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Tout le monde dit « non » au rapport du Credoc
« Un commerce pour la ville », le rapport remis le 20 février au ministère de la Ville et du Logement par Robert Rochefort, directeur du Credoc, propose, entre autres, d’autoriser la vente de « médicaments courants » dans les petits commerces de quartier. Les commerçants eux-mêmes sont sceptiques.
De longue date, la littérature française a malmené le commerce », peut-on lire en préambule du rapport « Un commerce dans la ville » remis à Christine Boutin par Robert Rochefort, directeur du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie. Officiellement, ce rapport cherche à redynamiser le commerce dans la ville. « Il conviendra d’étudier les outils à mettre en place contribuant au développement du commerce, petit et moyen, dans nos villes », indiquait Christine Boutin dans la lettre de mission donnée au Credoc le 7 décembre dernier. Quelques semaines après la remise officielle du très menaçant rapport Attali, la coïncidence est étrange. Ce que confirme Georges Sorel, président délégué de la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), qui a fait partie des personnes auditées par le Credoc (contrairement aux pharmaciens). « L’objectif était de compléter le rapport Attali, qui fédère les positions des experts, par des avis des acteurs du terrain », confie-t-il. Et de tenter, une nouvelle fois, d’ouvrir la brèche du monopole pharmaceutique ?
Christine Boutin a salué un « rapport concis, qui va droit au but, un rapport qui sait ce qu’il veut dire et le dit avec clarté et force ! ». C’est un avis que tout le monde, loin s’en faut, ne partage pas. « Ce rapport est stupide ! », assène Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Claude Japhet, président de l’UNPF, partage le même point de vue : « Il s’inscrit dans une surenchère où chacun se doit de parler de la pharmacie, sans connaître la portée de ce qu’il décrit. » Pour Philippe Gaertner, président de la FSPF, « on reste là encore sur une seule approche, celle de la logique économique, mais le médicament est un produit différent des autres et ces gens ne s’en rendent même pas compte ».
Le champ étroit de la réflexion
L’une des mesures propose d’autoriser la vente de produits pharmaceutiques dans certains petits commerces de quartier. Morceaux choisis : « Si la vente de médicaments réservés à la prescription médicale […] doit être exclusivement réalisée en officine, il n’en est pas de même pour les produits extrêmement courants. » Au passage, le rapport se livre à une analyse très personnelle de la gestion de l’armoire à pharmacie familiale : « C’est bien souvent par commodité et en anticipant l’éventuelle contrainte liée à un réapprovisionnement que les consommateurs constituent des stocks. » Car, selon Robert Rochefort, il y a de nombreux quartiers « sans une officine à proximité immédiate ». Et « une majorité d’entre elles sont fermées dès le samedi midi ».
Les solutions ? Le rapport en a : « Pour établir la liste [des produits] dont la distribution ne serait plus exclusivement réservée aux pharmacies, il y a deux possibilités : un champ étroit avec les compresses, les produits de premier secours, les produits d’entretien pour lentilles, certaines vitamines et l’ensemble de ce que l’on dénomme souvent « produits frontières » ; un champ plus large qui inclut des médicaments d’usage courant : aspirine, paracétamol, pastilles pour le mal de gorge. Notre préférence va vers la liste la plus large. On pourrait accompagner cette mesure par une courte formation auprès d’un pharmacien référent pour repérer les consommateurs […] pour lesquels le commerçant pourrait refuser de fournir le produit demandé et serait autorisé à le faire. » « On marche sur la tête, enrage Philippe Gaertner. S’il faut appeler un pharmacien pour savoir si on peut délivrer, stop ! »
Les commerçants dubitatifs
L’autorisation de vente serait limitée « aux petits commerçants disposant de comptoirs hors libre-service [dans des armoires vitrées fermées à clé] : bureaux de tabac, supérettes… » : des médicaments côtoyant des bouteilles d’alcool, des patchs entre deux paquets de cigarettes… Claude Japhet, en verve, y va de sa formule choc « On va d’intelligence en imbécillité et d’imbécillité en crétinisme. Jugez plutôt : on nous dit, avec le libre accès, que le médicament doit passer devant le comptoir. Et dans ce rapport, le médicament doit maintenant rester derrière les vitrines, mais ailleurs qu’en pharmacie ! »
Surtout, les commerçants eux-mêmes ne voient pas l’idée d’un bon oeil. « C’est une idée étrange qui peut constituer un danger pour la santé publique. Une personne pourra se suicider au paracétamol en achetant des boîtes sans attirer de soupçon, s’insurge Georges Sorel. Je doute que les commerces de proximité aient un espace suffisant à consacrer à ces produits à faible marge. » Un buraliste consentira-t-il à sacrifier des zones réservées au tabac ou à la vente de journaux pour y placer des produits ne faisant pas partie de son coeur de métier ? Rien n’est moins sûr.
