UNE HISTOIRE DE FRIC ?

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Publié le 15 décembre 2012
Par Magali Clausener
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Le lundi 10 décembre, un sondage du groupe PHR révélait que la confiance des Français dans les génériques s’érodait. Le même jour, la Mutualité française diffusait un rapport sur les génériques. Le débat sur la qualité est relancé, avec en filigrane une bataille entre laboratoires, financeurs et professionnels de santé. Et les enjeux financiers.

Lundi 10 décembre, la une d’Aujourd’hui en France était consacrée à la « crise de confiance » dans les génériques. Le quotidien national s’appuyait notamment sur le sondage réalisé par l’Ifop pour le groupe PHR, diffusé le même jour, qui révélait que 61 % des Français affirmaient en 2012 que les génériques « sont aussi sûrs que les médicaments d’origine », contre 71 % en 2011. Soit une baisse de 10 % (voir ci-dessous). Le 10 décembre aussi, la Mutualité française communiquait son « Rapport 2012 sur les médicaments génériques ». L’étude de 165 pages dresse un état des lieux du marché, des facteurs de croissance et des freins au développement des génériques. Et constate qu’« on a assisté en 2011 à un recul historique des ventes de génériques en France de 3,1 % par rapport à 2010 ». En conclusion, la Mutualité française émet 10 propositions « pour restaurer la confiance » dans les génériques.

Un hasard du calendrier ? Peut-être. Mais le résultat est certain : le débat sur la qualité des génériques est relancé. Et l’on assiste de nouveau à une cacophonie sur le sujet entre ceux qui doutent (voir encadré p. 7) et ceux qui prônent le développement du marché des génériques. La Mutualité française est clairement dans le camp des « pour ». « Elle s’est toujours positionnée en faveur du développement des médicaments génériques qui offrent une qualité de soins équivalente aux princeps mais à un coût inférieur », peut-on lire dans le rapport en préambule des propositions. Le coût : le mot est lâché. Car la polémique sur la qualité des génériques, qui empoisonne les débats et pour l’instant n’a pas été tranchée par les pouvoirs publics, ne doit pas faire oublier les intérêts financiers des différents acteurs : laboratoires de princeps et génériqueurs, médecins et pharmaciens, Assurance maladie et complémentaires santé. A la lecture du rapport de la Mutualité française, ils apparaissent clairement et s’inscrivent en filigrane dans les propositions de l’organisation qui fédère la quasi-totalité des mutuelles santé.

Stratégies industrielles et médecins sous influence

Ainsi, la Mutualité dénonce les laboratoires de princeps qui mettent en œuvre des « stratégies de contournement des génériques » afin de protéger leurs médicaments et leurs chiffres d’affaires le plus longtemps possible : dépôts de brevets, procédures judiciaires, diversification de gammes de produits, lancement de médicaments de seconde génération, sans oublier la visite médicale auprès des prescripteurs… De fait, la Mutualité française propose de « donner une meilleure visibilité sur les dates d’expiration des brevets » et leur nature (proposition 2). Chaque laboratoire devrait indiquer au Comité économique des produits de santé, chargé de fixer les prix, les dates d’expiration du brevet de chaque médicament. Elle préconise également la mise en place d’un « répertoire européen des brevets » pour les médicaments chimiques et biologiques et la création au sein de l’ANSM d’un « observatoire du marché des génériques pour mieux identifier les transferts de prescriptions et déceler les stratégies de contournement » (proposition 5). La lutte contre ces stratégies passe également par un élargissement du champ du Répertoire (proposition 3) avec l’intégration des médicaments sans spécialité de référence comme le paracétamol et l’acide acétylsalicylique. « Le paracétamol constitue la première molécule remboursée par les mutuelles (97 M€ remboursés en 2011) », note le rapport. L’élargissement du Répertoire devrait également inclure les formes pharmaceutiques destinées à une administration par voie respiratoire (par exemple Seretide et Symbicort, dont les brevets expirent respectivement en septembre 2013 et décembre 2012 et qui ont généré tous les deux un CA de 623 M€ en 2011). Ce qui correspond d’ailleurs à une demande des génériqueurs.

