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PHARMACIEN RESPONSABLE, LE DEVOIR DE DIRE NON
Méconnus du grand public, de ses confrères et des autres professionnels de santé, le pharma cien responsable est pourtant un pivot au sein de l’industrie pharmaceutique. Intervenant à tous les stades, il doit aussi avoir le courage et les moyens de dire non.
En plein dans la tourmente du Mediator, Jean-Pierre Paccioni, président de la section B (pharmaciens de l’industrie) de l’Ordre des pharmaciens, révélait, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, que l’Ordre avait porté plainte contre le pharmacien responsable de Servier pour « manquement à l’indépendance ». L’Ordre n’a pas souhaité communiquer davantage sur cette plainte devant ses instances disciplinaires afin de ne pas invalider la procédure en cours. Pour autant, le sujet de l’indépendance des pharmaciens responsables a été de nouveau abordé par l’Ordre dans sa contribution aux Assises du médicament (voir « Le Moniteur des Pharmacies » n° 2882 du 14 mai 2011). Isabelle Adenot, présidente du Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP), a également souligné que la fonction de pharmacien responsable était largement méconnue du public mais aussi des autres pharmaciens. Pas faux.
De la recherche à la distribution
Les pharmaciens responsables ne font pas, en effet, la Une des journaux, même lorsque l’on parle de médicaments, de plan de gestion des risques ou de scandales sanitaires. Pourtant leur rôle et leurs missions sont essentiels au sein de l’industrie. En outre, leurs responsabilités sont plus qu’importantes, puisqu’elles sont civiles, pénales et ordinales. Car ils organisent et supervisent toutes les phases de la vie du médicament. « Le pharmacien responsable est un chef d’orchestre qui doit s’assurer qu’il n’y a pas de fausses notes », explique Sylvie Gauthier-Dassenoy, pharmacien responsable de Novartis Pharma France. Et d’ajouter : « C’est le Code de la santé publique qui définit mes missions et ma fiche de mission. » Effectivement, le Code de la santé publique définit précisément les fonctions du pharmacien responsable (voir pages 21 et 22). Et, de fait, ce dernier couvre tous les champs. Cela commence par la recherche, les études et les essais cliniques. Le pharmacien responsable doit participer à l’élaboration du programme de recherche et d’études, mais aussi demander l’autorisation de mener des essais cliniques à l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et l’avis du comité d’éthique. « J’assure la surveillance des produits lors des essais cliniques », souligne Edith Robillard, pharmacien responsable de Boehringer Ingelheim France. Cependant, « notre intervention sur la recherche s’est un peu atténuée. Aujourd’hui, la recherche est mondialisée et les process sont devenus globaux. Notre implication est moins importante qu’il y a vingt ans », note également Sylvie Gauthier-Dassenoy. Une remarque valable en particulier pour les grands groupes mondiaux. Le pharmacien responsable de Novartis, comme ses confrères, doit bien sûr être informé des recherches lancées. « Il faut avoir une vision d’ensemble. On ne peut pas ne pas avoir d’informations », explique Nathalie Bouvard, pharmacien responsable des Laboratoires Grünenthal France.
Oser dire non, une condition indispensable pour le pharmacien responsable qui signe les dossiers de demande d’autorisation de mise sur le marché auprès de l’Afssaps ou de l’Agence européenne du médicament. Ensuite, il supervise la fabrication des médicaments, ainsi que l’assurance qualité des sites de production, et autorise la libération des lots. Ce dernier point est primordial. « Le pharmacien responsable a le pouvoir de dire « oui » et le devoir de dire « non » », déclare Frédéric Bassi, pharmacien responsable de Bristol-Myers Squibb (BMS) France. C’est, en effet, lui qui décide en cas de problème de la libération ou non des lots. Comme il décide du rappel ou du retrait de lots après la mise sur le marché du médicament. Une action qui ne peut intervenir qu’après détection de signaux d’alerte dans le cadre de la pharmacovigilance dont il est évidemment responsable. Enfin, le pharmacien responsable est en charge de la logistique et du transport des médicaments, ainsi que du stockage. « C’est un aspect important, notamment dans le cadre de la chaîne du froid. Un vaccin soumis à une forte chaleur ou, pire, au gel, perd beaucoup de son efficacité », indique Jean-Pierre Paccioni, qui est aussi pharmacien responsable de GlaxoSmithKline. « Je suis responsable de l’entreprise auprès des autorités de santé et je dois m’assurer que le Code de la santé publique est appliqué. C’est la base de notre métier », résume Edith Robillard. Le pharmacien responsable est d’ailleurs l’unique interlocuteur de l’Afssaps et des autorités sanitaires.
