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Mutualité sociale agricole : échec et MAD
Souvenez-vous. En 2006, la Mutualité sociale agricole expérimentait, en partenariat avec les pharmaciens, la dispensation et le maintien à domicile en milieu rural. Une démarche innovante. Mais un flop total sur le terrain, décrypté dans le rapport d’évaluation présenté début janvier à la profession. Explications.
L’idée de la MSA était séduisante et fut d’ailleurs accueillie avec enthousiasme par toute la profession. Il s’agissait de rémunérer les pharmaciens pour la dispensation et le maintien à domicile (10 et 30 euros respectivement assortis d’indemnités de déplacement) et de promouvoir ainsi l’accès aux soins dans 73 cantons ruraux. 154 officinaux ont signé sans hésiter une convention avec la caisse MSA de leur circonscription. De quoi répondre aux besoins des quelque 300 à 400 patients a priori concernés…
Mais entre la théorie et la pratique – ingrate – du terrain, il y a un gouffre ! L’action « Pharmacies rurales » a duré un an (jusqu’au 31 décembre 2006), avec au compteur 12 forfaits DAD (dispensation à domicile) et 16 pour le MAD (maintien à domicile). Seulement. Soit des résultats 30 fois moindres qu’attendus. Pas question, dans ces conditions, de parler de généralisation à tout le territoire. « Dans leur forme actuelle, les expérimentations ne sont pas retenues, mais ce projet nous tient à coeur, nous l’avons donc évalué pour en tirer des pistes de réflexion », précise Omar Tarsissi, médecin conseiller technique national à la MSA.
Près de 4 000 assurés ont reçu un questionnaire, 82 pharmaciens, 45 médecins généralistes et 9 caisses de MSA ont également été interrogés pour pouvoir répondre à une question clé : quels sont les bâtons qui se sont coincés dans les roues d’une machine pourtant bien huilée à l’avance ?
Les généralistes torpillent le projet
Première épine de taille, le manque de motivation des généralistes. Ainsi, les prescripteurs de DAD et de MAD « se sont peu intéressés aux deux actions, les jugeant inutiles », peut-on lire dans le rapport d’évaluation. « Nous pensions que les médecins et les pharmaciens avaient les mêmes motivations, mais nous nous sommes trompés. Nous avons eu des difficultés à faire venir les généralistes aux réunions locales pour discuter d’un projet dont ils n’étaient pas directement le centre d’intérêt », reconnaît Pierre-Jean Lancry, directeur de la santé à la MSA. Les citations de la gent médicale retranscrites dans le rapport d’évaluation se passent de commentaires : « Le pharmacien connaît peu l’environnement du malade par rapport au généraliste […]. Il arrive avec son catalogue de fournitures, trop commercial ! » Rappelons que l’action MAD faisait intervenir l’officinal à la demande du patient pour une évaluation des besoins validée par le médecin. Le pharmacien devait ensuite effectuer deux visites de suivi après l’installation du matériel.
Pas de doute pour Patrick Folie, titulaire à Neufchâtel-en-Saosnois (Sarthe), très actif dans le domaine du MAD, les médecins se sont à juste titre sentis floués. « Dans un environnement où le titre de « pharmacien prescripteur » a déjà été évoqué, leur vindicte est compréhensible. » Le Dr Didier Menut, coordonnateur MSA pour la Bourgogne, évoque aussi des tensions dues au contexte des génériques . « Certains médecins n’ont vu que l’intérêt mercantile du pharmacien. »
Le second frein à la réussite du projet laisse pour le moins perplexe. Les directeurs et les médecins-conseils de la MSA estiment finalement que « l’offre est en inadéquation avec la réalité du terrain ». En clair, il n’y aurait pas de réelles attentes au vu des prestations existant déjà. Une étude en amont aurait certainement permis de s’apercevoir que 62 % des pharmaciens se déplaçaient déjà souvent au domicile de leur patient. « Cela fait partie intégrante de l’exercice d’un pharmacien de campagne », estime Patrick Folie, qui fait 4 à 5 livraisons par jour à ses patients. Gratuitement.
