Pharmacies à tous les étages

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Publié le 18 juillet 2009
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Peu avant l’élection présidentielle, « Le Moniteur » a voulu comprendre comment exercent nos confrères iraniens. Shoreh Sharvin, une consoeur téhéranaise, nous guide dans ce pays où les « maisons du médicament » deviennent de plus en plus des « appartements du médicament » en raison de la cherté des locaux. Et où, chaque année, on célèbre la Journée de la pharmacie !

L’Iran, pays des ayatollahs. L’actualité récente aura pu renforcer cette image d’Epinal d’un pays exclusivement dominé par la religion et les hommes. Force est de constater que la pharmacie iranienne ne renvoie pas cet a priori. En Iran, l’enseigne annonce la mission : une pharmacie se dit daru khane, la « maison du médicament ». Titulaires et assistants, hommes et femmes à quasi-égalité, travaillent en bonne intelligence et s’occupent indifféremment de clients des deux sexes. Selon les chiffres donnés par le syndicat des pharmaciens de Téhéran, l’Iran compterait 14 000 pharmaciens et 7 à 8 000 officines (Téhéran en concentre à elle seule entre 1 200 et 1 500, pour 8 millions d’habitants). Des effectifs plutôt faibles pour un vaste pays qui compte 72 millions d’habitants, répartis sur 1,65 million de kilomètres carrés.

Un « permis à points » pour pouvoir s’installer

Pour exercer, un pharmacien iranien doit être titulaire d’un doctorat d’Etat, obtenu après six années d’études. « L’entrée à la faculté de pharmacie se fait sur concours et la compétition est très rude », affirme Shoreh Sharvin, pharmacienne à Téhéran depuis 24 ans, qui a passé une thèse en chimie organique. Ici, le cursus est sensiblement le même qu’en France, si ce n’est que la mycologie n’est pas enseignée. Les étudiants ingurgitent beaucoup de chimie et de pharmacologie, de la biochimie et de la « biopharmacie » matière difficile intégrant beaucoup de mathématiques, de la pharmacognosie et des cours sur la nutrition.

Les étudiants suivent parallèlement un enseignement général qui inclut les mathématiques et la physique et de la botanique dispensée tout au long des études. « La chimie des médicaments prend une grande place dans les enseignements ainsi que la pharmacie industrielle. Nous avons d’ailleurs beaucoup de travaux pratiques dans des usines de production, ajoute la pharmacienne. La grosse différence avec la France est que l’on est formé dans les trois secteurs d’activité (officine, hôpital et industrie) pour devenir de bons généralistes. » Avec également la possibilité de continuer après le doctorat pour se spécialiser dans une branche quelconque.

A Téhéran, jusqu’à une époque récente, il n’était pas obligatoire d’être du métier pour ouvrir une officine : on pouvait même être propriétaire sans avoir son bac, comme n’importe quel commerçant. L’entreprise ne pouvait toutefois fonctionner que sous l’autorité d’un pharmacien diplômé, à qui le propriétaire en confiait la responsabilité. Les choses ont changé, bien que la règle diffère d’une province à l’autre. Désormais, à Téhéran, seul un pharmacien a le droit d’acheter ou de créer une pharmacie. Cela demande en revanche beaucoup de temps, d’argent, et… de points. Un pharmacien doit ainsi en cumuler 2 500 au fil de ses années d’exercice (40 points par an à Téhéran). A cela s’ajoutent des points supplémentaires selon que l’on est né dans la capitale, que l’on a suivi ses études dans une université d’Etat, que l’on a exercé en province, etc. « Nous n’avons pas le droit d’ouvrir une officine à notre compte aussitôt les études finies. Nous sommes obligés de partir pendant quelques années comme assistant dans d’autres provinces. Dans une grande ville comme Téhéran, on attend parfois 15 ans ! », résume Shoreh. La loi a tout de même changé il y a un an, et un pharmacien téhéranais peut désormais acheter une autorisation pour 700 millions de rials (environ 50 000 Euro(s)).

