Pharmaciens : 1 Leclerc : 0

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Publié le 26 avril 2008
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Première manche gagnée. Lundi dernier, le tribunal de Colmar, saisi en référé par Univers Pharmacie, Directlabo, l’UNPF et l’USPO, a interdit en l’état la campagne de publicité de Leclerc. Qui, sans surprise, a décidé de faire appel de la décision.

Il s’agit d’une énorme victoire ! », se réjouit Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO, suite au jugement en référé, lundi, du tribunal de Colmar qui a obligé Leclerc a retirer sa publicité des écrans et des journaux (à partir de lundi 28) sous peine d’une astreinte de 20 000 Euro(s) par jour. Leclerc doit également modifier d’ici le 1er mai le contenu de son site Sesoignermoinscher.com (sous peine de devoir débourser 10 000 Euro(s) par jour). L’ordonnance de référé du tribunal oblige également Michel-Edouard Leclerc à payer à chaque demandeur et intervenant volontaire une indemnité de 3 000 Euro(s). La satisfaction de Gilles Bonnefond est d’autant plus grande que cela n’était pas gagné d’avance.

Au départ, Daniel Buchinger, le directeur d’Univers Pharmacie – lui aussi « très heureux pour la pharmacie qui a retrouvé son honneur » -, a appelé les syndicats pour les inviter à se joindre à sa plainte. « Seul, je n’aurais pas eu la légitimité, observe-t-il. C’était totalement différent avec des syndicats à mes côtés. » L’UNPF et l’USPO se sont également ralliées ainsi que Directlabo. « Nous avions trois jours pour travailler sur un argumentaire dénonçant l’aspect outrancier et dénigrant de la campagne. C’est ce que nous avons fait avec Claude Japhet », explique Gilles Bonnefond. « Nous pouvons être fiers et contents, renchérit en effet Claude Japhet, président de l’UNPF. Il a été reconnu que Michel Edouard Leclerc lance des affirmations sans apporter de preuves vérifiables. »

La défense de Leclerc a pourtant opposé aux plaignants le droit à la liberté d’expression et l’ouverture nécessaire d’un débat sur la remise en cause du monopole légal des officines sur la vente des médicaments non remboursés. En vain. « Le jugement vient de lui signifier qu’il ne peut pas dire « Je vais faire mieux que les autres », en l’absence d’éléments objectifs. Ce jugement est donc lourd de conséquences pour sa stratégie de communication qui est remise en cause. Il dépasse largement le cadre de la pharmacie », se satisfait encore Claude Japhet. Daniel Buchinger souligne que le jugement indique bien qu’il y a eu « pratique malveillante, déloyale à l’égard du consommateur, avec dénigrement du pharmacien d’officine ». Gilles Bonnefond complète : « Ce succès est important pour la profession mais aussi vis-à-vis des politiques à qui nous montrons notre capacité à défendre une certaine conception de la pharmacie. » Claude Japhet indique que « la réaction rapide et réfléchie de la profession a gêné Leclerc. Nous avons eu le culot d’aller sur son terrain, la communication, et il a manifestement été surpris ». « Nous avons gagné une bataille, mais pas la guerre », commente prudemment Daniel Buchinger, tout en rappelant que la peine est exécutoire. Mardi à 18 h, il a reçu l’ordonnance d’appel pour le jeudi 24. Devant cette convocation trop rapide à son goût, il espère obtenir le renvoi de l’audience.

Leclerc ne s’avoue pas vaincu

Si Michel-Edouard Leclerc a annoncé son intention de faire appel, il prend acte du jugement, souhaite se conformer à la décision de justice mais ne renonce pas à communiquer sur le médicament, rappelant au passage qu’il n’a pas été condamné pour publicité mensongère. « Cela ne change rien sur le fond, commente-t-il. Je ne pars pas en guerre contre la profession pharmaceutique, même si elle l’a pris de façon hystérique. […] Je ne conteste pas l’expertise du pharmacien pour vendre des médicaments et notamment sur ordonnance. » Un discours pour apaiser sa proie ? Gilles Bonnefond s’enflamme : « Oui, mais la publicité consistant à dire qu’entrer dans une pharmacie est un luxe, celle-là, on ne la verra plus. Il est évident que Michel-Edouard Leclerc essaiera par tous les moyens d’obtenir ce qu’il a perdu lors de l’arbitrage de l’Elysée sur le rapport Attali. » A Bruxelles par exemple ? « Il y a en effet un risque, répond Claude Japhet. De toute façon la méthode Leclerc, c’est « Je demande à avoir le droit de ce que je n’ai pas le droit de faire ». »