Des responsabilités bien plus lourdes qu’il n’y paraît
La charge est donc lourde. « Il y a tellement de responsabilités que je ne pourrais pas les assumer seule, même si je travaillais vingt-quatre sur vingt-quatre ! », plaisante Sylvie Gauthier-Dassenoy. De fait, le pharmacien responsable ne travaille pas seul. « La responsabilité ne se délègue pas, mais on peut déléguer nos activités », explique Frédéric Bassi. Ce dernier a désigné un pharmacien délégué sur chacun des deux sites de production de BMS. « Notre site d’Agen libère 500 lots par mois. C’est le pharmacien délégué qui libère les lots. Mais, avec son collègue, il me remonte les problèmes. S’il doit y avoir un rappel de lots, il me demande de prendre position », relate Frédéric Bassi. Dans les différents laboratoires, l’organisation repose sur les mêmes grands principes : des pharmaciens délégués, pouvant être épaulés par des pharmaciens adjoints, qui reportent directement au pharmacien responsable, et des équipes qui s’occupent pour l’une des affaires réglementaires et pour l’autre de la pharmacovigilance. Des pharmaciens sont également en charge de l’assurance qualité et du contrôle qualité. Edith Robillard dispose ainsi d’une équipe de 30 personnes. Sylvie Gauthier-Dassenoy a 24 personnes sous ses ordres. Nathalie Bouvard manage 8 collaborateurs, Grünenthal France étant une « petite structure qui emploie moins de 150 salariés en France ».
Un métier où l’on doit oser dire non
Et quand les pharmaciens responsables doivent s’absenter soit dans le cadre de leur fonction, soit lors de leurs congés, ils désignent un pharmacien responsable intérimaire. Mais tous reconnaissent rester en contact avec le laboratoire de façon permanente. Car ils doivent pouvoir réagir rapidement face au moindre problème pouvant avoir des conséquences en termes de santé publique. L’indépendance professionnelle des pharmaciens responsables, décrite dans le Code de la santé publique, n’est pas négociable.
Le pouvoir de dire « non » doit être réel. « Ce n’est jamais facile. On peut nous voir au sein de l’entreprise comme des empêcheurs de tourner en rond », glisse Edith Robillard. Il est par conséquent primordial que la direction de l’entreprise reconnaisse pleinement le rôle du pharmacien responsable. « C’est toujours difficile de dire “non” à la libération d’un lot, il y a des enjeux pour l’entreprise. Mais si notre position est respectée et acceptée par le président, nous pouvons le dire, remarque Sylvie Gauthier-Dassenoy. Lorsque j’ai été reçue en entretien de recrutement par Patrice Zagamé, président de Novartis France, j’ai vérifié que j’avais la possibilité de dire non. » « Après, les gens viennent nous voir spontanément. C’est un accompagnement. Il faut être droit dans ses bottes », relève Nathalie Bouvard. « Le pharmacien responsable est dans l’entreprise au service de la santé publique. Notre place est reconnue comme un garant et un garde-fou », ajoute Frédéric Bassi. Cette reconnaissance est d’autant plus grande si le pharmacien responsable occupe un poste de direction. Ce que prévoit aussi le Code de la santé publique. Les pharmaciens responsables interrogés sont mandataires sociaux et participent au comité exécutif.
La fonction de pharmacien responsable est passionnante aux yeux de celles et ceux qui l’exercent, mais loin d’être de tout repos. Et les perspectives dans le contexte actuel de refonte du système sanitaire ? « La position du pharmacien responsable va sûrement être renforcée », estime Sylvie Gauthier-Dassenoy. Nathalie Bouvard pense aussi que le métier va évoluer et que le système du médicament peut être amélioré. « Il est pour moi plus important de vendre le rôle de pharmacien responsable à l’Europe », ajoute-t-elle. Car le pharmacien responsable est une exception culturelle française. Que certains pays nous envient.