Beaucoup de titulaires officient en appartement

L’installation en association entre confrères reste rare, même si les locaux et les terrains sont excessivement chers. « Dans un quartier moyennement classé de Téhéran, il faut compter au minimum 500 000 euros pour une surface de 24 mètres carrés », explique encore Shoreh. C’est sans doute ce qui explique la taille des officines iraniennes, très petites dans la plupart des cas : entre 25 et 50 mètres carrés, les plus grandes ne dépassant pas 70 mètres carrés. « On trouve quelques officines dépassant les 90 mètres carrés, mais c’est très rare. On les trouve généralement dans les quartiers riches comme Niavaran, au nord de la capitale », précise Shoreh. Ce sont d’ailleurs plutôt des « drugstores », telle la pharmacie Sadaf, très réputée, qui passe pour être la plus grande de la ville (2 boutiques de 150 mètres carrés situées sur un même trottoir dans les quartiers chics du nord de la capitale), ou le drugstore Ramin (environ 90 mètres carrés en surface de vente), place Ferdosi, dans le centre.

Les pharmaciens ont aussi la possibilité de louer des locaux, mais ils n’apprécient pas vraiment la formule : les baux proposés ne courent que pour trois années. « Il faut beaucoup de temps pour se faire une clientèle. Or, on doit parfois partir au bout de trois ans tout simplement parce que le propriétaire veut récupérer ses murs ! Cela complique notre exercice car il faut tout reprendre à zéro », explique la pharmacienne.

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Après vingt ans de métier, Shoreh a pu acheter à bas prix une pharmacie de 26 mètres carrés dans un quartier pauvre de l’extrême sud de la ville. Mais la rue était peu passante et, comble de malchance, peu de temps après son installation l’un des trois cabinets de médecins a fermé. Très vite la clientèle a chuté. Il y a sept mois, Shoreh a donc dû fermer et a demandé l’autorisation de transférer son activité 300 mètres plus loin, dans une rue plus animée. Shoreh n’y est plus propriétaire mais locataire auprès de l’ancien pharmacien. Cette situation n’est pas très réglementaire mais il est possible de s’arranger. « C’est plus grand (40 mètres carrés) et j’ai beaucoup plus de clients, donc je m’en sors beaucoup mieux », apprécie Shoreh. Dans cette pharmacie de taille moyenne, le chiffre d’affaires tourne autour de 20 000 euros par mois. « Pour une surface équivalente, d’autres confrères peuvent faire deux à trois fois ce chiffre, d’autres la moitié… »

La pharmacienne ne vient dans son officine que deux à trois jours par semaine et se rémunère au pourcentage, soit environ 1 000 euros par mois. Son assistante, à temps plein, travaille 48 heures par semaine et gagne le même salaire. Un préparateur, une préparatrice et une aide-préparatrice complètent l’équipe.

Une consoeur de Shoreh, installée à Haft-e Tir, un quartier de la classe moyenne situé dans le centre-ville de Téhéran, a ouvert son officine dans un appartement. Il n’excède pas 35 mètres carrés, local de stockage compris. La pharmacienne y travaille seule avec une préparatrice, pour un chiffre d’affaires de 7 000 euros par mois. Dans l’immeuble, qui est placé sous la surveillance d’un gardien, plusieurs médecins et professions médicales se sont installés depuis. « A Téhéran, beaucoup de pharmaciens exercent dans des logements, ça coûte bien moins cher », explique la titulaire. Les candidats à cette solution doivent toutefois demander une autorisation à la mairie s’ils veulent transformer les lieux.

La création d’officine corrélée au nombre de médecins du quartier

Si les règles iraniennes régissant l’autorisation d’ouverture d’une pharmacie sont compliquées, le numerus clausus n’existe pas. En revanche, une distance minimale doit séparer deux pharmacies. Elle est de 300 mètres s’il y a moins de 25 médecins installés alentour. Or, dans toutes les grandes villes d’Iran, on trouve des bâtiments où se concentrent toutes sortes de médecins, parfois jusqu’à 100 ! Leur présence est annoncée avec force panneaux lumineux à fond jaune, bleu ou rouge, juxtaposés en longues colonnes verticales ou en guirlandes horizontales au-dessus de la rue. Dans ce cas, la règle des 300 mètres évolue : la présence de 60 médecins permet à deux pharmacies d’être ouvertes côte à côte.

