FACE À LA JUSTICE

Réservé aux abonnés
Publié le 16 juillet 2011 | modifié le 18 août 2025
Par Fabienne Rizos-Vignal
Mettre en favori

Le Parlement a adopté définitivement, le 6 juillet dernier, le fonds d’indemnisation des victimes de Mediator. L’Office national d’indemnisation des accidents médicaux va le gérer dans le but de faciliter et, s’il y a lieu, de procéder au règlement amiable des litiges relatifs aux dommages causés par le benfluorex. Dans « l’affaire Mediator », c’est désormais sur le terrain judiciaire que la partie se dispute. Le point sur les différentes procédures.

Tous les ingrédients d’un mauvais polar sont réunis. Des morts suspectes, des détournements d’indication, un système de pharmacovigilance défaillant. Et un médicament dont les risques étaient connus depuis un moment. Ce qui a enclenché des enquêtes de l’Igas (Inspection générale des affaires sociales), des missions parlementaires et les Assises du médicament. Et, au final, a abouti à moult rapports et à un projet de réforme du médicament (voir Le Moniteur des pharmacies n° 2890 du 2 juillet 2011). Mais également à plusieurs procédures en justice de la part des patients. Le volet judiciaire est ouvert depuis mi-novembre 2010, c’est-à-dire depuis la première plainte pénale déposée au parquet de Nanterre par la famille d’un patient décédé.

Selon Charles Joseph-Oudin, avocat de malades, ce volet judiciaire « va permettre que justice se fasse. Les patients souhaitent être pris en considération en tant que victimes, obtenir une indemnisation et la condamnation du laboratoire Servier ». Plusieurs procédures pénales ont déjà démarré.

Un engrenage judiciaire en deux temps

Le pôle de santé publique du parquet de Paris a ainsi ouvert deux instructions. La première pour « blessures et homicides involontaires » devra déterminer, pour chaque malade, le lien de causalité entre la prise de Mediator et la pathologie développée. La seconde pour « tromperie aggravée et prise illégale d’intérêts » examinera la responsabilité du laboratoire Servier, soupçonné d’avoir commercialisé un antidiabétique plus proche d’un coupe-faim (« tromperie sur la composition et les qualités substantielles du produit ») et d’avoir vendu un produit sans informer les consommateurs de ses effets secondaires (« tromperie sur les risques et mise en danger de la vie d’autrui »).

Une autre action est donc en cours devant le tribunal de grande instance de Nanterre. « Nous avons déposé une citation directe, qui permet de saisir le tribunal sans instruction préalable », explique Charles Joseph-Oudin. S’il a été question de regrouper au tribunal de grande instance de Paris les procédures ouvertes à Nanterre, la Cour de cassation a décidé de ne pas les rattacher. « C’est une bonne chose pour les victimes, se félicite Charles Joseph-Oudin. Car le procès à Nanterre qui ne vise que la tromperie aggravée, et donc la réparation du préjudice moral, va avoir lieu dans des délais raisonnables. »

Publicité

Une audience de fixation aura lieu fin septembre pour déterminer la date du procès qui devrait se tenir au printemps 2012. En revanche, la bataille judiciaire qui va s’engager à Paris aboutira moins rapidement. Déjà, le parquet de Paris doit examiner les quelque 1 500 plaintes pour blessures et homicides involontaires. Toutes les plaintes pénales, déposées partout en France, sont rassemblées en effet au pôle de santé publique du tribunal de grande instance de Paris. De plus, cette procédure suppose de longues expertises médicales afin d’évaluer le préjudice corporel de chaque victime. Les victimes ne sont pas les seules à avoir porté l’affaire en justice. L’Assurance maladie et la Mutualité française ont également déposé plainte en février dernier pour escroquerie et tromperie aggravée.

Outre la voie pénale, « les victimes peuvent également entamer une procédure civile et saisir le tribunal pour une expertise judiciaire », explique Lionel Jacqueminet, avocat spécialisé en droit pharmaceutique et contentieux de la santé.

