Hypopharmakeion !

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Publié le 26 juin 2010
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Les réactions très vives des officinaux et des fabricants à l’annonce de la baisse des prix pharmaceutiques grecs ne s’expliquent pas seulement par leurs craintes de voir chuter leurs chiffres d’affaires et bénéfices sur un marché réduit à onze millions d’habitants. Il en va aussi de l’avenir du prix du médicament dans les pays de l’Union européenne.

Le 10 mai dernier, les pharmaciens grecs ont baissé le rideau durant 48 heures. Cette opération ciblait les mesures d’austérité mises en place par le gouvernement en contrepartie du plan de sauvetage accordé par l’Union européenne. Mais aussi à alerter l’opinion publique sur la situation précaire de certaines officines alors que la caisse d’assurance maladie du service public ne rembourse plus, faute de liquidité, les médicaments depuis sept mois ! On estime ainsi jusqu’à 60 000 euros l’ardoise laissée chez certains officinaux. « Les arriérés de l’assurance maladie de l’Etat nous obligent à nous retourner vers les banques pour nous en sortir. Nos problèmes sont d’autant plus cruciaux que nous devons payer des taxes sur de l’argent que nous n’avons pas encore perçu ! », expose Aristea Katsoulakou, pharmacienne à Nauplie, qui emploie trois adjointes. Selon l’une de ses consœurs, certains pharmaciens seraient même endettés à hauteur de 20 000 à 30 000 euros et, à cause de la crise, ils n’obtiennent plus de crédits. Or, pendant ce temps, ce même Etat, qui rechigne à les payer, continue de leur prélever tous les trimestres la TVA.

La situation pourrait devenir dramatique pour certains pharmaciens. D’autant que ce pays, qui permet toute installation dans un périmètre de 50 mètres autour d’une officine et qui compte la plus forte densité d’officines d’Europe, envisage l’ouverture du capital ! « Il est certain que la concurrence va s’intensifier », croit Maria Apostolaki. Cette titulaire installée depuis 1975 à Héraklion, en Crète, a deux employées qui lui coûtent chacune 1 500 euros par mois. Elle essaie de compenser en réalisant 30 à 35 % de son chiffre en cosmétique, mais les mesures d’austérité se font ressentir sur le porte-monnaie de ses clients. Elle déclare la situation encore acceptable pour elle aujourd’hui mais sait que cela va devenir difficile. Même si elle préciseque sur les îles, surtout les Cyclades, les effets de la crise se font moins ressentir en raison du tourisme. Alors qu’elle s’apprête à prendre sa retraite dans deux ans, elle s’inquiète pour l’avenir d’une profession qui jusqu’à présent se portait bien.

Les prix des médicaments ont été baissés de 27 % !

D’autant que la saignée continue. La crise et les mesures d’austérité votées par le gouvernement Papandréou, sous la pression des pays de la zone euro et du Fonds monétaire international, touchent également le médicament et, à travers lui, les laboratoires, les grossistes et les pharmaciens. Pour réduire son déficit budgétaire, Athènes a décidé de relever la TVA sur le médicament de 9 à 10 % et, pour l’OTC et les cosmétiques, de 19 à 21 %. Il se pourrait même que ces taux soient revus à la hausse respectivement à 11 et 25 %. « Comment le système de santé va-t-il pouvoir tenir le coup dans ces conditions, alors que la population est déjà mise à mal par les mesures d’économies ?, s’interroge un pharmacien d’Athènes. Déjà, certains de mes clients me demandent un rabais sur le ticket modérateur. »

Autre conséquence du plan d’austérité, le gouvernement a décidé en toute urgence, le 3 mai dernier, la baisse de 27 % du prix des médicaments et le retrait du marché de 90 préparations dont le prix est supérieur à 1 000 euros. But de l’opération : économiser un milliard d’euros soit 10 % des dépenses en médicaments. Et du coup réduire la marge des pharmaciens de 20 voire 30 %. « Le pire est que le gouvernement a décidé de baisser les prix des médicaments en nous donnant un mois pour nous aligner sur ces prix. Nombre d’entre nous ont des stocks importants qu’ils n’ont pu écouler entièrement entre-temps. Ils doivent aujourd’hui vendre 25 % moins chers des produits qu’ils ont achetés à l’ancien prix. En tout et pour tout, les pharmaciens devraient perdre de 15 000 à 20 000 euros chacun ! », s’insurge une titulaire du Péloponnèse qui tient à garder l’anonymat.