Les médecins constituent pour la Mutualité un autre frein important au développement des génériques. Outre leurs « prescriptions sous influence », elle considère qu’ils « se font le relais de messages d’alerte sur l’efficacité des génériques », avec une « montée de la mention “non substituable” ». De fait, elle souhaite les mobiliser « comme acteurs majeurs de la politique des génériques » (proposition 1), grâce notamment à un renforcement de l’enseignement initial en pharmacologie et à la prescription en DCI, avec un paiement « à la performance » pour ceux prescrivant en DCI. Elle demande également la réduction de « la pression de la visite médicale » par la parution d’un décret prévu par la loi Bertrand qui doit fixer des sanctions et pénalités pour les laboratoires ne respectant pas les objectifs quantifiés de visites médicales. Pour aider aussi les médecins à prescrire des génériques, la Mutualité préconise de « créer un Répertoire des équivalents thérapeutiques » (proposition 4). Et, pour restaurer la confiance des patients, elle suggère de « mettre en place une campagne multipartenariale et pluriannuelle » engageant l’ANSM et la CNAMTS (proposition 8).

Des prix faibles pour moins débourser

L’Assurance maladie et les complémentaires santé partagent le même intérêt : débourser moins en réduisant leur prise en charge financière des médicaments grâce à un prix plus faible que celui des princeps. La Mutualité française recommande « une politique de prix plus transparente et dynamique compatible avec le développement de l’offre générique » (proposition 6). En clair, une décote de prix entre prix fabricant HT du princeps et celui du générique de 70 %, le maintien d’un écart de prix entre princeps et génériques d’au moins 10 % tout au long du cycle de vie du groupe générique et une « gestion du panier de soins avec une approche par stratégie thérapeutique » plutôt qu’une « application systématisée d’un tarif forfaitaire de responsabilité ». La Mutualité s’oppose en revanche à tout système d’appel d’offres par les payeurs ou les professionnels de santé afin de ne pas avoir une « déconnexion du prix réel et du prix facial des médicaments, quel que soit leur statut brevetaire » (proposition 7). Enfin, elle propose de créer un Répertoire des médicaments biosimilaires et de mettre en œuvre une politique de prix des biosimilaires « compatible avec le développement de l’offre » (propositions 9 et 10), avec en particulier une décote entre le prix fabricant du biomédicament et celui de ses biosimilaires « atteignant progressivement 40 % ».

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Les propositions de la Mutualité française sont plus qu’intéressantes. Mais lorsque l’on parcourt la totalité du rapport, on peut rester perplexe. Les intérêts des génériqueurs et du Gemme semblent largement converger vers ceux des « payeurs ». Quant aux pharmaciens, ils sont portés aux nues puisqu’ils ont largement contribué à l’essor des génériques, même si la Mutualité souligne que l’incitation financière entre les marges commerciales des génériques et les primes pour la substitution les ont fortement incités à développer ce marché. Restent les patients « rétifs au changement ». Seront-ils plus rassurés ? Cela est loin d’être certain.

Les résultats du sondage groupe PHR/Ifop

• 57 % des Français acceptent systématiquement les génériques contre 62 % en 2011.

• 72 % des Français considèrent les médicaments génériques comme aussi efficaces que le princeps, contre 77 % en 2011.

• 61 % affirment qu’ils sont aussi sûrs que les médicaments d’origine contre 71 % en 2011.

• 82 % considèrent le générique comme plus économique (81 % en 2011).

Réactions en cascade

Après la parution de l’article d’Aujourd’hui en France, les réactions n’ont pas tardé. Le CNGPO (Collectif des groupements de pharmaciens) s’étonne des résultats du sondage PHR/Ifop, alors que les taux de substitution approchent les 85 %, et réclame à la CNAM une campagne de communication. L’USPO, elle, a diffusé un communiqué du Pr Gilles Aulagner, président de l’Association nationale des enseignants de pharmacie clinique et membre de l’Académie de pharmacie, expliquant que les génériques « ne sont pas des sous-princeps ». Enfin, le Gemme a annoncé le lancement le 14 janvier 2013 d’une campagne nationale sur la qualité des génériques. Elle pourra être relayée par les pharmaciens grâce à cinq affiches.