INTERVIEW
JEAN-PIERRE PACCIONI
PRÉSIDENT DE LA SECTION B DE L’ORDRE« L’indépendance du pharmacien responsable est fondamentale »
Comment définiriez-vous le métier de pharmacien responsable ?
JEAN-PIERRE PACCIONI : Au-delà de la réglementation et de l’organisation, c’est la personne qui est en charge de la sécurité du patient. C’est l’homme-orchestre qui peut dire « oui » et créer du business, mais qui doit aussi avoir la force et la légalité de dire « non » quand il y a un problème. On peut dire « non » une fois par an, mais il faut être prêt à l’assumer. Car dans la vie réelle, cela ne se passe jamais comme prévu et il est important d’avoir des détecteurs de signaux faibles. Le pharmacien responsable doit être capable de voir le point de détail, d’être proactif et de prendre des mesures difficiles. C’est pour cette raison que l’on travaille sur l’indépendance du pharmacien responsable.
Dans sa contribution aux Assises du médicament, l’Ordre propose justement de renforcer l’indépendance des pharmaciens responsables. Comment ?
J.P. P. : Le Code de la santé publique précise que le pharmacien responsable désigne aux autres dirigeants les obstacles et limites à l’exercice de ses fonctions. Si je décide de bloquer un lot, je dois pouvoir le faire. S’il y a désaccord avec l’entreprise, le pharmacien responsable doit informer l’Afssaps. C’est très important. C’est pour cela qu’il doit être mandataire social. Nous allons donc nous assurer que chacun des pharmaciens responsables rapporte bien au président de son laboratoire. Et vérifier tous les organigrammes. Il y a des enquêtes en cours. L’idée est d’avoir un pharmacien responsable fort qui a les moyens d’exercer ses responsabilités et de pouvoir travailler exactement en conformité avec le Code de la santé publique.
L’Ordre préconise aussi de « garantir les moyens permettant au pharmacien responsable d’exercer sa responsabilité sur la qualification promotionnelle ou non de toute information relative aux médicaments ». Ce qui signifie concrètement ?
J.P. P. : Dans beaucoup d’entreprises, le pharmacien responsable vise les documents de promotion et la formation des visiteurs médicaux. Ces missions figurent dans la charte de la visite médicale. Nous voudrions que cela devienne réglementaire. Etre pharmacien responsable est un honneur mais implique de grands devoirs.
Propos recueillis par Magali Clausener
Comment devient-on pharmacien responsable ?
Les pharmaciens responsables ont suivi le cursus initial de pharmacien d’industrie et, une fois intégrés dans l’industrie, ont généralement travaillé dans différents services. Mais pour exercer cette fonction, le futur pharmacien responsable doit acquérir une expérience soit sur les sites de production en contrôle de qualité, soit dans le domaine de l’assurance qualité et de la pharmacovigilance. L’expérience est de mise. De fait, les pharmaciens responsables ont rarement 25 ans ! « Il faut connaître tous les rouages de l’entreprise et avoir une vision d’ensemble », précise Nathalie Bouvard, pharmacien responsable de Grünenthal France. Sylvie Gauthier-Dassenoy, pharmacien responsable de Novartis France, conseille d’être d’abord pharmacien responsable intérimaire : « Cela permet d’appréhender différentes situations ».
MC
Les chiffres clés
• 3 454 pharmaciens de l’industrie dont 452 pharmaciens responsables 448 pharmaciens responsables intérimaires
• 472 entreprises pharmaceutiques
• 795 établissements
• Moyenne d’âge des pharmaciens de l’industrie : 41,5 ans
• Femmes : 57 % ; hommes : 43 %
• Près d’un tiers des pharmaciens de l’industrie exercent en Ile-de-France, 15 % en Rhône-Alpes et près de 10 % dans la région Centre.
