Banc d’essai décisif pour les EHPAD

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Publié le 16 janvier 2010
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279 établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD), sur les 339 qui s’étaient porté candidats, expérimentent depuis le 1er décembre 2009 la réintégration des médicaments dans le forfait de soins. Sans préjuger des résultats, les 20 % d’officines qui approvisionnent déjà les EHPAD ont de quoi être inquiètes.

L’expérimentation, placée sous le contrôle d’un comité national de suivi, est censée montrer que le pharmacien de proximité est le professionnel de santé le plus qualifié pour gérer à coût optimisé les traitements médicamenteux dans les EHPAD, établissements sans pharmacie à usage intérieur (PUI) ou n’en partageant pas une dans le cadre d’un groupement de coopération sanitaire et sociale. « Il faut gagner le challenge du pharmacien référent et éloigner la menace des PUI, exhorte Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. La dégradation persistante de notre économie ne nous permet pas de perdre ce marché. »

Certes, mais de nombreuses inconnues demeurent quant à l’étendue réelle de ces missions en dehors de celles précisées par la circulaire de la Direction générale de l’action sociale (DGAS) : vérification de l’ordonnance, transmission des prescriptions des patients vers l’officine, travail en coordination avec les autres professionnels de santé, formation et information sur les nouveaux traitements, gestion des médicaments non utilisés, vérification des lots périmés… Les réponses viendront du terrain.

Autre inconnue : le pharmacien référent ne peut pas conclure de convention avec l’EHPAD tant que la « convention type » n’est pas sur les rails. « Le fonctionnement du pharmacien référent est encore relatif », déplore Philippe Gaertner, président de la FSPF. Manquent également à l’appel un décret en Conseil d’Etat sur la préparation des doses à administrer (PDA), un arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments et la liste des médicaments intégrés dans le budget de soins (la liste en sus des médicaments chers ne sera pas distinguée lors des expérimentations).

La circulaire de la DGAS précise en revanche les modalités de suivi et d’évaluation de l’expérimentation. Douze indicateurs ont été retenus et serviront notamment à mesurer l’effet de la coordination entre les différents acteurs de santé impliqués. Pour chaque résident, les prescriptions pharmaceutiques seront analysées à trois moments différents : au démarrage de l’expérimentation, puis quatre mois après (1er avril 2010) et enfin au 1er août 2010, soit un mois après la fin de l’expérimentation proprement dite. L’analyse sera faite par comparaison à un échantillon témoin de 50 établissements régis par un remboursement sur les soins de ville. Si l’expérimentation rencontre des difficultés organisationnelles ou budgétaires, ils pourront le cas échéant venir en appui aux établissements expérimentateurs.

Toujours rien pour la préparation des doses à administrer

Côté finances, le budget médicament alloué pour cette expérience est aligné sur la base de la consommation pharmaceutique du premier semestre 2009 des 279 établissements participants (soit 46 MÛ au total), soit 14 kÛ pour un établissement de 100 lits. Pour le député UMP Guy Malherbe (Essonne), cela ne devrait pas suffire, pour peu que la personne hébergée « explose » l’enveloppe parce qu’elle est atteinte d’un cancer. C’est bien là que le bât blesse : un malade qui coûte cher ne serait pas le bienvenu en EHPAD ! « Toutefois, l’expérimentation est sur une logique de budget ouvert. Tout dépassement par l’EHPAD sera compensé par une intervention de la Sécurité sociale », précise Philippe Gaertner.

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Il n’empêche que les syndicats ont toujours été opposés depuis le départ au principe d’intégrer le médicament dans une enveloppe de soins. « Cela revient à créer une discrimination de prise en charge entre des pensionnaires hébergés en maison de retraite et des personnes âgées maintenues à leur domicile, condamne le président de la FSPF. En particulier, le forfait privera les patients en EHPAD des dernières innovations thérapeutiques puisque le principe même du forfait est de contenir le budget. Avec la floraison de médicaments chers, un directeur d’établissement n’aura pas d’autre choix… » Cette perspective inquiétante risque d’arriver plus vite qu’on ne le pense avec la prévalence de la maladie d’Alzheimer dans les maisons de retraite : une personne hébergée sur quatre… « A elle seule, la prise en charge de cette maladie majore de 1Û le prix moyen du médicament en EHPAD par rapport à l’évaluation faite dans le rapport Deloménie*. »

« Le pharmacien référent percevra une rémunération de 0,35 Û par résident et par jour, soit un revenu annuel de 9 000 Û pour un établissement moyen de 75 lits », indique Claude Baroukh, chargé de ce dossier à la FSPF. « La Fédération avait demandé 0,50 Û, précise Philippe Gaertner. Maintenant, cette rémunération, acquise le temps de l’expérimentation, peut toujours évoluer si le pharmacien référent devait passer du temps supplémentaire par patient. »

La PDA est un autre sujet sensible. Elle n’est toujours pas incluse dans les nouvelles missions du pharmacien référent et aucun accord n’a été trouvé à propos de la responsabilité du pharmacien et d’une rémunération spéciale. « La PDA est une prestation qui doit être valorisée en tant que préparation. Il faut donc que les actes correspondants soient prévus dans la nomenclature et définir leur taux de prise en charge », réclame Claude Japhet, président de l’UNPF.