L’indemnisation des patients pour les préjudices subis

Le laboratoire Servier ayant son siège à Neuilly (Hauts-de-Seine), les plaintes civiles sont déposées devant le tribunal de grande instance de Nanterre. L’objectif d’un tel recours ? Obtenir l’indemnisation intégrale des préjudices subis. Pour cela, des expertises médico-légales devront rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice pour les victimes qui ont pris Mediator avant l’introduction en droit français des dispositions européennes relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux. Après cette date, les demandeurs n’auront pas à démontrer l’existence d’une faute. Car selon la loi de 1998 sur les produits défectueux, « le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit » (article 1386-1 du Code civil). La responsabilité du laboratoire Servier sera donc au premier plan. Selon Lionel Jacqueminet, « d’autres professionnels pourraient être mis en cause, notamment les médecins qui ont prescrit Mediator hors AMM, voire les pharmaciens si la délivrance s’est faite dans des conditions non conformes ». Hors AMM, le laboratoire pourrait voir sa responsabilité atténuée voire rejetée sur le fondement de l’article 1386-4 du Code civil selon lequel « un produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ». Le laboratoire pourrait donc défendre la thèse selon laquelle « le ratio bénéfices/risques de Mediator était évalué pour les patients diabétiques alors qu’aucune étude clinique du laboratoire n’a a priori estimé ce ratio pour une utilisation comme coupe-faim », analyse Lionel Jacqueminet. A condition que le laboratoire ne soit pas à l’origine de ce détournement d’indications.

Un fonds géré par l’Oniam facilite la procédure aux victimes

Si cette affaire lève le voile sur de nombreuses questions qu’il appartient à la justice de trancher, une réalité ne peut être niée. Celle des victimes et de leurs familles. Selon deux études de la Cnamts (Caisse nationale de l’Assurance maladie des travailleurs salariés), 500 à 2 000 personnes seraient décédées à la suite de valvulopathies causées par Mediator. Le laboratoire Servier conteste ces chiffres « extrapolés et biaisés », mais concède toutefois via Lucy Vincent, directrice générale en charge des relations extérieures, que « du point de vue des patients, chaque cas identifié est un cas de trop ». Plus largement, ce sont environ 5 millions de personnes qui ont été traitées par Mediator, entre 1976 et 2009, pendant une durée moyenne d’environ 18 mois (Source : Afssaps). Pour éviter un nouveau scandale sanitaire, qui ne rappellerait que trop celui du sang contaminé, le ministère de la Santé a répondu favorablement aux associations de patients qui ont demandé la mise en place d’un fonds d’indemnisation. La création de ce fonds, adopté définitivement par le Parlement le 6 juillet dernier, fait partie du projet de loi de finances rectificatives pour 2011. « Géré par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes [Oniam], ce fonds permettra aux victimes d’être indemnisées en bénéficiant d’une gratuité des expertises médicales et de la procédure », explique le Dr Dominique-Michel Courtois, président de l’AVIM (Association des victimes de l’Isoméride et du Mediator). La procédure devant le fonds d’indemnisation est un règlement amiable pour la victime. L’Oniam se retournera ensuite contre Servier.

Ce recours sera donc plus simple, plus rapide, et moins onéreux que la voie judiciaire. « La plupart des patients n’ont ni le temps, ni l’énergie, ni les ressources psychologiques et physiologiques pour entamer des procédures longues, coûteuses, et dont l’issue reste aléatoire », souligne Frédéric Moreau, responsable de la cellule Mediator mise en place par l’AFD (Association française des diabétiques). Ce fonds, provisionné par l’Etat, devrait être opérationnel le 1er septembre 2011. Dès cette date, les patients pourront transmettre leurs dossiers à l’Oniam après avoir rassemblé les pièces qui serviront à prouver leur préjudice : les ordonnances de benfluorex (ou une attestation de prescription du médecin, voire l’extrait de l’ordonnancier du pharmacien), les échographies cardiaques, et toute attestation médicale indiquant l’état de santé passé et actuel. « Des experts indépendants étudieront chaque dossier au cas par cas, en fonction des dommages », précise Gérard Raymond, président de l’AFD. Avec la garantie d’obtenir une proposition d’indemnisation dans l’année suivant le dépôt du dossier. En acceptant les propositions d’indemnisations de l’Oniam, les victimes renonceront à toute poursuite civile visant à obtenir réparation de leurs préjudices. Car c’est un principe, on ne peut être indemnisé deux fois pour le même dommage. En revanche, les victimes conserveront la possibilité d’intenter une action pénale.