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« Aux prix que nous impose la Grèce nous ferions des pertes, a déclaré Lars Sörensen, patron de Novo Nordisk, pour expliquer sa décision de retirer de la vente 17 références de sa gamme de stylos injecteurs d’insuline (voir encadré p. 28). De plus, nos médicaments gagneraient les autres pays européens de manière tout à fait incontrôlée. » Cette déclaration révèle à elle seule la position délicate dans laquelle se trouve l’industrie pharmaceutique. Le marché grec est son talon d’Achille. Ce fait n’est pas nouveau. En alignant ses prix sur ceux des trois pays à meilleur marché d’Europe (Espagne, Italie et Portugal), le médicament grec est l’un des moins chers d’Europe. Et pas seulement pour l’aspirine. Le traitement par Glivec 400 mg y coûte 6 914 euros contre 7 806 euros en Allemagne par exemple.

La Grèce championne d’Europe des importations

Dans ce contexte, la Grèce s’est fait une spécialité en devenant championne européenne du marché des médicaments réimportés (450 références principales), pour un volume de 450 millions d’euros annuels, soit 11 % du marché du médicament grec. Les quelque 150 grossistes-répartiteurs installés en Grèce exportent ainsi aux tarifs grecs vers des pays pratiquant des prix plus élevés. Cette pratique, qui a dans le passé,engendré des ruptures de stocks sur le marché intérieur grec, est particulièrement prisée par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas et même encouragée par la législation en Allemagne qui concentre à elle seule, avec 3 milliards d’euros, 61 % de ce marché. Grâce au dumping ordonné par le gouvernement Papandréou, la Grèce a toutes les chances de continuer à détenir encore longtemps ce palmarès.

S’il redoute qu’une telle réduction des prix n’accroisse les probabilités d’exportation alors que les approvisionnements sont nécessaires au marché intérieur, et ne lèse les patients, Colin Mackay directeur de la Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique (FEAIP), prévoit « une spirale décroissante des prix en Europe provoquée par les pratiques de référencement aux prix grecs » (voir ci-dessous). L’Espagne en est le meilleur exemple. Madrid vient de décider une baisse du prix des médicaments brevetés de 23 %. Cette mesure, qui entrera en vigueur au 1er août, devrait permettre au gouvernement espagnol d’économiser près d’1,3 milliard d’euros. La fédération de l’industrie pharmaceutique espagnole s’est prononcée contre cette baisse, citant les conséquences en termes d’emploi et de recherche en Espagne. Une position relayée par la FEAIP qui craint également « un effet général sur l’emploi et la R & D de la branche pharmaceutique en Europe à moyen et long terme ».

Il est certain que les décisions grecque et espagnole vont avoir un effet déflationniste sur le marché du médicament européen. D’ores et déjà, des voix s’élèvent pour réclamer une politique européenne unifiée en matière de fixation des prix pharmaceutiques, laquelle relève de chacun des Etats membres. Aujourd’hui, le prix du médicament est l’otage des gouvernements. A fortiori quand ceux-ci sont en faillite.

L’exode des labos danois

Les pharmaciens ont doublement raison de s’inquiéter pour leurs stocks. Car, dès l’annonce de la baisse des prix pharmaceutiques, certains laboratoires ont vivement protesté, déclarant immédiatement qu’ils ne suivraient pas ces directives et qu’au besoin ils quitteraient le marché grec. A Bruxelles, la Fédération européenne des associations de l’industrie pharmaceutique (FEAIP) s’inquiète que ces mesures gouvernementales touchent également l’approvisionnement du marché grec.

« Une réduction des prix pharmaceutiques de 27 % cause des soucis considérables à l’industrie », remarque Colin Mackay, directeur de la FEAIP. Il se refuse toutefois à commenter l’attitude de certains groupes pharmaceutiques. Tandis que certaines firmes comme AstraZeneca et Merck s’interrogent encore sur la conduite à tenir, d’autres laboratoires, danois tous les deux, ont adopté une position plus radicale : Leo Pharma et Novo Nordisk ont interrompu certaines de leurs livraisons. Ce dernier, leader du marché de l’insuline, a informé les médecins grecs, le 19 mai, qu’il retirait de la vente 17 produits de sa gamme de stylos injecteurs. Les ruptures de stocks ne se sont pas fait attendre. « Cela pose un problème pour mes patients diabétiques car beaucoup d’entre eux utilisent ces produits de dernière génération », s’inquiète un pharmacien. Selon les estimations, 50 000 Grecs seraient ainsi concernés.