En Iran, il existe également quelques pharmacies gouvernementales dans les hôpitaux d’Etat ou liées aux facultés de pharmacie, et, à Téhéran, deux pharmacies spécialisées dans les médicaments importés, pour la plupart des Etats-Unis, du Japon, de Chine ou d’Inde. « Ces médicaments sont très chers par rapport à ce que l’on peut trouver dans une pharmacie ordinaire », précise Shoreh.

En Iran, un pharmacien peut s’adjoindre les services d’un préparateur mais, comme il n’y a pas d’école pour en former, il recrute qui il veut, même sans diplôme. Un cousin, une amie… La formation se fera sur le tas. Il n’y a pas de grille de salaires mais on peut débuter à 100 euros par mois. « S’il y a beaucoup de contrôles en ce qui concerne le pharmacien et l’officine, il n’y a pas d’organisme pour venir contrôler le personnel », informe Shoreh. Le ministère de la Santé est en revanche pointilleux sur le prix des médicaments et de la parapharmacie (en général très bas), les dates de péremption des produits, la chaîne du froid ou encore les préparations.

Le pharmacien est lui-même soumis à des contrôles très fréquents. Sans sa présence, la délivrance d’une ordonnance, qu’il doit signer, est interdite. Son autorisation d’exercer doit en outre être renouvelée tous les cinq ans par l’autorité de tutelle. Il doit pour cela cumuler des points (125 sur cinq ans), notamment en suivant des formations – obligatoires – à la faculté de pharmacie.

Des pharmaciens en mal d’unité syndicale

Les pharmaciens iraniens disent avoir peu d’échanges avec les médecins, sauf parfois pour un problème de prescription. « La coopération est difficile. Nous sommes un intermédiaire auprès du patient, ce que le médecin n’apprécie pas vraiment. C’est lui qui sait, nous n’avons pas à lui poser de questions. Peut-être est-ce un problème culturel ? », demande avec beaucoup d’ingénuité Shoreh. Pharmaciens iraniens et pharmacien français, même combat ?

Les pharmaciens iraniens n’ont pas non plus beaucoup de contact avec leurs confrères, hormis par le biais du syndicat des pharmaciens Daru Soz auxquels ils adhèrent obligatoirement. « Nous nous retrouvons bien de temps en temps pour parler du métier, de la situation économique ou encore pour chercher des solutions à nos problèmes, mais ce n’est pas très efficace car il n’y a pas de bonne coopération entre nous, et le syndicat, lui, ne fait rien de très concret. C’est plutôt une association », explique Shoreh.

Au quotidien, souvent en retrait dans l’arrière-boutique ou derrière un hygiaphone, le pharmacien peut aller au-devant du patient pour un conseil concernant des maux de tête, une diarrhée, la grippe… L’OTC concerne principalement le paracétamol, les antihistaminiques et les compléments alimentaires. « Les Iraniens aiment bien venir acheter des médicaments sans ordonnance, par exemple un antibiotique pas trop complexe qui avait bien agi deux ans auparavant, ou un anxiolytique comme le lorazépam ou le diazépam parce que le voisin l’a conseillé… Les gens peuvent se fâcher si on ne leur donne pas ce qu’ils demandent. Ils ont une culture plutôt faible en matière de médicament. »

Le pharmacien, qui n’est pas habilité à prescrire, peut néanmoins donner une pilule sans prescription. Il n’abordera le sujet qu’avec les femmes (en Iran, la natalité est passée d’une moyenne de 8 enfants dans les années 80 à 2 aujourd’hui). Les jeunes filles, elles, sont conseillées – officieusement – par des gynécologues (uniquement des femmes), que ce soit pour un problème de grossesse ou d’hymen à recoudre. La pilule du lendemain n’existe pas. Le pharmacien ne fait pas non plus de prévention sur les infections sexuellement transmissibles ou le sida. Le ministère de la Santé lui-même n’en parle pas, sauf lors de la Journée mondiale contre le sida, avec quelques conseils à la clé. Les préservatifs sont toutefois en vente dans toutes les pharmacies, exposés en évidence et déclinés dans toutes les versions.

