Telle est la question

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Publié le 7 juillet 2012
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Adaptation des services aux besoins locaux et économies, avance le gouvernement pour défendre sa réforme du NHS. Privatisation rampante, démantèlement du NHS, pertes d’emplois, répondent les opposants. Le point sur les arguments et contre-arguments dans un contexte encore flou.

Le NHS fait face à des défis très difficiles et à d’importants problèmes financiers, explique Alexander MacDonald, attaché de presse au Département de la Santé, à Londres. La population vieillit ?: il y aura deux fois plus de personnes de plus de 85 ans dans les vingt prochaines années. Sans compter les problèmes de santé publique comme l’obésité et le diabète. Le coût du médicament progresse de 600 millions de livres par an. Comment peut-on mieux utiliser nos ressources tout en conservant le NHS sur le long terme, plutôt que d’avoir un énorme problème de financement dans les 5 à 10 ans à venir ? » Pour le ministère de la Santé, la réforme devrait permettre au NHS de répondre à ces différents défis tout en respectant le principe essentiel qui a présidé à la création du système de santé anglais : le ministre reste responsable d’un service de santé exhaustif, bâti sur les besoins et non sur les revenus, et doit rendre compte au Parlement. Utiliser les ressources mieux et différemment, réduire les gaspillages, économiser sur la bureaucratie : tel est le discours du Département de la Santé.

Affecter les ressources différemment

Donner aux médecins généralistes les moyens d’acheter les prestations de soins doit ainsi conduire à être plus en phase avec les besoins locaux de la population et à proposer des services de meilleure qualité. Et à supprimer les échelons intermédiaires que sont les 10 Strategic Health Authorities régionales et les 150 Primary Care Trusts (voir infographie ci-contre). Ce qui va permettre d’économiser 4,5 milliards de livres.

Affecter les ressources différemment, c’est selon Alexander MacDonald, orienter les patients qui ont, par exemple, une jambe plâtrée, vers un cabinet médical pour retirer le plâtre plutôt que vers un service hospitalier. Ce qui coûtera aussi moins cher à la collectivité. Ou encore déléguer certaines tâches aux infirmières telles la vaccination. Et de citer une expérience régionale où les médecins généralistes qui suivaient des patients diabétiques, ont été appelés systématiquement dès que leurs patients se rendaient aux urgences pour une hypoglycémie. L’objectif ? Inciter les médecins à mieux informer et suivre ces personnes afin qu’elles gèrent mieux leur maladie et ne recourent plus aux services hospitaliers. « Si ce dispositif était appliqué à chaque patient diabétique, les économies réalisées sur un an s’élèveraient à 90 millions de livres », observe Alexander MacDonald. Cette expérimentation s’inscrit dans le cadre du programme QIPP (Quality, Outcomes, Prevention, Productivity – qualité, résultats, prévention, productivité –), lancé en parallèle à la réforme.

Médecins, pas gestionnaires

Des arguments qui ne convainquent pas les opposants à la réforme. Les médecins généralistes sont les premiers à récuser la nouvelle loi. « La réforme est une dénationalisation du système de santé et c’est pour cela que je suis inquiète », déclare le Pr Clara Gerada, présidente du Royal College of General Practitioners, l’équivalent d’un Ordre des médecins, mais pour les généralistes. Clara Gerada met en cause le nouveau rôle des médecins au sein des commissions d’attribution cliniques. En devenant « acheteurs » de prestations, les praticiens deviennent des gestionnaires qui passent leur temps en réunions et s’éloignent ainsi de leurs patients. Il faut en effet savoir que les médecins seront obligés de participer à une commission pour rester conventionnés avec le NHS. « Les généralistes ne sont pas enthousiastes à cette perspective. C’est ennuyeux de s’occuper de chiffres », explique Clara Gerada. Encore plus dans un contexte d’austérité où les médecins devront rationner les soins en fonction du budget qui leur sera attribué et des économies demandées par le gouvernement. « Ils devront passer des contrats en bloc, sous-traiter par exemple tous les services de maternité sur 3 ans. Or, on ne peut pas planifier le volume de patients », ajoute l’énergique présidente. Sur le terrain, des commissions ont commencé à faire appel à des prestataires extérieurs pour les aider à fonctionner. Les noms de KPMG et McKinsey circulent, sachant que des « managers » des ex-autorités stratégiques de santé offrent aussi leurs services ou sont recrutés par les cabinets de consultants. Un point qui ne gêne pas le ministère de la Santé. « Les commissions ont un budget qu’elles peuvent utiliser en partie pour faire appel à des prestataires pour les aider à gérer », remarque Alexander MacDonald. Et de préciser que sur les 100 milliards de livres de budget du NHS, 60 milliards seront pour les commissions d’attribution cliniques. Quant à la répartition de cette somme, le ministère reste prudent. La formule de calcul est en effet complexe et prend en compte plusieurs paramètres : nombre d’habitants, âge, état de santé, zone rurale ou urbaine… Le calcul est devenu si compliqué au fil tu temps que personne n’est capable de le comprendre !