La responsabilité de l’Afssaps doublement mise en cause

Des procédures administratives pourraient mettre l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) sur la sellette. Deux scénarios sont possibles. Un patient pourrait agir contre l’Agence en lui reprochant de ne pas avoir retiré du marché Mediator et donc d’être responsable des conséquences dommageables. Autre hypothèse, un médecin prescripteur condamné pourrait se retourner, via son assureur, contre l’Agence et invoquer le fait que « si l’Afssaps avait correctement assumé sa mission de contrôle et de sécurité, le produit aurait été retiré du marché, et n’aurait donc pas pu être prescrit, ce qui aurait évité aux médecins de le prescrire, et de voir leur responsabilité engagée », souligne Lionel Jacqueminet. Des médecins n’ont pas attendu d’être condamnés pour entamer cette démarche. Une vingtaine de praticiens, soutenus par la Fédération des médecins de France (FMF), ont porté plainte lundi 16 mai contre l’Afssaps pour « défaut d’information » et « faute ». Pour Fabrice Di Vizio, leur avocat, l’Agence a en effet failli à sa mission de service public (voir Le Moniteur des Pharmacies n° 2883 du 21/05/2011). L’affaire Mediator est donc loin d’être terminée.

Pharmaciens, quelles responsabilités ?

Lionel Jacqueminet est avocat spécialisé en droit pharmaceutique et contentieux de la santé.

Parce que les pharmaciens sont les derniers remparts avant la remise du médicament au patient, la question de leur responsabilité peut légitimement être soulevée. « Dans une chaîne de responsabilités, on recherche la responsabilité de tous les maillons, y compris du dernier, d’autant que celui-ci est souvent présenté comme celui “sans qui” le dommage ne serait pas arrivé » confirme Lionel Jacqueminet, avocat. Dans le cas de Mediator, bénéficiant d’une mise sur le marché validée par les autorités, la responsabilité des pharmaciens ne pourra en principe pas être mise en cause « à condition que le pharmacien n’ait pas failli à ses obligations, en délivrant le médicament à partir d’une prescription régulière », prévient l’avocat. Autrement dit, un patient pourrait se retourner contre son pharmacien si celui-ci a enfreint les règles de délivrance, par exemple, en faisant une avance de Mediator sans ordonnance ou en réalisant une préparation magistrale contraire aux restrictions imposées dès 1982 par la loi Talon (cf. infographie, pages 28 à 30). Sauf infractions, ce n’est donc pas sur le terrain de la dispensation que les pharmaciens devront rendre des comptes. En revanche, les victimes de Mediator, qui réclament aujourd’hui réparation, doivent rapporter la preuve que ce médicament leur a bien été prescrit. « Les patients qui ont égaré leurs ordonnances pourront donc demander à leurs pharmaciens de les aider à constituer cette preuve. A charge pour ces derniers d’être en conformité avec leurs obligations d’archivage », conclut Lionel Jacqueminet. De fait, à l’officine, toute délivrance de Mediator (classé sur liste I) devait être reportée à l’ordonnancier conservé pendant dix ans conformément à l’article R. 5132-9 du Code de la santé publique.

Médecins, quelles responsabilités ?

Concernant la responsabilité des médecins qui ont abusivement prescrit Mediator comme coupe-faim, Charles Joseph-Oudin, avocat des malades, livre sa réponse. « On ne peut pas faire endosser aux médecins la responsabilité des complications causées par Mediator, même prescrit hors AMM. Car il n’est pas illicite de recourir à un médicament pour d’autres indications que celles qui justifient sa mise sur le marché, explique Charles Joseph-Oudin. Dans le cas de Mediator, les médecins ont été trompés. Le laboratoire Servier a constamment nié la parenté de structure chimique avec Isoméride en cachant délibérément la présence de norfenfluramine. Or, dès 1993, une étude anglaise affirmait qu’Isoméride et Mediator avaient comme point commun ce métabolite. Le retrait d’Isoméride en 1997 aurait donc dû se répercuter sur Mediator. L’effet inverse s’est produit. Les patients sous Isoméride et Pondéral ont alors basculé vers Mediator et le détournement d’usage s’est intensifié : 60 à 70 % des prescriptions sont devenues hors AMM avec des pics saisonniers en début d’été. Comment en est-on arrivé là ? Cette question ouvre un autre débat. » En effet, selon la Cnam et l’Igas, plus de 70 % des prescriptions de Mediator étaient hors AMM lorsque le retrait est intervenu. Le laboratoire Servier conteste ce taux et affirme que moins de 10 % des prescriptions n’étaient pas conformes aux indications de l’AMM lors des dernières années de commercialisation de Mediator (chiffres établis par l’organisme Cegedim Thalès).