Electroménager, livres et huile d’olive à l’officine

A l’instar de la France, la parapharmacie et la dermocosmétique occupent une place de choix dans les pharmacies iraniennes. « Les Iraniens préfèrent acheter leur shampooing à l’officine. La parapharmacie est devenue très populaire chez nous. Elle aide beaucoup l’économie de l’officine et peut représenter 30 voire 40 % du chiffre d’affaires », assure Shoreh. On trouve aussi dans les officines des livres pour enfants, de l’électroménager (sèche-cheveux, kits de coiffure, plaques à lisser, pèse-personnes, épilateurs…), des flacons d’huile d’olive et beaucoup de compléments alimentaires. « C’est ce qu’on vend le plus, les Iraniens en sont très friands », indique un pharmacien d’Ispahan. Cela va des vitamines E et D à la glucosamine, aux oméga-3 et multivitamines, en passant par les anti-âge et anti-eau, les compléments pour les cheveux, les articulations (Osteoflex) et les muscles (créatine), les graisses (carnitine), du Geriatric Pharmaton, etc.

Les produits made in Pars (« faits en Perse »), de bonne qualité, sont très peu chers mais les marques européennes sont de plus en plus demandées, notamment en ce qui concerne l’orthopédie. « Les pharmaciens apprécient particulièrement les marques américaines, françaises, allemandes… », note Hossein Rogami, marchand de matériel médical à Ispahan. Quant à la dermocosmétique, les dermatologues « modernistes » en prescrivent beaucoup, contrairement aux anciens qui préfèrent les préparations. Ce type de préparations représente 95 % des préparations officinales (les préparations pour maigrir ou dormir sont interdites). Au nord de Téhéran, les ordonnances non remboursées peuvent atteindre 2 à 3 millions de rials (150 à 250 euros). Guinot, Lierac, Esthederm, Yves Rocher, Uriage, Biotherm, Galénic ou encore Elancyl font partie des marques les plus demandées. La beauté de la peau, celle du visage en particulier, n’a pas de prix pour les jeunes filles et les femmes des familles aisées, dans une capitale où a fleuri ces dernières années la chirurgie esthétique. Les crèmes antirides et le « surmaquillage » sont devenus une forme de riposte au port obligatoire du foulard. Une ouverture à l’ouest qui fait déjà la fortune de certains pharmaciens.

Persépoilis !

Les Iraniens utilisent encore la pharmacopée traditionnelle perse. Dont de l’huile de fourmi contre la repousse des poils !Pas une ville ou un village du pays qui ne possède ses attaris. Ces herboristes – ou épiciers -, parfois considérés comme de véritables docteurs, vendent toutes sortes d’herbes et de plantes médicinales, huiles essentielles, onguents, épices, mélanges, tisanes, gélules pour maigrir, grossir, dormir, contre la dépression ou l’addiction… Pas une famille qui n’ait son flacon d’essence de menthe (pour l’estomac) ou d’eau de rose (pour purifier le corps ou pour soigner le coeur). « Contrairement aux pharmacies, il y a peu de contrôles sur ces magasins, la loi est floue », regrette Shoreh Sharvin, qui est pourtant elle-même grande consommatrice d’essences de plantes.

L’urine de chameau pour soigner la bronchite

La pharmacopée propose aussi les citrons secs pour calmer les nerfs, le safran (l’or des Perses) comme euphorisant, les queues de cerises contre la tension, le jujube, anticholestérol, le mika, réducteur de température, Salix ægyptica contre les pertes de sang, la fleur d’hibiscus, l’os de seiche pour nettoyer les dents… On trouve aussi des testicules de gazelle desquels on extrait un musc prisé et cher, de l’urine de chameau pour la bronchite, des vésicules de renard pour des maladies d’yeux… La vigueur masculine, elle, peut s’appuyer sur les « poissons arabes », sortes de lézards des mers à mélanger au miel, ou sur les testicules de rhinocéros mélangés au ginseng et à l’Aloe vera. Quant aux jeunes filles, l’huile de fourmi leur est tout indiquée contre la repousse des poils… Les plats cuisinés eux aussi, en plus d’être beaux, doivent avoir des vertus : on utilise beaucoup le curcuma par exemple, anti-inflammatoire et présumé anticancéreux…

La tradition des attaris s’est perpétuée par héritage familial, mais aujourd’hui les jeunes peuvent s’installer après avoir suivi 6 mois de cours. Des enseignements peuvent être dispensés par des professeurs venus d’Inde ou du Pakistan. Un jeune attari téhéranais s’inquiète toutefois car les gens privilégient de plus en plus les molécules chimiques.

