sacs opaques pour la livraison. S’y ajoutent les amortissements pour l’acquisition du robot (dont le coût peut s’élever de 50 000 à plus de 200 000 €), du matériel de contrôle, des ordinateurs et imprimantes ou encore des travaux d’aménagement. Des frais généraux comprennent l’entretien du local de PDA, le coût de l’électricité, un éventuel loyer et aussi la facture de l’expert-comptable. « Concernant le coût salarial, il n’est pas aisé d’évaluer précisément le temps imparti à la préparation », observe Pascal Nicaud, consultant spécialisé de la société de services en officine Yggi. Ce temps dépend du nombre de cassettes intégrées dans le robot et des capacités de ce dernier (fonctionnant par exemple avec un ou deux plateaux de remplissage manuel pour les fractions et faibles rotations de médicaments). « Il y a le temps de la préparation elle-même, mis en avant par les fournisseurs de matériel, mais il faut aussi prendre en compte celui nécessaire pour déconditionner les médicaments de leur blister d’origine, relancer les équipes soignantes afin de disposer des ordonnances à jour, etc. »
Un « creux » démographique en Ehpad
Historiquement situés entre 95 et 98 %, les taux d’occupation en Ehpad ont fortement chuté au moment de la crise sanitaire de 2020, sans retrouver quatre ans plus tard leur niveau de 2019. Ils ont diminué de cinq points environ, passant de 93 à 88 % de 2019 à 2023. La faute à l’inflation mais aussi à la crise de confiance qui pénalise le secteur. De plus, depuis 2021, la France connaît une relative stagnation du nombre de personnes âgées de plus de 85 ans. Il n’augmente que de 1,5 % par an depuis 2020 contre 3 % en moyenne entre 2013 et 2020. Ce phénomène temporaire est la conséquence du « creux » démographique constaté entre 1935 et 1945.
Une participation pour la livraison
Pour atténuer le poids de ces dépenses, des services sont refacturés aux établissements. Cette pratique, qui reste marginale, porte sur la fourniture des consommables ou sur la livraison. « Cela se décide établissement par établissement, contexte par contexte. Les groupes d’Ehpad n’ont pas de politique générale à ce sujet », rapporte Pascal Cucchi. Selon Yggi, il est opportun de tenter la négociation si le coût du transport va au-delà de 2 à 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’officine. Pour Emmanuel Leroy, cette participation se justifie dès lors que les frais de livraison dépassent 300 € par résident et par an, soit 30 000 € pour un établissement de 100 résidents. « Si la négociation sur la participation n’aboutit pas, on peut se mettre d’accord pour être le fournisseur prioritaire des articles de compression veineuse et des produits de parapharmacie », conseille Pascal Nicaud. Il est aussi possible de minimiser la nécessité d’une livraison si l’Ehpad suit la voie d’une meilleure gestion de son stock d’urgence de médicaments. Un levier majeur de rentabilité se trouve encore dans la négociation, cette fois avec le fournisseur de génériques. La robotisation assure une position de force. « Bien sûr, cela dépend de la part des produits chers dans le chiffre d’affaires mais en dessous de 35 % de taux de marge, l’opération n’est pas performante », considère le consultant.
Viser un objectif de chiffre d’affaires
Du côté des recettes, il est couramment admis qu’un Ehpad de taille moyenne hébergeant 80 résidents génère un chiffre d’affaires annuel de 100 000 € hors taxes (HT), soit 1 300 € HT par résident. Pour l’améliorer, de plus en plus, les pharmaciens joignent à la PDA la pratique de bilans partagés de médication, rémunérés 65 € par l’Assurance maladie et réalisés en lien avec le médecin coordinateur. Entre 60 et 75 % des résidents des Ehpad y sont éligibles, évalue Pascal Nicaud. L’excédent brut d’exploitation (EBE) qui se dégage devrait être supérieur à 20 % du chiffre d’affaires HT de l’activité, estime-t-il. Pour gagner en potentiel de croissance, les pharmaciens tablent sur les besoins des foyers et maisons d’accueil pour personnes handicapées ou encore sur les services de soins infirmiers à domicile. Ils peuvent aussi s’appuyer sur leur fournisseur de matériel. « Nous orientons les demandes des établissements vers des officines que nous équipons déjà ou vers d’autres qui sont prêtes à s’engager », assure Pascal Cucchi. Miguel Mellick, de son côté, affirme sans détour : « Nous accompagnons nos clients pharmaciens pour les faire évoluer. »
Le potentiel de la non-observance
