Alain Fallourd : « Misez sur l’acte pharmaceutique »

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Publié le 5 janvier 2002
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Génériques, exercice illégal de la pharmacie, publicité sur les prix, contrats de sélectivité, portage, créations et transferts, responsabilité, définition du médicament… En trente ans de carrière, Alain Fallourd, avocat, a été au coeur des grands dossiers de la profession aux côtés des pharmaciens. Il a aussi plaidé dans des affaires retentissantes de responsabilité médicale dont, la dernière en date, le procès Perruche. Ce grand témoin a accepté de nous dévoiler sa vision de l’avenir.

« Le Moniteur » : Le dernier rebondissement dans l’affaire de la vitamine C doit-il faire craindre à terme la fin du monopole français sur le médicament en vente libre ?

Alain Fallourd : La réponse est négative quant à la fin du monopole à la suite de la décision intervenue devant la cour d’appel d’Angers sur la vitamine C. Ce contentieux est en réalité ancien. En raison des concepts relativement flous qui président à la définition du médicament, la jurisprudence a été amenée à prendre un certain nombre de décisions souvent contradictoires. La vitamine C en est une. Rappelons néanmoins pour mémoire que cette question a fait l’objet d’une débat via une commission sous l’égide du ministère de l’Economie et des Finances. L’une de ses conclusions a été qu’il n’existe pas de médicaments anodins ou de médicaments « frontières », mais qu’une seule et même catégorie de médicaments. Dès lors, l’exclusion du monopole de quelques-uns d’entre eux, qui de l’aveu même des partisans de cette mesure ne pourrait concerner qu’un petit nombre de médicaments, ne présenterait donc que peu d’intérêt pour les consommateurs.

Que vous inspire la récente loi MURCEF ?

Dans la loi MURCEF, des dispositions importantes modifiant la loi sur les SEL instituent des sociétés de participations financières de professions libérales, communément appelées holdings. Le voeu du législateur était de favoriser les jeunes pour pénétrer dans ce type de sociétés et de faciliter la création de réseaux entre les professionnels libéraux. Manifestement, la loi MURCEF laisse entrevoir un certain nombre d’opportunités financières.

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Qui dit réseaux, dit également communication, publicité… Pensez-vous qu’il faille à l’avenir élargir les droits des pharmaciens dans ce domaine, notamment pour avoir les mêmes droits que leurs concurrents ?

Si concurrence il y a, c’est une concurrence encore extrêmement encadrée, sans commune mesure avec celle d’autres professions qui ne rentrent pas dans un cadre monopolistique comme celui de l’activité officinale. On ne peut pas revendiquer les bénéfices du monopole et dans le même temps s’affranchir des règles et obligations qui en sont la conséquence. Sinon, on risque de s’attirer quelques sévères déconvenues…

En matière de répartition des pharmacies, la nouvelle loi va-t-elle à l’avenir assainir le dossier des créations et des transferts ?

Cette nouvelle loi, en supprimant les créations selon la voie dérogatoire, a très certainement supprimé une partie importante du contentieux dévolu aux juridictions administratives. Les procédures de transferts et de créations s’en trouvent simplifiées. Cependant, le contentieux demeure parce qu’il est inhérent à tout texte de loi et parce qu’il est aussi très rare qu’une loi ou un règlement ne demande pas à être interprété voire contesté. Les transferts dans les centres commerciaux posent par exemple en ce moment de nombreuses difficultés. Les créations dans les communes de moins de 2 500 habitants aussi. Il faudra attendre que la jurisprudence se fixe et que le Conseil d’Etat statue.

Toujours à propos de contentieux, doit-on s’attendre à une multiplication des problèmes de responsabilité concernant les officinaux ?

A de nombreuses reprises, dans vos colonnes, vous soulignez que la responsabilité du pharmacien est lourde et multiple puisqu’elle est pénale, civile et ordinale. Le pharmacien engage sa responsabilité à titre personnel et pour ses préposés. Il engage même sa responsabilité à l’égard de l’assistant, bien qu’une partie de la doctrine souligne la responsabilité propre de l’assistant au regard d’une égalité de diplôme. D’autres auteurs préfèrent introduire une distinction fondée non sur la nature de l’infraction mais sur la qualité du préposé, tel le Pr Azéma dans son Droit pénal de la pharmacie. En tout état de cause, il est vrai que le comportement du consommateur tend dans tous les domaines, y compris celui du médicament, à se tourner vers les tribunaux pour voir reconnaître ses droits à la sécurité et à l’information. Le pharmacien serait bien avisé d’examiner avec attention sa police d’assurance et d’examiner la ou les garanties qui lui sont accordées par son assureur.

Pour finir, comment voyez-vous l’avenir du pharmacien d’officine à court et long terme ?

L’avenir immédiat se caractérisera à mon sens par un phénomène accru de commercialité et de concurrence qui s’impose de plus en plus aux officines, et je le vois notamment à travers la constitution de réseaux, même si cette situation engendre des difficultés qui ne sont pas simples à gérer au regard des contraintes posées par le Code de la santé publique. Pour le futur plus lointain, je crois que les pharmaciens seraient avisés d’être attentifs aux voeux des clients et des patients qui se montrent de plus en plus attachés à la notion d’acte pharmaceutique. Elle constitue pour moi la novation qui interviendra dans les prochaines années dans les rapports pharmacien/client et pharmacien/médecin. C’est là où se situera la justification du monopole pharmaceutique.