Avis convergent à l’USPO, qui estime le coût de cette prestation optionnelle, réalisée à la demande du directeur d’établissement, à 0,75 Û par jour et par patient. « Cette possibilité doit être offerte à tous les pharmaciens dans les mêmes conditions », insiste Gilles Bonnefond, qui demande également que l’enveloppe du médicament soit gérée par le pharmacien et non par le directeur de l’établissement. La PDA est une activité très chronophage, d’où la nécessité économique de l’industrialiser. Claude Baroukh craint une mainmise des « gros faiseurs » en l’absence de textes plus protecteurs.

Les PUI planent comme une épée de Damoclès

Le gros point de friction reste la possibilité laissée par la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2010 aux groupements de coopération sanitaire et sociale de créer des PUI communes à plusieurs EHPAD, en dépit de l’opposition des syndicats et de leurs mises en garde contre le risque de détérioration de la qualité du service rendu à l’usager. Ce qui va à l’encontre même de l’objectif de l’expérimentation. En effet, le décret sur les PUI en établissement médicosocial impose la présence d’un pharmacien seulement deux demi-journées par semaine. Si l’EHPAD passe par une PUI, le service rendu ne pourra être comparable à celui d’un pharmacien de proximité. « En dehors de ces deux demi-journées, aucun médicament ne pourra en théorie sortir de la PUI », prévient Philippe Gaertner. « C’est une forme de trahison et ce n’est pas le meilleur moyen de mobiliser les énergies sur les nouvelles missions de la loi HPST », commente Claude Baroukh. Claude Japhet dénonce une tournure malhonnête des événements : « La profession n’est pas certaine d’être le bénéficiaire de cette expérimentation. Sans y participer, les PUI récupéreront certaines données pour identifier les besoins des EHPAD, baisser les coûts et switcher le pharmacien. »

Un échec déstabiliserait le réseau

Sur le plan économique, les EHPAD sont un enjeu de taille. Leur approvisionnement en médicaments par les officines représente un CA de 600 MÛ et une marge de 150 MÛ environ. « La profession ne peut se passer de cette ressource partagée seulement par 20 % environ des officines du réseau », explique Philippe Gaertner. Les conséquences pourraient même être dramatiques pour l’équilibre économique de certaines, en particulier pour les plus petites qui réalisent plus de 10 % de leur CA avec les EHPAD. La profession a déjà eu un petit avant-goût amer de la spoliation en cas de fiasco : 46,7 % des adhérents de l’Association de pharmacie rurale fournissent un EHPAD qui représente 7,5 % de leur CA (soit de 2 000 Û à 300 000 Û de CA HT). Depuis la forfaitisation des LPP, le CA a déjà baissé de 15,6 % en moyenne…

Sauf retard ou imprévu, un rapport sur les expérimentations sera remis au Parlement avant le 1er octobre. Quel que soit le résultat, les médicaments seront maintenus dans le budget de soins. Ainsi en avait décidé la LFSS 2009. Toutefois, Philippe Gaertner garde l’espoir que tout ne soit pas écrit par avance : « Certains députés et sénateurs sont sensibles à l’égalité d’accès au médicament et au risque économique que l’on fait courir à certaines officines. »

* Le groupe de travail Deloménie, du nom de son rapporteur, Pierre Deloménie, inspecteur général des Affaires sociales, s’est penché en 2005 sur la prise en charge des médicaments dans les maisons de retraite pour aboutir l’année suivante à un rapport de l’IGAS.

Une explosion annoncée du marché

La population vieillissant, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait passer, selon une étude du cabinet Précepta, de 1,1 million en 2009 à plus de 1,8 million à l’horizon 2040. Pour pouvoir maintenir le taux d’équipement en places d’hébergement de ces personnes, actuellement de 47 places pour 100 personnes âgées dépendantes, les capacités d’accueil en EHPAD vont devoir augmenter de 60 % au cours des trente prochaines années, soit 337 000 places nouvelles, ce qui suppose d’en créer plus de 10 800 par an !