À l’attaque, du coronavirus !

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Publié le 1 avril 2020
Par Christine Julien
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Affronter le Covid-19. Écouter, informer et prendre en compte chaque client durant cette crise sanitaire nécessite un plan de bataille de l’équipe, juge et partie, car nous sommes tous concernés.

Une crise sanitaire

→ Le Covid-19 est une pandémie, une nouvelle maladie à propagation mondiale devenue une crise sanitaire, mais aussi économique et sociétale.

→ Un risque sanitaire est un risque immédiat ou à long terme représentant une menace directe pour la santé, et qui réclame une réponse adaptée du système de santé.

→ Il peut entraîner une crise sanitaire quand les conséquences sont graves pour la population et que les autorités publiques voient leurs dispositifs dépassés.

→ La crise bouleverse nos repères et nos certitudes. Jusque-là, on nous a laissé croire que le système garantissait un maximum de choses, que nous étions invincibles, et d’un coup, nous nous retrouvons avec beaucoup d’incertitude. Même les scientifiques ignorent l’évolution. Un client peut penser : « Les professionnels ne sont pas capables de me répondre ». Chacun essaie de comprendre mais cette incertitude bouscule l’illusion que nos capacités scientifiques avaient tout borné. La situation de crise est un ennemi inconnu.

→ Une abstraction difficile. Le Covid-19 est une maladie inconnue et virale. Un virus ne se voit pas. Quelque chose d’abstrait n’existe pas. La faculté d’abstraction diffère selon son éducation. En tenir compte en expliquant les mesures barrières.

S’organiser

Une évidence

→ Les officines sont en première ligne dans la prise en charge des malades infectés, qui se fait en ville dans la majorité des cas.

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→ Elles distribuent les masques et les produits hydroalcooliques, accompagnés d’informations sur les mesures barrières.

→ Informer et répondre aux questions de la population est votre rôle. En période de crise, même si vous vous sentez parfois mis de côté, les clients continuent à vous accorder la confiance qu’ils vous font tout au long de l’année.

Une nécessité

Vous avez déjà affronté deux ou trois semaines difficiles, avec des mesures qui se sont succédé. Mettre en place une cellule de crise en équipe pour organiser la bataille contre le coronavirus est encore judicieux pour plusieurs raisons.

→ Chaque jour distille son lot d’informations et de fausses nouvelles. Si « Les pharmacies distribuent des masques à certains soignants » est vrai, « Mon chat peut avoir le coronavirus » est faux. Pour répondre, encore faut-il le savoir.

→ Il faut trier les sources d’information afin d’élaborer des réponses communes dans l’équipe. Ces éléments concrets et de langage seront communiqués à la clientèle en fonction des demandes. Où chercher, à quel rythme, comment recenser les infos, il peut être judicieux de désigner quelqu’un dans l’équipe qui lit vite, et qui est curieux et volontaire.

→ Vous avez aussi des inquiétudes sur votre santé et celle de vos proches. Elles doivent être verbalisées en équipe.

Lister les problématiques

→ Si cela n’a pas encore été fait, proposez une réunion à l’équipe et au titulaire.

→ Mettez-vous d’accord entre vous avant. Listez les points qui vous semblent importants, puis désignez quelqu’un qui proposera l’entrevue au pharmacien. Mieux vaut prévoir une réunion courte.

→ Définir thèmes et solutions : gestion des clients (les faire entrer trois par trois, servir à travers la grille, mettre des plaques de plexiglas entre vous et eux, etc.), recensement des moyens techniques, masques et préparation de solutions hydroalcooliques, tour de table sur les craintes, angoisses ou agressivité des patients.

Adopter un discours clair

→ Personnaliser les arguments. Des gens sont capables d’entendre qu’on va tous être contaminés, d’autres non. La dangerosité de la situation n’est pas perçue par tous, l’intérêt des mesures non plus.

Vous pouvez évoquer le seuil d’accès aux soins : « Rester chez soi et adopter des gestes barrières, comme se laver les mains, limitent le nombre de personnes contaminées. Il ne faut pas qu’il y ait beaucoup de patients malades en même temps pour ne pas saturer les services médicaux. La seule façon de faire est de casser la vitesse de contamination, et pour cela le meilleur moyen est de rester confiné. »

→ Hors de question de mentir. Il faut expliquer les choses clairement et simplement. « Les mesures barrières sont nécessaires pour éviter une catastrophe. » Il n’est pas obligé de dire que, sans ces mesures, des gens vont mourir, faute de soins. Laisser la per sonne pour suivre sa réflexion elle-même .

→ Expliquer de façon pédagogique. Imposer enlève de l’autonomie et l’individu fera tout pour la récupérer. Éviter de dire « Ne sortez pas, sinon vous allez vous contaminer ». Préférez : « Si tout le monde est atteint en six mois par le virus, ce n’est pas la même chose que si tout le monde l’est en un mois. Il n’y aura jamais assez de respirateurs, de soignants. C’est pour cela qu’il est imposé de rester confiné et de sortir que pour le minimum vital. »

Recevoir les émotions

S’adapter

Il y a une immensité de variétés de réactions face à cette crise, de celui qui est dans le déni total à celui qui est tétanisé. C’est au professionnel de s’adapter pour entrer en relation et amener les personnes à bien comprendre les mesures. Et aller vers l’intérêt commun.

