MENACE SUR LES MARGES

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Publié le 14 juillet 2012
Par Magali Clausener
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Alors que les pharmaciens doivent augmenter le taux de substitution, une baisse des prix est évoquée par le gouvernement et l’Assurance maladie. Une éventualité qui pèserait sur les marges des pharmaciens.

Les prix des génériques vont-ils baisser ? On peut s’interroger. En effet, depuis le 4 juillet et l’annonce d’un ONDAM (objectif national des dépenses d’assurance maladie) à 2,7 %, la diminution des prix des médicaments et notamment des génériques est à l’ordre du jour. Certes, le gouvernement ne l’a pas annoncé d’une façon tonitruante, à la façon de Xavier Bertrand en son temps. La mesure figure pourtant dans le rapport préparatoire au débat d’orientation des finances publiques pour le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2012 (présentée le 4 juillet en Conseil des ministres). On peut ainsi y lire : « S’agissant des produits de santé, les actions s’articuleront autour d’un renforcement des baisses de prix, avec une attention particulière sur les prix des médicaments génériques, ainsi que d’actions visant à la maîtrise des prescriptions […]  ». Le 5 juillet, Jérôme Cahuzac, ministre délégué du Budget, répond au Monde (voir encadré p. 11) qui affirme que le gouvernement va « devoir faire des économies dans le champ social » : « Nous sommes en train d’y réfléchir avec Marisol Touraine, car il est vrai que certains prix de médicaments restent trop élevés. » Le même jour, le dossier de presse relatif à la commission des comptes de la Sécurité sociale reprend mot pour mot la mesure du rapport préparatoire au débat. Dans la foulée, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, interrogée par Le Moniteur sur le montant des baisses de prix des médicaments et génériques, explique : « Après des années où la place des génériques avait augmenté, nous constatons qu’elle a rebaissé, et donc il convient, en même temps que nous définirons le juste prix pour l’ensemble des médicaments, de faire en sorte de favoriser les prescriptions de génériques ».

Faut-il s’inspirer de nos voisins anglo-saxons ?

L’ensemble des médicaments comprend-il les génériques ? La réponse est peu claire. Mais, la semaine suivante, le rapport de l’Assurance maladie sur les charges et produits pour l’année 2013 est plus explicite. Dans la partie consacrée aux prix des génériques, il reprend l’analyse qu’il donnait sur les prix européens des génériques (voir Le Moniteur n° 2900) : « Sur un ensemble de 74 molécules, la France est le deuxième pays le plus cher en Europe […] : le prix moyen par unité d’un générique est de 5 centimes aux Pays-Bas, 7 au Royaume-Uni et 12 en Allemagne ; il est de 15 centimes en France ». Et d’observer qu’en « abaissant le prix moyen par unité en France d’un centime, l’Assurance maladie pourrait économiser 130 millions d’euros supplémentaires par an ». L’économie pourrait même atteindre jusqu’à 1 milliard d’euros si les prix français étaient alignés sur le prix moyen du Royaume-Uni ! L’Assurance maladie enfonce le clou en affirmant que les politiques de régulation mises en œuvre par les assureurs aux Pays-Bas, les caisses en Allemagne ou les pharmaciens au Royaume-Uni « paraissent de nature à enclencher une dynamique de baisse des prix plus rapide » que le dispositif français.

Le Gemme préférerait que l’on agisse sur les volumes

Ce faisceau de préconisations laisse à penser qu’une baisse de prix des génériques pourrait bien figurer dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2013. Ce qui suscite l’inquiétude des industriels. D’ailleurs, ces derniers ne partagent pas le même constat que l’Assurance maladie. « Puisque les prix sont déjà inférieurs à la moyenne européenne, toute pression supplémentaire sur les prix des génériques pourrait avoir des effets négatifs sur l’offre et sur l’industrie du générique en France, remarque Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du GEMME (Générique, même médicament). Il ne faut pas que les décisions soient prises à partir de modèles qui ne sont pas transposables à la France. Ainsi, en Allemagne, les prix des génériques n’ont été baissés que lorsque les volumes des ventes étaient déjà très élevés (65 %). En France, la part des génériques est de 24 % seulement. » Et de recommander, « afin de maximiser les économies collectives », d’avoir « en premier lieu des actions sur les volumes avant d’avoir des actions sur les prix ».