Nocturne hebdomadaire et ouverture le dimanche matin
Robert Rochefort propose également une nocturne hebdomadaire pour les commerces, quels qu’ils soient, et ce de manière libre, ainsi que l’ouverture des petits et moyens commerces le dimanche matin pour renforcer l’attractivité des centres-villes, citant l’exemple de la parapharmacie. En revanche, ils resteraient fermés le dimanche après-midi, « sauf pour les cas dérogatoires qu’il conviendrait d’ailleurs de rendre moins nombreux, mais plus justes et plus efficaces, en particulier pour les zones à caractère touristique ». « L’amplitude horaire des pharmacies comme les gardes permettent de couvrir les besoins de la population. Notre secteur est organisé à des fins de santé et non d’animation commerciale », objecte Gilles Bonnefond. « Cela ne va pas drainer du chiffre d’affaires supplémentaire, car d’autres coûts en personnel et en frais fixes seront générés », ajoute Georges Sorel, qui préconise plutôt d’aménager les heures d’ouverture en fonction des habitudes de la population de proximité.
Voici donc un nouveau rapport faisant l’unanimité contre lui. Une tentative de plus pour bousculer le monopole pharmaceutique ? « Il est dans l’air du temps de vouloir banaliser les produits vendus en pharmacie », confirme Gérard Atlan. Une tendance qui doit, pour le président du Conseil du commerce, également audité par le Credoc, pousser les officinaux à plus de vigilance sur leurs prix. Histoire de ne pas tendre le bâton pour se faire battre.
Trois autres propositions
1) Le rapport du Credoc suggère de développer une communication « pragmatique et mettant l’accent sur des avantages très concrets : promotions sur les prix, cartes de fidélité. Il s’agit de démontrer le bénéfice effectif pour le client et d’engager tous les commerçants dans des démarches d’amélioration de la qualité ».
2) Une proposition vise également à inciter les commerçants à croître par l’acquisition de plusieurs points de vente, sur le modèle des grandes sociétés qui dopent ainsi leurs perspectives de croissance et de rentabilité. « Cela supposerait pour y arriver […] d’accompagner les commerçants qui accepteraient le challenge et de les former pour faire face aux responsabilités nouvelles que cela implique. »
3) Le rapport propose de maîtriser les coûts des baux commerciaux en « plafonnant les augmentations en fonction
d’un indice composite qui tienne compte de différents facteurs, dont la hausse générale des prix, à l’image de ce qui a été mis en place pour les logements avec l’indice de référence des loyers ».
Trois questions à Valérie Boudel, directrice du département des relations extérieures du Credoc
Pourquoi avez-vous proposé de distribuer des produits pharmaceutiques de première nécessité dans les commerces de proximité ?
Dans les zones rurales et certaines villes moyennes, des patients ne peuvent pas se fournir en produits pharmaceutiques de base, car nombre d’officines sont fermées dès le samedi midi. Or, la distribution de ces produits dans d’autres commerces permettrait de dynamiser certains commerces de proximité en drainant vers eux davantage de consommateurs.
N’est-il pas dangereux de proposer de l’aspirine ou du paracétamol dans les bureaux de tabac ou les supérettes ?
Je comprends les réticences des pharmaciens sur ce point, mais cette possibilité existe déjà dans les drugstores américains ou au Japon. Et il n’a jamais été prouvé que ce mode de distribution entraînait un taux de mortalité plus important ! D’autre part, le rapport préconise une formation courte auprès des pharmaciens afin de repérer les personnes à qui il ne faudra pas vendre certains produits. L’idée de cette formation est encore imprécise, mais nous souhaitons qu’elle puisse être réalisée par le pharmacien de quartier.
Sur quoi ce rapport peut-il déboucher ?
Le rapport a reçu un écho très favorable du ministre du Logement et de la Ville. Pour l’heure, il va donner lieu à des discussions concertées au sein du gouvernement, également avec le ministère de Christine Lagarde. Mais c’est maintenant aux pouvoirs publics de se saisir de ce rapport pour lui donner une suite.
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