Complémentaires :obligatoirement vôtres !

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Publié le 3 mai 2008
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Le monde des complémentaires santé s’est retrouvé le 18 avril à Paris pour une réflexion grandeur nature, à l’invitation du magazine « Espace social européen ». Quelques jours seulement après l’annonce gouvernementale d’un probable désengagement du régime obligatoire en 2009.

Je n’ai rien contre une nouvelle répartition entre régimes obligatoire et complémentaire, sous certaines conditions », a affirmé d’emblée Michel Régereau, président du conseil de la CNAM. Les représentants de la CNAM et des complémentaires santé n’auront donc pas été surpris par les annonces d’Eric Woerth et Roselyne Bachelot évoquant un désengagement de l’assurance obligatoire. Il faudra juste passer à la caisse. Compte tenu de la répartition des prises en charge dans le domaine de la santé (160 milliards pour l’AMO, 20 milliards pour l’AMC), un transfert équivalant à un point de cotisation du régime obligatoire se traduirait par une hausse de 4 à 5 points des cotisations AMC, observe Michel Régereau. Et une hausse de 5 % du ticket modérateur sur les ALD entraînerait 18 % de plus sur les cotisations.

La CNAM se montre réservée sur les transferts

Outre le fait que les Français basculeront d’un système de cotisation proportionnel au revenu à un modèle fonction de l’âge et/ou de la composition du ménage, Michel Régereau affirme que la mise en concurrence, via les complémentaires, n’est pas un facteur de modération des prix mais au contraire un facteur inflationniste, les professionnels de santé profitant vite d’une hausse des garanties d’assureurs pour augmenter leurs tarifs. Cet argument fait hurler les complémentaires. « Tous les jours, nous pouvons mettre en concurrence les professionnels de santé entre eux, objecte Frédéric Cosnard, directeur du développement de Santéclair. Si l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous, c’est faute d’avoir accès à certaines données de santé, même anonymisées. »

Une vieille revendication des complémentaires. Leur volonté d’interventionnisme calculé et d’efficacité régulatrice butte sur l’impossibilité d’accéder aux données de santé. « Ce débat dépasse le cadre de l’officine, explique Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO. Les pharmaciens ont montré leur bonne volonté en acceptant les expérimentations Babusiaux. Pour le reste, c’est un sujet politique. » Si le représentant de Santéclair monte au créneau sur ce point, ce n’est pas un hasard. En aparté, différents représentants des complémentaires n’hésitent pas à dire que Santéclair (près de 4 millions d’adhérents) est un modèle à suivre. « Avec Santéclair, nous sommes partis sur une relation bancale, considère Pascal Louis, président du Collectif des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO). L’idée de départ était bonne, mais le montage trop maladroit. » Gilles Bonnefond est beaucoup plus réservé : « Au contraire, Santéclair est le modèle à ne pas suivre. C’est la volonté de lier des pharmaciens en leur envoyant des clients, avec, en contrepartie, un assureur qui fixe seul les règles du jeu pour les prix et même pour le choix des médicaments. Nous réfutons cette vision d’acheteurs de soins. »

Il est vrai que chez Santéclair les assurés doivent par exemple demander un devis à leur chirurgien avant une intervention. « Notre prise en charge ne dépend pas de ce devis, notre démarche permet juste aux adhérents de se faire une idée du « tact et mesure » du professionnel de santé en matière de dépassement », ironise Olivier Milcamps, directeur marketing chez MAAF. Avec une observation lapidaire : il y a quelques années, la demande de devis d’optique était mal vue, elle est aujourd’hui entrée dans les moeurs.

Le Collectif des groupements a un projet avec une mutuelle

Les complémentaires insistent pour faire de la « gestion du risque » et être des payeurs « éclairés », donc avoir leur mot à dire sur les tarifs des professionnels. Ces derniers auront à négocier avec elles sur les secteurs qu’elles investiront : la prévention, les réseaux de soins et les services à la personne. Stratégie numéro un, selon Rémy Fromentin, ancien directeur de la conférence des directeurs d’URCAM, aujourd’hui consultant : investir le terrain de l’automédication (en nouant des partenariats avec les pharmaciens) et aller sur le conseil sanitaire, le service aux professionnels de santé (en imitant le système des délégués de l’Assurance maladie et en leur assurant un appui logistique : maisons médicales, réseaux de soins). « Il faut que les complémentaires prennent une part du coût de la médication officinale », insiste Gilles Bonnefond.

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Stratégie numéro deux : orienter les patients dans des filières de soins, organiser un suivi personnalisé, participer aux réseaux (gage d’amélioration des pratiques professionnelles et moyen de communiquer sur la qualité, sans risque de se faire taper sur les doigts), participer à la gestion du risque et revoir les garanties en n’offrant plus seulement une couverture financière mais aussi des prestations sous forme de services.

