Politiquement insoumis

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Publié le 1 septembre 2010
Par Christine Julien
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Laurent Quetstroey navigue entre son métier de préparateur et le poste de conseiller municipal dans le village de Douvaine, en Haute-Savoie. Pour donner aux autres après avoir tant reçu.

Les clients déposent leur ordonnance et leurs doléances », explique Laurent Quetstroey en souriant. À Douvaine, la pharmacie du Léman a parfois l’allure d’une annexe de mairie. Sous le regard bienveillant des titulaires, le quadragénaire à la voix doucement éraillée conseille clients et administrés de ce village de Haute-Savoie. Un savant mélange d’écoute et d’attention pour ce préparateur conseiller municipal depuis les élections de 2007.

Joutes verbales et quolibets. Ce natif du Nord est entré dans le combat électoral des municipales pour gérer son insatisfaction de parent. Laurent, sa femme, Isabelle, et leurs filles, Julie et ÉLise, sont installés depuis 1998 dans ce chef-lieu de canton de 4500 habitants. Il est président du conseil local de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). « La diététique à la cantine et le soutien social faisaient défaut. » Avec Claire, une mère de famille, « mon mentor, une femme brillante », il décide de se lancer en politique en créant une liste d’ouverture. Il découvre les joutes verbales d’une campagne électorale, frappant aux portes les soirs et les week-ends après ses 35 heures à la pharmacie. « Nous tentions de présenter un programme concret pour répondre aux attentes des gens. » Il est deuxième sur la liste qui arrive en troisième position. « Nous avons eu trois sièges au conseil municipal. » Laurent devient conseiller municipal.

Un homme de solutions. Fédérateur, le maire de Douvaine a octroyé les 26 postes de conseiller selon les secteurs de compétence. Brillant sportif et déjà impliqué dans d’autres activités associatives et éducatives, Laurent est responsable de la commission aux sports et membre du centre communal d’action sociale (CCAS), du conseil d’administration du collège et de la commission communication. Tous les mercredis soir « disponibles », il est « en municipalité » pour régler les problèmes courants de la commune. Une fois par mois, place au conseil municipal. « Ma femme me voit très peu, et ma maison me sert parfois d’hôtel. » Rencontrer, batailler, fédérer sont les outils d’un homme rempli de doutes et de solutions. Grâce à sa ténacité, les jeunes pourront s’initier à l’athlétisme courant septembre. « Je n’ai pas envie de regarder passer le train. Je fais et je vais jusqu’au bout. Je suis peut-être trop entier », affirme-t-il, presque gêné de son assurance. « Il y a beaucoup d’hypocrisie dans la vie politique. Certains sont capables de dire blanc un jour et noir le lendemain. » Avec son regard « parfois angélique », il détonne dans ce village proche de Genève où « les gens ont des palissades de huit mètres de haut et peuvent dénoncer les agissements de leurs voisins en toute quiétude ». Laurent a fui les barrières. Absentes autour de sa maison et dans sa tête. « J’aime me répéter que les utopies d’aujourd’hui constituent les idéaux de demain. » Il souhaite « le bien-être des autres ». Même si la lutte est âpre.

Brillant, mais pas trop. « J’étais un jeune branleur, un bagarreur », avoue Laurent du haut de son mètre quatre-vingt-six. Cultivant « le paradoxe d’être un bon élève un peu voyou », il réussit un bac C au lycée de Dunkerque. Ce n’est jamais assez bien pour son père. Cet ouvrier sidérurgique taciturne et rigoureux reste éternellement insatisfait de son rejeton. « Je n’étais pas le bienvenu », explique Laurent du bout des lèvres. Fan de foot, le père reste impassible devant les exploits de Laurent, stoppeur ou milieu défensif, repéré par de grands clubs. « Je ne pouvais fournir ce qu’il voulait. » Laurent se réfugie souvent chez ses grands-parents maternels, Kaja la Polonaise et Oscar le Belge, rescapés héroïques de la dernière guerre. Généreux sans se prendre au sérieux. « Ils m’ont donné des repères. » Les disputes s’enchaînent au foyer, « limite violentes », devant Laurent et sa jeune sœur. « Je me suis laissé faire jusqu’à vingt ? ans, puis je me suis rebellé. Jusqu’à l’altercation. Vingt ans de douleur remontaient. » Le père disparaît un matin sans laisser de trace. Laurent est en deuxième année de pharmacie à Lille. Impossible de continuer, « ma mère, caissière dans un hypermarché, ne pouvait plus subvenir à mes besoins ». Il s’engage alors en service long volontaire dans les fusiliers commandos à la base d’Évreux en tant qu’instructeur-éducateur. Topographie, secourisme, armes, « j’ai aimé la discipline qui m’a cadré, l’adrénaline et le sport ». Malgré la médaille de bronze de la Défense nationale, il arrête pour sa future femme, « souvenir de vacances » d’un séjour dans le Gers. Hébergé par ses beaux-parents, il devient préparateur à Paris : « La pharmacie était mon dernier repère avant l’armée ». Le métier lui plaît.

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Construction communautaire. Ville, puis l’hôpital de Creil, où il enchaîne les formations et participe, entre autres activités, à la prise en charge des toxicomanes. « J’ai découvert un autre monde de souffrance. » Il dit ce qu’il pense dans le service jusqu’à la dispute sévère avec le pharmacien. Il n’y remettra plus les pieds. Des « opportunités de travail à Genève » pour sa femme infirmière en néonatologie conduisent la famille à Douvaine. Le football, « école de l’intégration », un brevet d’éducateur sportif, animateur, création d’une association pour aider un malade handicapé, Laurent « plonge pour trouver des solutions quand les gens sont en difficulté ». Lui qui pense que « l’on n’est riche que de ses amis » a purgé sa peine. « Je me suis construit sur des rencontres. J’ai transformé ma douleur viscérale en don. J’ai “retricoté” ma vie. »

portrait chinois

• Si vous étiez un végétal ? Un arbre fruitier pour produire toute l’année et nourrir sa famille et les autres.

• Une forme galénique ? Un collyre pour ouvrir le regard des autres. J’ai ouvert les yeux à un moment de ma vie.

• Un médicament ? Un euphorisant. Pour que les gens s’éclatent et mettent de l’humour dans n’importe quelle circonstance.

• Un dispositif médical ? Un cœur… artificiel, par dérision. Parce que c’est le siège de la vie et celui de l’amour, parfois superficiel. Faut-il aimer ? je me le demande parfois…

• Un vaccin ? Contre l’obscurantisme. L’ignorance est la mère de la peur. J’ai été un militaire formaté. Si une femme – la mienne – ne m’avait pas donné un coup de pied aux fesses, je ne me serais pas ouvert.

• Une partie du corps ? Le sexe, source de plaisir, de jouissance et de naissances. On peut jouir de tout sauf de la souffrance. Le sexe est un raccourci pour évoquer le « bien »…

Laurent Quetstroey

Âge : 45 ans.

Formation : préparateur.

Lieu d’exercice : pharmacie du Léman à Douvaine, Haute-Savoie (74).

Ce qui le motive : la reconnaissance, entendre un “merci”.