Leclerc : 1 Pharmaciens : 1

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Publié le 17 mai 2008
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D’abord abasourdis, les représentants de la profession ont vite réagi – en ordre dispersé – aux attendus de la cour d’appel de Colmar donnant raison à Leclerc contre les pharmaciens. La riposte est prête, sur les terrains médiatique comme judiciaire.

La justice est-elle liée au pouvoir de l’argent ? », s’interroge Lucien Bennatan, président du groupe PHR. Gilles Bonnefond, président délégué de l’USPO, juge que les conditions de l’appel ont été « détestables », « avec moins de 24 heures pour se préparer ». Critiquée pour son silence pendant l’épisode judiciaire, la FSPF, par la voix de son président Philippe Gaertner, regrette elle aussi les conclusions du procès, « même si ce référé ne nous semblait pas être la solution ». « C’est un match nul, commente Claude Japhet, président de l’UNPF. Tout le monde a pris conscience que Michel-Edouard Leclerc était allé trop loin. Mais je ne savais pas que TF1 faisait de la libre expression d’opinion dans ses pages publicitaires. » Toujours est-il que les pharmaciens auront réussi à faire taire Leclerc durant trois semaines, juste avant le débat sur la loi de modernisation économique, et à perturber son message.

Cela dit, Michel-Edouard Leclerc a indiqué qu’il allait relancer une campagne publicitaire modifiée sur la vente de médicaments. En donnant, au passage, un coup de griffe lors du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI dimanche 11 mai : « Moi, je n’ai pas de cabinet de lobbying, de personnes qui travaillent […] comme le fait le corps pharmaceutique auprès des députés. » Ben voyons ! Lucien Bennatan s’inquiète : « Cela va continuer de plus belle car derrière tout cela se profile l’ouverture du monopole. Le silence des répartiteurs et des industriels à cet égard est d’ailleurs assourdissant. »

Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie – qualifié par Michel-Edouard lui-même de « Leclerc de la pharmacie » -, juge que la réflexion du distributeur « montre juste que sa publicité est mensongère et qu’il y a bien concurrence entre pharmacies ! ». Alors Univers Pharmacie continuera à monter sur le front judiciaire. « Leclerc annonce qu’il modifiera sa publicité, preuve qu’il a compris qu’il ne peut pas faire tout et n’importe quoi. Nous allons nous pourvoir en cassation, informe Daniel Buchinger. Et puis il faut désormais aussi aller au fond sur le plan judiciaire et demander des dommages et intérêts pour dénigrement. Nous verrons si les syndicats nous suivent. »

Une campagne TV diffusée dans trois semaines

L’UNPF et l’USPO suivront-elles en cassation ? Cela sera étudié. « Mais une bataille de juristes à échéance de deux ans, est-ce vraiment intéressant ?, se demande Claude Japhet. Il peut se passer tellement de choses en deux ans sur le médicament… » Reste que le combat va continuer sur le terrain de la communication. Là, l’UNPF et l’USPO vont à nouveau se joindre à PHR pour une campagne TV en cours de finalisation. Démarrage prévu le 6 juin. Jusqu’au 13 juin, 80 spots seront diffusés. Budget : 800 000 euros. Une affiche relayant le slogan des films sera envoyée aux adhérents. Dès le 20 mai, les adhérents de PHR recevront également deux lettres, l’une à envoyer aux députés pour leur demander de prendre position, l’autre aux directeurs de Centres Leclerc.

Publicité

Quant à la Fédération, elle lancera sa campagne le 26 mai. L’idée : « Faire partager aux patients l’intérêt de garder la pharmacie à la française telle qu’ils la connaissent, explique Philippe Gaertner. Et comme c’est aussi une campagne à destination des politiques, des pétitions seront à signer dans les officines. » La campagne sera à la fois dans les 23 000 pharmacies et dans les médias. « Elle ne sera signée par aucun logo, seulement une croix verte », insiste Philippe Gaertner, qui indique que 4 000 pharmaciens y ont participé financièrement.

De son côté, Daniel Buchinger a créé jeudi dernier l’Union des groupements de pharmacies d’officine. « Ce référé était une faute stratégique, selon Pascal Louis, président du Collectif des groupements. Quant à en profiter pour récupérer des adhérents, je trouve la démarche d’Univers Pharmacie maladroite. Cela étant, nous devrons évidemment nous rencontrer. » Le Collectif prépare aussi une campagne d’affichage à l’attention du grand public soulignant la nécessité pour le pharmacien d’avoir accès à la communication et la publicité. « Dans le contexte actuel, il faut également montrer qu’il y a compétitivité au sein de la profession, sur les prix et sur les services », estime le Collectif.

