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« On ne pourra pas contraindre les professionnels de santé à un mélange de compétences à marche forcée »

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Publié le 25 mai 2018
Par Magali Clausener
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Dans son livre « Santé : explosion programmée » (1), Patrick Bouet, président du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), appelle les professionnels de santé à respecter les périmetres des metiers de chacun, organisés autour du médecin.

Votre analyse de notre système de santé n’est-elle pas trop pessimiste ?

Dr Patrick Bouet : Avant toute chose, ce livre est celui d’un médecin généraliste qui exerce depuis trente-cinq ans en Seine-Saint-Denis et qui, en tant que président du CNOM, vit aussi dans le monde institutionnel. Le constat que je fais est partagé par d’autres et est également mis en avant par l’ordre des médecins depuis 2015. Le système est au bord de l’explosion parce que les professionnels de santé ne se reconnaissent plus dans les objectifs du système de santé. Les usagers expriment une inquiétude sur l’iniquité de l’accès aux soins sur les territoires, et les élus locaux ont été exclus du système de santé. Il va falloir réformer et restructurer l’accès aux soins équitable sur tout le territoire, de Paris à Mayotte. Les professionnels de santé ne vont pas pouvoir continuer à porter à bout de bras le système de santé.

Le gouvernement a pourtant lancé une stratégie de transformation du système de santé…

Depuis 1974, il y a eu vingt-trois plans de réforme et, depuis 2007, les projets de loi de financement de la Sécurité sociale se succèdent. Aujourd’hui, le gouvernement présente plusieurs stratégies nationales et feuilles de route. Il lance des concertations. Mais les constats sont largement partagés, il faut maintenant les traduire dans des actes structurants. C’est ce qu’attendent les professionnels de santé.

Vous écrivez dans votre livre que « les maisons de santé ne sont pas la martingale ». De son côté, l’Ordre a lancé un Observatoire des initiatives territoriales réussies. Comment dupliquer ces bonnes idées ?

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Il faut sortir de l’hyperadministration et de l’hypercentralisation. Il ne faut pas regrouper pour regrouper, mais accompagner les initiatives sur le terrain. Il faut faire confiance aux acteurs de proximité pour trouver des projets de santé sur les territoires. Les acteurs nationaux doivent soutenir les porteurs de projets et ne pas dupliquer. Dupliquer, c’est déjà dire qu’il va y avoir des normes financières et administratives. « Comment je facilite l’accès aux soins sur les territoires ? », tel est l’objectif. Les maisons de santé peuvent être une solution dans un certain nombre de territoires, mais ne doivent pas être l’unique modèle. Elles ne doivent pas devenir un établissement de santé.

Pourquoi critiquez-vous aussi la politique de prévention menée en France ?

C’est la même vision économique que pour le système de santé : il ne faut pas faire croire que la prévention a pour objectif de réduire les dépenses de santé. La prévention s’inscrit dans l’environnement global de la personne et doit associer tous les acteurs de santé mais pas seulement. Il faut avoir un discours de vérité. L’Etat doit investir massivement, donner les moyens à la santé mais aussi à l’éducation. L’objectif est d’améliorer le parcours de santé de chaque personne. Et cela ne relève pas du domaine exclusif du médecin.

Que pensez-vous des nouvelles missions des pharmaciens, comme le bilan de médication ?

L’ordre des médecins est favorable à la coopération et a des partages de compétences dans le cadre de nos métiers respectifs. Le bilan de médication relève du domaine pharmaceutique. Mais le médecin coordonne l’équipe de soins primaires. Il ne peut pas le faire autour du patient sans coordonner l’ensemble des actions de l’équipe. Il faut respecter les contenus et les périmètres des métiers de chaque profession. C’est d’ailleurs ce flou entre les compétences et les contenus métiers qui fait défaut dans le projet de décret relatif aux pratiques avancées des infirmiers. Je suis convaincu que nous avons tous la même ambition : réussir à construire un parcours de soins cohérent. On ne pourra pas contraindre les professionnels à un mélange de compétences à marche forcée.

La médecine est-elle encore un métier attractif pour les jeunes ?

La profession de médecin est fortement attractive pour les jeunes, car il s’agit d’une profession de l’humain et les jeunes générations sont très attirées par les relations humaines. En revanche, le système de santé qui repose sur cet engagement absolu des générations précédentes doit être réformé pour que les jeunes retrouvent les mêmes satisfactions que les nôtres. Les jeunes ne sont pas moins motivés que nous, ils sont même plus compétents que nous, mais le système de santé est à bout de souffle et ne répond pas à leurs exigences. Il faut que nous entendions leurs aspirations. 

(1) Editions de l’Observatoire, 192 p., 17 euros.

D R  PATRICK BOUET, 

BIO EXPRESS


•   1955 : naissance le 18 août à Saumur (Maine-et-Loire)

•  1974 : inscription à la faculté de médecine d’Angers (Maine-et-Loire)

•  1984 : médecin généraliste à Villemomble (Seine-Saint-Denis)

•  2013 : premier généraliste à devenir président de l’ordre des médecins

•  2017 : premier médecin généraliste à devenir membre de l’Académie de médecine