« Le plus gros marché n’est pas encore ouvert, c’est celui du home care. On parle ici de 400 à 1 000 patients qui se font délivrer chaque mois 1,68 ordonnance en moyenne par officine », entrevoit le dirigeant de Robotik Technology. Forte de commerciaux qui quadrillent le territoire, cette société se rapproche actuellement des communautés de communes et autres syndicats intercommunaux pour faire avancer le déploiement de la PDA au domicile, en particulier en zone rurale. Qu’en est-il de sa rentabilité ? Elle peut être évaluée selon une estimation effectuée par Equasens au moyen de sa solution semi-automatisée Multimeds. L’exemple est celui d’une préparation pour 15 patients atteints de diabète de type 2. Son coût s’élève à environ 2 000 € HT par an en moyenne, avance Bruno Dupouy, directeur national en charge de l’observance. Cela comprend l’abonnement auprès du fournisseur de matériel (hébergement des données, maintenance du logiciel, etc.), soit 240 € HT, le coût des consommables, soit 780 € HT (à raison de 1 € par pilulier hebdomadaire par patient), ainsi que les frais de personnel pour la préparation. Ceux-ci s’élèvent à près de 1 000 € par an hors charges patronales, considérant un coût minimal de 1,30 € pour la préparation d’un pilulier (sur la base de 10 piluliers traités par heure). Pour la première année d’activité, il faut ajouter des frais de logiciel, de licence et de formation, qui s’élèvent à 1 500 € HT. Par ailleurs, rappelle Bruno Dupouy, un patient diabétique de type 2 n’est observant qu’à hauteur de 37 %. Cette pathologie survient généralement après 40 ans mais de plus en plus de jeunes adultes sont concernés. Le panier mensuel moyen de prescription pour cette catégorie de patients est de 100 € HT. Avec la mise en place d’une PDA, l’observance est considérée comme optimale et le chiffre d’affaires annuel sur ces ordonnances passerait donc de près de 500 à 1 200 €, soit un gain de 700 € HT. Pour 15 patients, ce gain est estimé à 10 500 € HT, ce qui permet de dégager une marge brute supplémentaire de 2 310 € (en considérant ici un taux de marge de 22 % en moyenne sur les médicaments dispensés).
Montée en charge de la PDA pour le domicile
Dans cet exemple, le point d’équilibre est atteint en mettant en regard la dépense annuelle de 2 000 € HT (hors équipement lors de la première année) et la marge supplémentaire de 2 310 € du fait d’une observance maximale. De manière générale, il est établi que seulement 40 % des patients atteints par une pathologie chronique (diabète de type 2, HTA, asthme, hypercholestérolémie, etc.) suivent correctement leur traitement. « L’an dernier, l’ensemble de nos clients pharmaciens ont enregistré une progression significative de l’intérêt des patients pour la PDA. Il faut battre en brèche l’idée selon laquelle elle coûte cher, prend beaucoup de temps et qu’on ne peut pas la faire payer », souligne Bruno Dupouy, estimant entre 1 et 3 € le tarif à appliquer pour un pilulier hebdomadaire. Il est cependant envisageable de travailler à perte au lancement de l’activité du fait de faibles volumes de préparation. Puis une dynamique doit s’enclencher, soutenue par la fidélisation des patients polymédiqués.
La qualité pour s’organiser
Parfois considérée comme peu valorisante, routinière ou encore technique, la PDA peut intéresser pharmaciens et préparateurs qui souhaitent se tenir moins au contact des patients et/ou sont désireux d’intégrer des procédures de bonnes pratiques. Ce sont ces dernières qui vont sécuriser et valoriser l’activité. L’association Pharma Système Qualité (PHSQ) en propose depuis 2018 dans le cadre de sa certification ISO 9001-QMS Pharma. Elle a édité un guide PDA qui doit faire l’objet d’une nouvelle version cette année. Ce guide contient des fiches de fonction pour le personnel en charge de l’activité, de même que des procédures d’hygiène relatives aux préparateurs, au matériel et aux locaux. La PDA elle-même est encadrée, ainsi que la gestion des médicaments non intégrés, le contrôle des préparations ou encore leur livraison à l’Ehpad. Les dysfonctionnements, de même que les effets indésirables qui pourraient survenir à l’administration des médicaments sont suivis. Pour la PDA à destination du patient à son domicile, un contrat à signer par le bénéficiaire a été élaboré. PHSQ envisage une labellisation interne de la PDA, plus ciblée qu’un audit global de certification et qui pourrait se faire valoir auprès des établissements médicosociaux. D’ores et déjà, près du tiers des pharmacies engagées dans cette certification qualité sont actives dans la PDA.
- Pharma espagnole : 9 milliards d’investissements et une réforme en vue
- Réforme de la facture électronique, mode d’emploi
- Mon espace santé : un guide pour maîtriser l’accès et la consultation
- Fraude à la e-CPS : l’alerte discrète mais ferme de l’Agence du numérique en santé
- Pharmacie de Trémuson : une officine bretonne pionnière en RSE et qualité
- Comptoir officinal : optimiser l’espace sans sacrifier la relation patient
- Reishi, shiitaké, maitaké : la poussée des champignons médicinaux
- Budget de la sécu 2026 : quelles mesures concernent les pharmaciens ?
- Cancers féminins : des voies de traitements prometteuses
- Vitamine A Blache 15 000 UI/g : un remplaçant pour Vitamine A Dulcis