Près d’un assuré sur deux estime avoir besoin de la DAD
Et si 44 % des assurés interrogés estiment avoir besoin de la DAD, dans les faits, seuls 13 % font appel à leur pharmacien. Dans la majorité des cas, le système d’entraide local et familial se met en place. Plutôt rassurant. Il n’empêche, le service de DAD semble utile et le sera d’autant plus dans les années à venir. « Les personnes âgées qui habitent dans des hameaux reculés pallient aujourd’hui les problèmes de livraison de médicament par le passage du facteur. Mais elles ont conscience que ce système est fragile. De plus, il existe des cas d’isolement total sans aucune aide familiale. La création d’une chaîne officielle de dispensation reposant sur le pharmacien est d’autant plus intéressante qu’elle est pérenne et professionnelle », analyse Elise Finielz, ingénieur d’étude au CNRS, qui a réalisé une enquête auprès des retraités en milieu rural. Pour Françoise Rouve, titulaire à Estagel (Pyrénées-Orientales) et membre de l’Association des pharmacies rurales, « il existe une confusion entre la notion de portage et celle de dispensation, au détriment de la valorisation du rôle d’un professionnel de santé. L’aide ménagère ou le facteur ne peuvent pas expliquer les traitements ! Dans 9 cas sur 10, le patient nous rappelle après ».
Quant au MAD, le service est carrément ressenti comme une prestation non avenue, concurrentielle vis-à-vis des réseaux et systèmes déjà mis en place. « Il y a eu un frein de la part du corps médical mais aussi des conseils généraux et des CLIC* », constate Françoise Rouve. Sans parler de la forte présence – voire du lobbying auprès des hôpitaux – des sociétés de matériel médical. 37 % des personnes en perte d’autonomie permanente font appel à leurs services. Résultat, seul un tiers de cette population juge nécessaire le déplacement du pharmacien à domicile pour proposer du matériel médical. « Aujourd’hui, le pharmacien n’a pas sa place dans le MAD telle qu’on l’avait imaginée », constate donc Pierre-Jean Lancry.
Et si ces faux pas permettaient de reculer pour mieux avancer dans les années à venir ? D’ores et déjà, la MSA et les syndicats réfléchissent ensemble pour pouvoir repartir sur de nouvelles et bonnes bases.
« Etendre la dispensation à domicile à tous les assurés »
Côté DAD rémunérée, les pharmaciens sont toujours partants. « Les contraintes liées à la prescription doivent cependant être assouplies, propose Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Nous avons édicté un cadre trop restreint limité à un canton, aux adhérents de la MSA et à la livraison dans les 4 heures qui suivent l’ordonnance. »
Et Gilles Bonnefond d’espérer un système de prise en charge qui ne passerait plus par la case « prescription médicale ». « Pourquoi serions-nous obligés de mettre en place la prescription d’un acte qui ne figure dans aucune nomenclature ? », demande-t-il. Ainsi, n’importe quel professionnel de santé devrait pouvoir décider de la DAD et déclencher la demande de prise en charge. « Mieux vaut déplacer les contraintes au niveau du remboursement pour développer le service. Nous avons fait ces propositions à la MSA mais aussi à l’UNCAM. Car l’idée est d’étendre les actions de DAD à tous les assurés », poursuit Gilles Bonnefond. A la MSA, on s’attache plutôt à trouver le bon ton pour instaurer le dialogue entre médecins et pharmaciens. L’enjeu est de taille. « Nous proposons d’aider les pharmaciens à jouer pleinement un rôle qui aujourd’hui n’est pas formalisé. Il s’agit de les impliquer dans des réseaux MAD. Nous avons donc prévu leur intervention dans nos statuts de réseaux gérontologiques, » dévoile Pierre-Jean Lancry.
Notons cependant que la convention nationale prévoit des modalités de participation des pharmaciens aux réseaux de santé… qui ne sont toujours pas fixées. « Il y a beaucoup de communication à faire sur l’expertise des officinaux. On a laissé trop de place à des pratiques où les prescripteurs ont évincé les pharmaciens parce qu’ils ne les croient pas à la hauteur », ajoute Gilles Bonnefond. Oui. Mais comment faire ? Les expérimentations ont démontré qu’il ne fallait ni compter sur les patients, ni shunter le médecin. « Mieux vaut lui laisser sa place à la direction des manoeuvres. La reconnaissance de notre expertise ne pourra pas se faire sans un travail de concertation en amont avec tous les professionnels concernés », prévoit Patrick Folie, fervent défenseur des réseaux de proximité, qu’ils soient formels ou informels. Son expérience prouve que l’avenir du MAD passe par la mise en place de maisons médicales en région rurale. Le village où il est installé fait d’ailleurs figure de pionnier car une telle structure (regroupant médecins, pharmaciens, infirmiers…) a été créée il y a 20 ans. La relation de confiance entre professionnels devient alors une évidence. Au pharmacien ensuite de se former en MAD et de montrer sa réelle valeur ajoutée. Pour pouvoir justifier d’une rémunération aux yeux des autres.
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