Une porte ouverte pour le privé

Pour les médecins, les infirmiers et nombre d’opposants, cet appel à ce type de prestataires marque le début de la privatisation du NHS. Sans compter l’achat au secteur privé de soins. « Jusqu’ici, on faisait peu appel au secteur privé », commente Clara Gerada. Mais la nouvelle donne attire des groupes anglais et multinationaux, prêts à se positionner sur le marché de la santé. « Le secteur privé peut se focaliser sur des services peu chers et rentables et laisser au NHS les soins les plus coûteux et les moins rentables », remarque David Lloyd, greffier de la Commission de la santé à la Chambre des communes. Ce qui pourrait avoir pour effet de conduire à la faillite des hôpitaux du NHS. L’association 38 Degrees craint aussi que l’application du droit européen de la concurrence au secteur de la santé, prévue par le gouvernement, incite les médecins à choisir les prestataires privés par peur de litiges avec ces derniers. « Nous pensons qu’il n’y aura pas d’amélioration de la qualité et que vont apparaître des inégalités d’accès aux soins », estime David Babbs, directeur de 38 Degrees. Inégalités qui existent déjà et que les Anglais nomment « la loterie du code postal » : selon son lieu de résidence, un patient n’a pas accès à la même qualité de soins. Avec le nouveau système, qui met aussi en exergue le choix des patients (Voir l’encadré ci-contre), les inégalités territoriales risquent de s’accroître. Nombre d’interlocuteurs estiment en effet que les patients s’orienteront vers des services de santé qui proposeront des prestations supplémentaires pour le même prix, comme un parking. En outre, la sélection des patients pourrait également être à l’ordre du jour. Dans une optique de réduction de dépenses de santé, les commissions d’attribution cliniques peuvent opter pour une rationalisation des soins et ne prendre en compte que les soins urgents, incitant les autres patients à retarder leur prise en charge.

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« La collaboration entre les différents systèmes – public et privé – va encore plus fragmenter les services de santé », juge Howard Catton, responsable de la politique nationale et internationale au Royal college of nursing (représentant des infirmiers et aides-soignants). Selon cette organisation, 61 000 postes au sein du NHS vont disparaître d’ici 2015. Déjà, 3 558 postes d’infirmiers ont été supprimés entre 2010 et 2012 sur les 350 000 infirmiers employés par le NHS. « Nous surveillons ce qu’il va se passer sur la “ligne de front” », déclare Howard Catton. Le discours est le même à Unison et 38 Degrees. Les médecins partagent, évidemment, un avis identique. A tel point que Clara Gerada n’hésite pas à parler d’un « Printemps des généralistes »…

Le secteur privé dans les starting-blocks

Impossible d’obtenir un chiffre précis. D’après les différents interlocuteurs rencontrés, le secteur privé représenterait de 10 à 15 % du marché de la santé. Capio, Circle, le groupe américain United HealthCare, mais aussi Virgin HealthMiles, sont déjà implantés sur le terrain. Et soupçonnés de faire du lobbying auprès des responsables politiques et des médecins. Selon David Babbs, directeur de l’association 38 Degrees, une conférence sur les commissions d’attribution cliniques réunissant des médecins était ainsi parrainée par United HealthCare et Capita, un prestataire de services du NHS.

Les groupes privés sont en effet de plus en plus présents dans la gestion du NHS. En 2003, le gouvernement de Tony Blair a réformé les hôpitaux, créant le statut de Foundation Hospitals (fondations hospitalières). Ce statut permet à l’hôpital d’être géré par les autorités publiques ou le secteur privé. Plusieurs fondations hospitalières ont ainsi vu le jour. Un hôpital à Huntingdon, Hinchingbroock Hospital, est ainsi géré par Circle, tout en proposant des services dans le cadre du NHS. L’objectif ? Une meilleure gestion des services et du personnel, une meilleure rentabilité et, dans le cas de cet hôpital, la réduction du déficit. Mais pour l’heure, Circle n’a pas encore fourni des chiffres montrant de bons résultats tout en maintenant la qualité des soins.

Chiffres clés

• 1948 : création du National Health Service (NHS)

• 1991 : les gouvernements Thatcher et Major réforment le NHS en séparant les fonctions d’acheteurs et de fournisseurs de soins. Ces derniers sont soumis à la concurrence, l’objectif étant de les rendre plus performants et responsables.

• Les hôpitaux (NHS trusts) deviennent des entités autonomes et responsables financièrement, et sont aussi mis en concurrence.

• 2000 : Les groupements de soins primaires (Primary Care Trusts) sont créés par le gouvernement de Tony Blair. Ils associent médecins généralistes, infirmiers et représentants de patients et de services sociaux. Chaque groupement couvre en moyenne 100 000 personnes.

• 2003 : les fondations hospitalières (Foundation Hospitals) sont instaurées.

• 2010 : annonce du projet de réforme du gouvernement de David Cameron.

• Septembre 2011 : adoption de la réforme par le Parlement.

• Avril-mai 2013 : la réforme sera effective.