« Au CNGPO, nous travaillons actuellement avec une mutuelle sur des procédures incluant questionnement, démarche décisionnelle et choix efficaces autour de l’ORL, des pathologies digestives, de l’allergie ou de l’hygiène buccodentaire, confie Pascal Louis. La notion de panier de soins et de prix global est une chose, mais notre démarche porte aussi sur la qualité de la dispensation. » Le Dr Marcel Garnier, directeur de l’Innovation santé chez Mederic, voit lui aussi « une évolution du rôle du pharmacien dans la chaîne de soins ». Il faudra donc s’intéresser à lui dans le futur. D’autant qu’avec le dossier pharmaceutique « il va enfin prouver sa valeur ajoutée ».

Dans cette logique, on voit l’intérêt qu’auraient les professionnels à être référencés par telle ou telle complémentaire. Sinon, ils pourraient vite se retrouver concurrents, notamment sur les services à la personne. Pour Gilles Bonnefond, « il faut rapidement signer une convention nationale entre les complémentaires et les pharmaciens qui respectera des engagements de qualité, de souplesse de fonctionnement et de maîtrise des coûts de part et d’autre ». « Nos clients nous demandent de les aider à s’informer dans ce bazar qu’est le système de santé aujourd’hui », affirme Olivier Milcamps. C’est notamment, d’après Frédéric Cosnard, l’objectif du site sur l’automédication de Santéclair. « L’enjeu, c’est ne pas acheter des médicaments qui ne servent à rien », lance-t-il, estimant que la moitié des 3 000 produits disponibles pour l’automédication « n’ont jamais démontré leur efficacité. Si nous avions accès aux codes CIP, nous pourrions envisager la prise en charge des médicaments efficaces. » « Pas question que l’on fasse notre métier à notre place, ni que le conseil soit imposé par un assureur », s’indigne Gilles Bonnefond.

Gilles Johanet, ancien directeur de la CNAM aujourd’hui directeur général adjoint des AGF, échafaude un double scénario dépendant selon lui fortement d’un courage (ou d’une absence de courage) politique. Soit on minimise le risque politique des transferts de charge en ne permettant pas aux complémentaires de faire une gestion du risque (mise en place d’un bouclier sanitaire et multiplication des franchises médicales), soit on autorise les complémentaires à gérer le risque (via l’accès aux données de santé), ce qui est plus périlleux politiquement. Marcel Garnier a une autre crainte : « des contrats responsables encore plus corsetés ». Une chose est sûre pour Gilles Johanet, « il y aura des restructurations dans le monde de l’assurance complémentaire autour de plates-formes efficaces ».

Le référencement individuel des professionnels de santé est la solution pour réguler le système, estiment tous les acteurs du marché. Les pharmaciens peuvent cependant être tranquilles pour l’instant. Face à l’opposition qui s’est manifestée contre Santéclair, les assureurs n’insisteront pas. D’abord, leur secteur n’est pas prioritaire, ensuite, ils n’ont pas envie de se fâcher avec les pharmaciens alors même que la carte Duo est en préparation. Un dossier beaucoup plus important pour eux, en attendant d’éventuels désengagements massifs de la Sécu.

« On oublie l’essentiel. Régler le trou de la Sécu ce n’est pas le transférer, conclut cependant Michel Régereau. La voie à poursuivre, c’est la réorganisation du système de soins. » Peut-être aurons-nous droit aux deux en même temps !

Les complémentaires ont la forme

Le fait que Roselyne Bachelot ait évoqué le 6 avril sur RTL une explosion de la marge des complémentaires juste au moment d’annoncer des transferts de charges vers ce secteur n’est pas un hasard. Les complémentaires vont bien. Le taux de couverture de la population française est de 93 %. Hors hôpital et ALD, les complémentaires remboursent 34 % des dépenses de soins, 34 % des médicaments, 28 % des honoraires, 40 % du dentaire et 55 % de l’optique. Leur chiffre d’affaires était de 27,4 milliards d’euros en 2007 (près de 29 en 2008), avec une progression de 55,8 % en 6 ans. En 2007, les mutuelles avaient 58,3 % du marché, les instituts de prévoyance 17,1 % et les assurances 24,6 %.

Le marché compte un millier d’opérateurs, mais les 6 plus gros opérateurs (dans l’ordre MGEN, Axa, Groupama, Pro BTP, AG2R, Swiss Life) pèsent 22 % du CA total*. En un an, 12 % des mutuelles ont disparu du marché*

* Source : Espace social européen.