Source : Section B de l’Ordre des pharmaciens, chiffres de 2010 (1er janvier 2011)
Ce que dit le Code de la santé publique
C’est l’article R. 5124-36 (modifié par le Décret n° 2007-157 du 5 février 2007 – art. 2 ; Journal officiel du 7 février 2007) qui définit les missions du pharmacien responsable :
1° – Il organise et surveille l’ensemble des opérations pharmaceutiques de l’entreprise ou de l’organisme, et notamment la fabrication, la publicité, l’information, la pharmacovigilance, le suivi et le retrait des lots, la distribution, l’importation et l’exportation des médicaments, produits, objets ou articles concernés ainsi que les opérations de stockage correspondantes ;
2° – Il veille à ce que les conditions de transport garantissent la bonne conservation, l’intégrité et la sécurité de ces médicaments, produits, objets ou articles ;
3° – Il signe, après avoir pris connaissance du dossier, les demandes d’autorisation de mise sur le marché présentées par l’entreprise ou organisme et toute autre demande liée aux activités qu’il organise et surveille ;
4° – Il participe à l’élaboration du programme de recherches et d’études ;
5° – Il a autorité sur les pharmaciens délégués et adjoints ; il donne son agrément à leur engagement et est consulté sur leur licenciement, sauf s’il s’agit d’un pharmacien chimiste des armées ;
6° – Il désigne les pharmaciens délégués intérimaires ;
7° – Il signale aux autres dirigeants de l’entreprise ou organismes tout obstacle ou limitation à l’exercice de ses attributions.
Le même article précise que « dans le cas où un désaccord portant sur l’application des règles édictées dans l’intérêt de la santé publique oppose un organe de gestion, d’administration, de direction ou de surveillance au pharmacien responsable, celui-ci en informe le directeur général de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. »
3 QUESTIONS À
CHRISTIAN LAJOUX
PRÉSIDENT DU LEEM*« Il appartient à l’Ordre et aux entreprises de valoriser le métier de pharmacien responsable »
L’Ordre des pharmaciens veut garantir l’indépendance des pharmaciens responsables. Il soulève aussi le problème de leur place au sein de l’entreprise. Quelle est la position du Leem à ce sujet ?
CHRISTIAN LAJOUX : En tant que président du Leem, j’ai globalement le sentiment que les pharmaciens sont bien responsabilisés dans leurs entreprises. Ils sont soit dans les comités exécutifs, soit dans les comités de direction. Les textes manquent un peu de précision et, de ce point de vue, le rappel de l’Ordre est fondé. Mais je ne comprends pas qu’il y ait un débat à ce sujet. Je pense que le problème de la place du pharmacien responsable concerne très peu d’entreprises, peut-être dix sur plus de trois cents.
Pensez-vous que leur rôle va être renforcé ?
C.L. : La certification de la charte de la visite médicale a fortement repositionné le rôle des pharmaciens responsables. Ils assument pleinement leur rôle et depuis longtemps. Ils vont continuer à assumer leur rôle d’alerte.
On compte environ 450 pharmaciens responsables. Est-ce suffisant ?
C.L. : Ce nombre me paraît très faible. Je trouve que l’on n’a pas beaucoup de réserves. C’est un statut difficile avec des responsabilités lourdes. Les pharmaciens qui rentrent dans l’industrie veulent exercer d’autres métiers comme le marketing ou les affaires réglementaires. Il appartient à l’Ordre et aux entreprises de valoriser le métier de pharmacien responsable. Les entreprises doivent aussi investir dans la formation des pharmaciens responsables. La particularité de la France est d’avoir délégué la sécurité du patient aux pharmaciens. On a à la fois une production de très grande qualité et un système de distribution avec les officines de très grande qualité. On a une expertise qu’il convient de maintenir et de développer.
Propos recueillis par Magali Clausener
* Le Leem, les entreprises du médicament, regroupe les entreprises du secteur de l’industrie en France.
Les pharmaciens responsables de l’information médicale et publicitaire
L’article R. 4235-69 du Code de la santé publique précise que « le pharmacien responsable est tenu de veiller à l’exactitude de l’information scientifique, médicale et pharmaceutique et de la publicité, ainsi qu’à la loyauté de leur utilisation. Il s’assure que la publicité faite à l’égard des médicaments est réalisée de façon objective et qu’elle n’est pas trompeuse. » La charte de la visite médicale précise que le pharmacien responsable est « en charge de la qualité scientifique et économique des supports papier et des aides audio-visuelles utilisés pour la visite médicale » et « du contenu des messages délivrés par le délégué médical ». Il s’assure également « que le délégué médical possède les connaissances nécessaires à l’exercice de son métier et qu’il reçoit une formation continue régulière visant à l’actualisation de ses connaissances et à la préparation des campagnes de promotion ».
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