Un marché aux contours incertains

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Publié le 5 novembre 2022
Par Yves Rivoal
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Ils sont entre 9 et 11 millions en France à soutenir au quotidien un proche en perte d’autonomie en raison de l’âge, d’une maladie ou d’une situation de handicap. Qui sont les aidants ? Constituent-ils un marché en tant que tel ? Réponses d’experts.

Lorsqu’on lui demande s’il y a un marché des aidants, Gwénaëlle Thual, présidente de l’Association française des aidants, répond sans ambages. « Je ne suis pas sûre que la notion de marché désigne une quelconque réalité tant les profils et les situations des personnes qui accompagnent à titre non professionnel un membre de leur famille ou un proche sont divers. Avec des situations, des besoins et des attentes qui évoluent en plus au fil du temps… Par ailleurs, essayer de comprendre les situations d’aidance au travers d’une unique logique de marché, c’est passer à côté des ressorts affectifs et relationnels qui sont en filigrane de ces solidarités de proximité. »

De 10 à 99 ans

Même son de cloche chez la déléguée générale du colletif Je t’aide, qui regroupe une trentaine de structures œuvrant auprès des aidants et aidantes. « Parmi les proches aidants, on retrouve des hommes et des femmes de 10 à 99 ans, issus de toutes les catégories socioprofessionnelles, et vivant sur l’ensemble du territoire, en ville comme à la campagne, note Morgane Hiron. On observe aussi de grosses variations d’intensité entre une personne qui s’occupe d’un proche quelques heures par mois, et une maman qui doit quitter son travail pour s’occuper de son enfant handicapé à plein temps. » « Les femmes sont d’ailleurs celles qui investissent le plus de volume horaire pour aider leurs proches, observe Gwénaëlle Thual. Au-delà de 20 heures d’investissement hebdomadaire, ce sont elles qui endossent le plus souvent un rôle d’aidant. Elles ont aussi la particularité de moins faire appel aux prestataires extérieurs que les hommes. » Dans ce contexte, chercher à analyser le pouvoir d’achat des aidants n’a pas beaucoup de sens, comme le reconnaît Morgane Hiron. « Il est effectivement impossible de répondre à cette question. Une chose est sûre, c’est que le fait d’aider un proche accentue les inégalités entre les personnes précaires et non précaires, les restes à charge fragilisant encore un peu plus les aidants déjà en situation de fragilité », observe la déléguée générale de Je t’aide, en rappelant que 70 % des aidants dépensent en moyenne 2 000 € par an pour accompagner un proche. « Pour beaucoup, l’aidance se traduit même par un appauvrissement, voire une paupérisation, ajoute Gwénaëlle Thual. Quand dans un couple l’un des conjoints doit s’arrêter de travailler ou passer à temps partiel pour s’occuper de son enfant malade, la perte de revenu n’est bien souvent pas compensée par les aides… » Pour noircir encore un peu plus le tableau, beaucoup d’aidants négligent leur propre santé. « Comme ils se concentrent sur l’accompagnement de la personne aidée, cela occasionne souvent des renoncements aux soins et des retards de prise en charge susceptibles d’aggraver leurs propres pathologies, un aidant sur deux déclarant dans une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) réalisée en 2008 souffrir d’une maladie chronique, note Morgane Hiron. 75 % indiquent, en outre, se sentir fatigués et stressés, et beaucoup se plaignent d’insomnies ou de mal au dos à force d’avoir à porter leurs proches du fauteuil au lit. »

Cœur de cible, les 70 ans et plus

Sans surprise, définir le marché des 9 à 11 millions d’aidants à l’officine relève là encore de la gageure. « Si l’on considère qu’il y a de plus en plus d’opérations de court séjour et d’hospitalisation à domicile, ce marché constitue probablement un segment dynamique. Mais comme il est déstructuré, avec des contours qui ne sont pas unanimement définis, il est impossible à cerner précisément dans nos statistiques », reconnaît David Syr, directeur général adjoint du Gers. Le marché des 10,4 millions de personnes âgées de 70 ans et plus, qui constitue le cœur de cible des proches aidés, se dessine lui plus clairement. Dans les statistiques du Gers, il concentre à lui seul un tiers des ordonnances, « ce segment étant en croissance sur les neuf premiers mois de l’année de 1,4 % en volume et de 9 % en chiffre d’affaires », précise David Syr. Même constat du côté d’Iqvia France. « Les 70 ans et plus représentaient 30,1 % des médicaments prescrits sous autorisation de mise sur le marché (AMM) en août dernier, et 28,1 % en cumul annuel mobile, confie Antoine Collet, directeur des panels et des partenariats. Cette tranche d’âge pèse aussi 28 % de la médication familiale, 29,4 % des dispositifs médicaux et 43,5 % de la nutrition. » A la lecture de ces chiffres, on comprend mieux pourquoi de plus en plus de groupements cherchent à attirer et à fidéliser la clientèle des aidants et des seniors (voir pages 42 à 46)…

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Une démographie contrastée

Certaines études permettent de cerner dans ses grandes lignes la démographie des aidants. D’après le dernier baromètre annuel de la fondation April, 60 % seraient des femmes et 70 % continueraient d’être actifs. La vieillesse est le premier motif d’accompagnement devant le handicap et la maladie. Selon le baromètre sur l’âge de l’autonomie publié par l’Organisme commun des institutions de rente et de prévoyance (Ocirp) en 2016, leur moyenne d’âge serait de 52 ans. 3 millions d’entre-eux vivraient dans les zones rurales, avec des frais de déplacement souvent conséquents lorsqu’il faut parcourir jusqu’à 100 km par semaine pour aider un proche, d’après l’enquête sur les aidants et la ruralité réalisée par Ipsos pour la Macif. Les Zooms de l’Observatoire Cetelem 2002 fournissent un éclairage intéressant sur la fréquence de l’aide apportée. 46 % des aidants déclarent apporter un soutien quotidien, 33 % plusieurs fois par semaine… Dans 45 % des cas, cette aide concerne un des deux parents.