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Les actions contre Leclerc continuent

Comme l’avançait la semaine dernière Pascal Louis, président du Collectif des groupements, l’heure est désormais à une nouvelle offensive médiatique de la profession, mais pas à l’encontre de Leclerc. « Nous avons contacté trois agences pour réfléchir à une communication sur ce que représente le pharmacien pour les Français, annonce le président de l’Ordre Jean Parrot. Une première présentation en sera faite le 6 mai qui permettra de faire un premier choix, lequel sera soumis ensuite aux leaders de la profession. » L’objectif est donc de lancer des actions coordonnées avec les groupements et les syndicats, mais, cette fois-ci, pour communiquer sur le métier de pharmacien, sa place et son rôle dans le parcours de soins lorsqu’on ne nécessite pas forcément un diagnostic, sa disponibilité. L’Ordre se déclare également prêt à intenter une action juridique contre Leclerc, notamment la présentation qui est faite du médicament dans sa publicité.

L’Action pharmaceutique libérale d’union syndicale, en attendant que l’Ordre prennent le relais, a quant à elle décidé de s’associer à la démarche de la FSPF pour collecter des fonds afin de financer la campagne qui devrait voir le jour dans un peu plus d’un mois. Le groupe Apsara (fédération européenne de groupements pharmaceutiques) déploie quant à lui une campagne de défense autour de trois axes. Depuis le 23 avril, les 850 pharmacies du groupe disposent d’affiches de comptoir et de brochures. Une pétition est également mise à disposition des patients. Fin mai, les réponses seront collectées et envoyées au ministère de la Santé avec copie à l’Elysée, aux médias et Leclerc. Enfin, dès le 1er mai et pendant tout le mois, un spot d’une minute mettant en avant les spécificités du métier de pharmacien sera diffusé 10 fois par heure sur les 450 écrans de comptoir Easypopsanté équipant des officines. De son côté, le groupe PHR incite à aller signer sur son site la pétition contre la vente de médicaments en GMS. Daniel Buchinger prévient qu’il n’en restera lui non plus pas là dans la défense de la profession. « Nous allons lancer le 10 mai l’union des groupements d’officines de pharmacie. Nous voulons le rétablissement de l’image de la pharmacie aux frais de Leclerc. Nous demanderons dans la foulée une rencontre au ministre pour discuter de l’avenir. »

L’USPO attend désormais des industriels qu’ils mettent en pratique leur part de la charte de bonnes pratiques commerciales sur l’OTC signée le 30 mars à Pharmagora. Avec une impatience mêlée de curiosité, tant le silence de l’AFIPA dans cette affaire a paru « assourdissant » à Gilles Bonnefond.

Dans une interview donnée le 23 avril à Pratis TV Pharma, Michel-Edouard Leclerc défend l’idée que le monopole lié à l’installation apporte une sclérose des pharmaciens, que la provocation liée à la publicité fait avancer le débat, mais que les pharmaciens se servent de lui pour se faire de la publicité et qu’il les met au défi de pratiquer les mêmes prix que lui.

En attendant, d’énormes placards visibles dans les pages emploi du Figaro et de L’Express invitent les « docteurs en pharmacie » à devenir responsable d’une parapharmacie Leclerc. « Nous pouvons traiter votre manque de responsabilité », peut-on y lire. Quelle responsabilité ?

Bagarre sur tous les fronts de la com’

Déception. Depuis quelques mois, une recherche Google pour retrouver rapidement le blog de Michel-Edouard Leclerc, « De quoi je me MEL ? », donnait également le lien du contre-blog d’un pharmacien intitulé « De quoi il se MEL ? ». Quelle n’a pas été notre surprise de constater que ce site venait d’être vidé de son contenu. « Suite à une plainte de l’Association des centres distributeurs Leclerc demandant son interdiction, le blog militant « De quoi il se MEL ? » n’est plus accessible jusqu’à nouvel ordre », peut-on lire sur la page d’accueil. Renseignement pris, le blog a été mis en sommeil, Leclerc ayant attaqué le pharmacien pour « usurpation de la notoriété de l’enseigne Leclerc », laquelle demande plusieurs dizaines de milliers d’euros pour préjudice financier et frais de justice, exigeant également la fermeture du site et la restitution des noms de domaine. Maintenant on en est sûr, la grande bataille pour l’OTC se jouera sur la communication.