Une révolution lente s’est déclenchée

« Nous n’avons pas cru à un changement radical, mais entre le pire et le mauvais il fallait faire un choix. » Par cette phrase, Shoreh Sharvin, installée à Téhéran, résume la pensée de nombreux Iraniens qui ont pendant quelques semaines espéré un changement. Paradoxe de la théocratie, les élections présidentielles en Iran sont « libres »… après que les candidats ont été passés au crible du Conseil des Gardiens de la Révolution ! Et celui-ci a éliminé plus de 90 % des candidatures pour ce dernier scrutin (quatre sont restés en lice, tous issus du sérail khomeiniste). Mais, pour la première fois, dans les toutes dernières semaines qui ont précédé l’élection présidentielle, des débats télévisés relativement libres ont été organisés. La liberté d’expression a même eu droit de cité dans la rue et les jeunes y ont pris goût. Au point que, contre toute attente, la participation au suffrage a été massive cette année : 83 % de votants sur 46 millions d’électeurs.

Le temps de l’élection, tout a été mis en oeuvre pour préserver une apparence d’élection démocratique. Celle-ci a joué un rôle primordial dans la promotion du candidat Mir Hossein Moussavi face à un président sortant dont le bilan économique a été jugé catastrophique (25 % d’inflation annuelle, un taux de chômage important, une image dégradée du pays…). Pour beaucoup, Moussavi passe même aujourd’hui pour un vrai réformateur, à l’image de l’ayatollah Khatami qui a présidé le pays durant deux mandats (1997-2005). L’ultraconservateur Ahmadinejad lui a succédé en 2005. « Nous pensons que Moussavi peut faire beaucoup, notamment en ce qui concerne les relations avec les autres pays », note Shoreh. La fraude mise au jour, quel qu’en soit le niveau, a resserré les foules derrière cet ancien premier ministre de Khomeyni.

Des années de frustrations se sont déversées dans les rues et le candidat malheureux est devenu, un peu malgré lui, le héros d’une « révolution » très vite cadrée par les tenants du régime. « Quoi qu’il arrive, un système s’est fissuré. Désormais, beaucoup de personnes haut placées soutiennent Moussavi, on dit même que des pasdarans (gardiens de la Révolution) ont démissionné pour protester contre les arrestations d’opposants et les assassinats », complète la pharmacienne. L’estime pour le « guide suprême » elle-même a été ébranlée. Une boîte de Pandore s’est ouverte. L’émulation de la rue a fait entendre une autre voix. « C’est un grand pas en avant qui va vers la démocratie, même si son chemin doit être long et sinueux », espère Shoreh. Une révolution lente s’est déclenchée. Elle a mis au grand jour la crise qui sévit au sein de l’Etat islamiste, et ses divisions profondes… grâce à une élection truquée, l’année même où l’Iran fêtait les 30 ans de la révolution qui donna naissance à la république islamique, et qui célébrait aussi les 20 ans de la disparition de l’ayatollah Khomeyni.

Prescrire le médicament le moins cher pour être remboursé

Les Iraniens sont couverts, en grande majorité, par une sécurité sociale prise en charge par leur entreprise et dont le niveau de couverture peut varier de l’une à l’autre (jamais du 100 %). La différence est payée par le patient qui, selon ses moyens, complète par une mutuelle (très chère). Les personnes sans emploi bénéficient d’une sécurité sociale financée par l’Etat, plutôt correcte. Seuls trois types de patients sont pris en charge à 100 % : les hémophiles, les dialysés et les victimes de sclérose en plaques. Les sidéens reçoivent aussi leurs traitements gratuitement, mais dans des centres spécialisés. Tous les citoyens possèdent un carnet de santé à souche, valable deux ans. La prescription figure sur trois feuillets : un vert pour le pharmacien, le laboratoire ou le radiologue, un rouge pour le médecin et un bleu pour le patient, qu’il conserve. « La gestion des dossiers est très compliquée car chaque entreprise a une règle différente de prise en charge, explique Shoreh Sharvin. Pour nous, il est très difficile de toutes les connaître. L’autre difficulté est qu’il faut donner le médicament le moins cher si l’on veut être remboursé (les médicaments étrangers ne sont pas pris en charge). Si le médecin a prescrit en générique, c’est à nous de chercher le produit le moins cher, sachant qu’un laboratoire peut donner différents noms et différents prix à une même molécule. Par ailleurs, ces prix changent très souvent et on doit les inscrire à la main sur la feuille de prescription. Les informations, quant à elles, sont saisies sur ordinateur puis copiées sur disquette avant d’être envoyées à l’assurance maladie. »