Valider

→ Quand vous percevez de l’inquiétude, un stress, une émotion, d’abord la valider. Cette émotion est légitime. Dire « Je comprends. Effectivement, il y a des raisons d’être inquiet ». Ainsi, vous allez accrocher la personne dans la communication.

→ Entendre. Si vous répondez « Mais non, il n’y a pas lieu de vous inquiéter. Si vous prenez les bonnes mesures, tout ira bien », vous ne validez pas le niveau d’inquiétude. Cela provoque le sentiment que l’inquiétude n’a pas été entendue. La personne pensera : « Il m’a dit de ne pas m’inquiéter mais, en fait, je n’ai pas pu m’exprimer ». Prenez du temps pour l’aider à redire ses peurs. De même, quand certains disent : « Ce virus, c’est du pipeau, il n’y a pas lieu de s’inquiéter ». Le professionnel de santé doit accepter et amener les gens à se recentrer sur la réalité. Dites : « Vous avez de la chance de ne pas être inquiet. Ce doit être difficile de se retrouver en réanimation durant deux ou trois semaines… »

Décortiquer

→ En cas de peur ou de craintes lancées en vrac : « J’ai peur pour mes enfants. Et s’ils l’attrapaient ? Et ma mère est vieille, elle habite loin, etc. » Reprenez les termes un par un pour analyser les demandes et supprimer la confusion : « Vous êtes en train de me dire que vous avez peur. Pourquoi ? Pour qui ? » La personne se sentira entendue. Ensuite, vous passerez l’information. « J’ai peur pour mes petits ». Dites : « Pour le moment, les enfants sont porteurs mais ne développent pas de symptômes. Il est conseillé de les confiner pour ne pas répandre le virus. »

→ Être technique. « Je comprends que vous soyez très inquiet. La seule solution est de vous protéger. » Donnez des informations pratiques et techniques, qui rassurent toujours : « Vous vous lavez les mains, c’est bien. Avez-vous eu l’idée de nettoyer votre portable ? Il faudrait le faire aussi souvent que vos mains. » Il peut penser « Je vais faire ce qu’il faut et ça ira. »

→ En cas de respiration courte, de logorrhée parce que la personne est inquiète, stressée, utilisez un reflet simple qui constiste à répéter ce qu’elle dit en utilisant ses mots. Cela va la rassurer et l’apaiser, rendant ensuite un réel échange possible. « Par rapport à votre situation, il faut rester chez vous au maximum. Et quand vous sortez faire vos courses, essayez de choisir un moment où il y a peu d’affluence. »

→ Resituer la question du temps en l’absence d’échéance. Cela peut être intéressant pour déstresser. « Effectivement, en ce moment, on a du mal à se projeter dans les semaines à venir mais on sait que ça va être une période limitée dans le temps. » Et renvoyez les gens vers des choses qu’ils aiment faire. « Peut-être est-ce l’occasion chez vous de faire quelque chose que vous n’avez pas l’habitude de faire ? »

Gérer les difficultés

La théorie du complot

Certains cherchent toujours des coupables. Ne répondez pas à ceux qui disent que le virus a été fabriqué, que l’on nous ment. Reconnaissez le délire avant de l’évacuer : « L’origine de ce virus sera connue ou pas, l’histoire nous le dira. Ce n’est pas le plus important aujourd’hui. Le problème urgent est d’affronter cette épidémie. »

Le déni

Le déni est une façon de s’habituer à une situation difficile. « Ce virus n’est pas grave, il ne va rien m’arriver. » Cet outil psychologique extraordinaire permet de supporter les épreuves qui semblent « insurmontables ». Il faut le respecter comme l’une des dernières libertés de l’homme. Le déni est à la fois une prison et une protection.

→ La personne essaie de se convaincre elle-même. Quand une personne dit « Ça, ce sont des bêtises », c’est elle qu’elle essaie de rassurer. Ses déclarations ne vous sont pas destinées.

→ Revenez sur les faits. « Si beaucoup de gens reçoivent des soins médicaux en même temps, cela va dépasser les capacités médicales. » La personne va malgré tout enregistrer l’information. Elle fera seule son cheminement, à son rythme. Laisser de l’autonomie à l’autre signifie également que chacun n’a pas le même timing pour comprendre, et surtout s’avouer la situation.

→ L’accompagner dans son ambivalence et son raisonnement pour l’amener à voir plus clair si elle en a envie. Face à « Je ne vais pas me protéger parce que ça ne sert à rien », dites « Je comprends votre point de vue. Le problème est qu’il n’y a pas assez de capacités médicales. »

L’inquiet fou d’infos

À ceux qui questionnent énormément, demandez « Vous regardez beaucoup la télé ? Une fois que vous avez les bonnes informations, peut-être pouvez-vous suivre les infos une fois par jour ? » Le « Arrêtez de regarder la télé » ne marche pas.

Le confinement

→ Un risque d’implosion. Rester à la maison est à risque de tension familiale. Lors d’une délivrance, demandez : « Alors, comment vivez-vous la situation ? » pour laisser un espace de parole si besoin.

→ La rupture du lien social. À une personne esseulée, rappelez « C’est pour votre sécurité », et « Est-ce que vous avez des contacts réguliers avec votre famille ? Des amis ? » Si non, s’enquérir d’un réseau.

Merci à Pascale Thibault, responsable pédagogique d’Amaé-Santé, et à René Maarek, pharmacien, formateur en entretien motivationnel.