Même discours de la part du Leem. « Il est important d’être d’accord sur deux constats : tout d’abord, la France n’est pas le champion de la consommation de médicaments, c’est ce qui ressort récemment encore de l’étude des Laboratoires internationaux de recherche mais également des chiffres de l’Assurance maladie. Ensuite, les prix fabricant des médicaments ne sont pas plus élevés qu’ailleurs en Europe, déclare Philippe Lamoureux, directeur général du Leem. L’existence d’exportations parallèles, sources ponctuelles de ruptures d’approvisionnement est un indicateur en ce sens. Si l’on part de ce constat, la baisse des prix des médicaments n’est pas une bonne solution. »

Une telle mesure serait un « jeu de dupes »

Une baisse des prix ne serait pas non plus une bonne solution pour les pharmaciens. Elle ne serait pas, en effet, sans conséquences pour leurs marges et, dans le cadre conventionnel, ils se sont engagés à atteindre 85 % de taux de substitution d’ici fin 2012 (voir Le Moniteur n° 2942). Sans oublier que les pharmaciens sont également rémunérés en fonction des taux de substitution atteints pour 31 molécules et le reste du Répertoire des génériques.

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« Notre objectif avec l’Assurance maladie est de faire monter les génériques, explique Philippe Gaertner, président de la FSPF. Il ne faut pas que l’on nous poignarde dans le dos. On ne peut pas demander aux pharmaciens d’appliquer une politique et les pénaliser parce qu’ils auront mis en œuvre cette politique. Il va y avoir une rémunération mixte et des honoraires. Il faudra compenser s’il y a une baisse des prix des génériques. »

« Il ne faut pas toucher à la marge des pharmaciens. Les génériques sont le mécanisme le plus générateur d’économies, souligne Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Restons raisonnables. La politique du générique a de l’avenir grâce aux pharmaciens. »

Pour Françoise Daligault, nouvelle présidente de l’UNPF, une telle mesure serait « un jeu de dupes » : « La substitution est censée nous redonner un peu d’oxygène. Si on augmente les volumes et que l’on baisse les prix, cela signifie que nous ne sommes plus à périmètre constant ». Les syndicats seront plus que vigilants sur ce sujet, en particulier lors de l’élaboration du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à la rentrée. L’automne risque d’être très chaud.

Le Leem retourne sa veste

Le 6 juillet, après les propos tenus la veille par Jérôme Cahuzac dans Le Monde, le Leem lui répond, expliquant que « les génériques sont généralement moins chers en prix fabricant » et que « le prix public est quant à lui plus élevé qu’ailleurs, car les pharmaciens perçoivent sur le générique une marge en euros égale à celle du médicament de référence, et bénéficient de remises commerciales plus importantes ». Alors que l’IGAS réalise pour septembre un rapport sur les génériques, cette phrase peut signifier : « les pharmaciens tirent bien leur épingle du jeu, on peut donc baisser les prix publics ».

Pour Gilles Bonnefond, (USPO) « le Leem a franchi la ligne jaune. Il n’est pas habilité à parler de la marge des pharmaciens. C’est vouloir casser le moteur de l’économie de l’officine ». Philippe Gaertner (FSPF) a été lui « particulièrement étonné, voire choqué par la réaction du Leem qui sait que les génériques sont utilisés par l’Etat et l’Assurance maladie pour réaliser des économies ». Interrogé le 10 juillet sur cette phrase, Philippe Lamoureux, directeur général du Leem, répond : « Lorsque le gouvernement évoque le prix trop élevé des génériques en France, j’imagine qu’il fait allusion au coût de distribution car les industriels savent que les prix fabricant sont compétitifs au plan européen ». Le 11 juillet, le Leem rectifie : le prix public est élevé car « l’Etat a choisi d’asseoir le développement du médicament générique sur le réseau de la distribution officinale en rémunérant le pharmacien avec une marge en euros égale à celle du médicament princeps tout en réduisant le prix fabricant du médicament générique à 40 % de la valeur de son princeps ». Nuance…

Repères

• La substitution a généré plus de 7 Md€ d’économie en 10 ans.

• La tombée de brevets en 2012 produira entre 250 et 300 M€ d’économie en 2013.

• Les économies passeraient de 155 M€ en 2014 à 81 M€ en 2017.

• Le taux de substitution pour les prescriptions hospitalières est de 68 %, contre 74 % pour les prescriptions de ville.