Un pays producteur de génériques

Avant la révolution de 1979, beaucoup de médicaments étaient importés. L’Iran a développé depuis une industrie pharmaceutique très active. Quelques fabriques se sont créées en province (à Tabriz par exemple), mais la plupart sont installées à Téhéran : Daru Paksh, la plus ancienne, Abidi, Tolid Daru, Jaber Ebn Hayan, Chimi Daru, etc. Elles produisent des médicaments à leur marque mais aussi des génériques. Si les molécules sont de bonne qualité, les excipients sont montrés du doigt.

Aujourd’hui, l’Iran exporte en Arménie, Irak, Pakistan, Turquie… Toutes sortes de médicaments, génériques et princeps, doivent cependant être importées des Etats-Unis, d’Inde, du Canada, de France, d’Espagne ou de Chine. « Les gens préfèrent les produits étrangers, qu’ils estiment plus efficaces, même s’ils doivent payer plus cher. C’est aussi une question d’image et parfois d’emballage », informe Shoreh Sharvin. Tous les produits importés présentent une étiquette collée sur la boîte indiquant l’autorisation gouvernementale d’importation, y compris pour les produits parapharmaceutiques.

Le 27 août, Journée de la pharmacie !

De son vrai nom Abu Bakr Mohammad Ibn Zakaria Al-Razi, Razi est un savant perse (865-925) ayant contribué à la pratique de la médecine, de l’alchimie et de la philosophie, notamment par ses écrits mais aussi pour avoir inventé des onguents au mercure et développé des outils tels que le mortier, les spatules, les fioles… Il aurait également isolé l’acide sulfurique et l’éthanol dont il a initié l’utilisation médicale. Depuis, son anniversaire est célébré tous les 27 août en Iran lors de la Journée de la pharmacie.

Shideh Moulis, de l’Iran à l’Hérault

D’origine iranienne, Shideh est depuis une vingtaine d’années adjointe à Montpellier. Elle fait partie d’une famille de quatre enfants qui ont choisi le même métier. Trois ont suivi leurs études de pharmacie dans la capitale languedocienne et exercent en France, la quatrième a suivi le même cursus à Téhéran où elle travaille. « En Iran, le niveau d’étude est supérieur à certains pays d’Europe. Le statut est très respecté et les patients appellent leur pharmacien « Docteur ». Le titulaire a l’estime de sa profession et de ses clients, et même les plus machos s’écrasent devant une pharmacienne ! Ils sont très humbles devant un diplôme », s’amuse Shideh. Elle note aussi la sévérité des inspections en Iran. « Ici, je n’ai jamais vu un inspecteur en 15 ans, alors qu’en Iran les contrôles sont fréquents. Les amendes sont très lourdes en cas d’absence. Un pharmacien préfère fermer sa boutique et mettre un mot sur la porte, même pour une heure ou deux, s’il n’y a pas d’assistant pour prendre le relais. »

Pas de différence salariale entre hommes et femmes

Dans ce pays, le doctorat en pharmacie donne un tel grade qu’il installe une vraie distance entre un pharmacien assistant et un préparateur, notamment en termes de salaire. Pas de différence de salaire, en revanche, entre hommes et femmes dans ce milieu (à la différence des administrations par exemple). Mais, contrairement à la France où le pharmacien est très sollicité pour du conseil, en Iran c’est plutôt au médecin que se réfèrent les patients. Shideh pointe aussi des efforts à faire en Iran sur la qualité des génériques dont il faudrait améliorer les excipients et les additifs (nombreux effets secondaires), et la nécessité pour les pharmaciens iraniens de mieux s’organiser pour défendre leur profession.