Nouveau couac gouvernemental

C’est dans ce contexte que le secrétaire d’Etat aux PME Hervé Novelli est venu la semaine dernière brouiller les pistes, en se déclarant favorable à la vente de médicaments en grande surface (voir aussi Le Moniteur du 10 mai). « Juste après le premier jugement, ce n’est pas un hasard, estime Daniel Buchinger. Il doit y avoir un lobbying énorme actuellement auprès du gouvernement… » Les syndicats, eux, évoquent une « bourde gouvernementale ». Et le silence du ministère de la Santé suite aux déclarations d’Hervé Novelli ? « Roselyne Bachelot a suffisamment de finesse politique pour ne pas lancer une polémique sur ce point au sein du gouvernement », estime Claude Japhet.

Contactés par Le Moniteur pour réagir aux propos d’Hervé Novelli et nous indiquer s’il y avait actuellement débat sur le monopole pharmaceutique au sein du gouvernement, ni le secrétariat d’Etat aux PME, ni le ministère de la Santé n’ont souhaité répondre. En tout cas, en marge de la campagne de Leclerc, le débat fait toujours rage dans les milieux économiques qui ne semblent pas croire à une position définitive des politiques sur le sujet.

L’économiste Philippe Moati, directeur de recherche au CRÉDOC, n’est pas étonné par la victoire juridique remportée par Michel-Edouard Leclerc. « Aujourd’hui, face à un environnement qui impose au commerce une forte adaptabilité, s’arc-bouter sur un privilège acquis, comme celui des pharmaciens, devient indéfendable du point de vue des consommateurs. Or, avec cette campagne de publicité, Michel-Edouard Leclerc a l’intelligence de prendre l’opinion à témoin. » Au-delà de la guerre juridique, l’économiste exhorte la profession à un changement de stratégie. Vite. « En agitant le monopole officinal, les pharmaciens risquent d’apparaître comme une profession réactionnaire et conservatrice. Or, elle doit montrer qu’elle ne cherche pas seulement à protéger une position acquise, mais elle doit nourrir un autre discours. »

La publicité Leclerc ne serait pas une publicité !

Rappelons que dans ses attendus du 7 mai, la cour d’appel de Colmar a estimé que la campagne Leclerc n’était pas susceptible de provoquer « de trouble manifestement illicite », et qu’il n’y avait pas non plus « de conséquence dommageable nettement établie » [pour la pharmacie]. D’où le rejet de l’action en référé introduite par Univers Pharmacie, Directlabo, l’UNPF et l’USPO.

Pour le reste, la cour d’appel de Colmar évoquait moult inexactitudes… de part et d’autre. Et expliquait qu’il ne lui était pas permis de trancher ici dans ce qui relevait d’un débat d’idées et de la liberté d’expression, et non d’une publicité, s’agissant de produits que Leclerc n’est pas autorisé à vendre, ce que son message spécifiait bien. Le message de Leclerc restait dans ce qui est acceptable « en matière d’expression humoristique », a en outre jugé la cour d’appel.

« Balayons devant notre porte »

Le groupement PHR réfléchit à un projet de « service pharmaceutique rendu ». Un projet qui consiste ni plus ni moins à faire en sorte que les pharmaciens éliminent des rayons de leurs officines les produits douteux et insuffisamment efficaces. « Nous ne devons pas galvauder notre diplôme, il faut arrêter d’accepter tout et n’importe quoi. Commençons par balayer devant notre porte !, s’énerve Lucien Bennatan, président de PHR. Je sais que ce projet va en exaspérer plus d’un. Oui, on risque de me dire que c’est la meilleure façon d’offrir sur un plateau à Leclerc les produits que nous ne voudrons plus en pharmacie. Oui, en prenant la décision de refuser des produits à forte marge dans une situation économique délicate, cela va perturber les pharmaciens qui veulent vendre leur fonds ainsi que ceux qui ont acheté trop cher. Mais, dans deux ans, n’est-ce pas les fonds de pension et les financiers que ces mêmes confrères détesteront ? Il faut accepter de perdre un peu aujourd’hui pour gagner demain. Nous ne voulons plus être de simples acheteurs de remises. Si on veut faire uniquement du commerce, Leclerc, les bureaux de tabac et les stations services ont bien raison de nous attaquer sur le monopole. »

Le concept du « service pharmaceutique rendu » de PHR, qui est aussi un signal fort adressé aux industriels, aux patients clients et aux autorités de tutelle, pourrait être annoncé aux adhérents du groupement au cours du congrès de novembre.