Pénuries de médicaments : la durée des ruptures a plus que doublé depuis 2022

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Pénuries de médicaments : la durée des ruptures a plus que doublé depuis 2022

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Publié le 20 juin 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Malgré la baisse du nombre de signalements, les tensions s’installent dans le temps : la durée moyenne des ruptures d’approvisionnement a bondi de 100 à plus de 220 jours en deux ans. Une évolution préoccupante, selon l’ANSM, qui plaide pour une montée en puissance de ses moyens d’action, sans pouvoir contraignant sur la transparence industrielle.

Le constat posé par Catherine Paugam-Burtz est aussi limpide qu’inquiétant : la durée moyenne d’une rupture ou d’un risque de rupture de médicament est passée d’environ 100 jours en 2022 à 220-230 jours en 2024. Soit une multiplication par plus de deux en seulement deux ans.

Dans le même temps, le nombre de signalements a reculé, passant de 4 925 en 2023 à 3 825 en 2024, selon les chiffres préliminaires publiés en mars. L’ANSM appelle à « la plus grande vigilance » sur cette évolution quantitative trompeuse : la baisse apparente du volume cache une aggravation qualitative des tensions d’approvisionnement. Autrement dit, on manque moins souvent, mais on manque plus longtemps.

Une surveillance renforcée, mais encore lacunaire

Côté régulation, l’ANSM dit poursuivre les inspections sur les stocks de sécurité, les plans de gestion de pénurie, et les obligations déclaratives des laboratoires. En 2024, huit laboratoires ont été sanctionnés pour non-respect de leurs obligations de stock, un record selon France Assos Santé.

Mais les capacités de contrôle de l’Agence restent contraintes. « L’ANSM ne peut pas contrôler tout le monde, tout le temps », a reconnu sa directrice, qui évoque des progrès techniques (numérisation, priorisation) mais encore une insuffisance de moyens. En 2024, l’Agence a obtenu sept ETP supplémentaires, mais Catherine Paugam-Burtz estime que cela reste modeste au regard de l’ampleur des missions.

Un dialogue mensuel inter-administrations… et un espoir côté préparations

L’ANSM participe au comité d’anticipation des pénuries, réunissant mensuellement la DGS, la DSS et le CEPS. Parmi les chantiers en cours figure l’activation de dérogations facilitant le recours aux préparations magistrales en officine lorsque les spécialités font défaut.

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Du côté hospitalier, l’Agence s’appuie encore largement sur les remontées du terrain par les pharmaciens hospitaliers. Elle n’a pas de visibilité directe sur les PUI et souhaite que l’outil DP-Ruptures encore sous-utilisé devienne la référence pour centraliser les alertes et fluidifier les échanges.

Amoxicilline pédiatrique : une vigilance maintenue pour l’hiver

L’approvisionnement en amoxicilline, produit phare du plan hivernal, ne suscite pas d’alarme immédiate. « Nous avons des échanges de qualité et des outils de pilotage précis », assure la directrice de l’ANSM. Mais les formes pédiatriques restent à risque, en raison de volumes de production réduits et peu attractifs économiquement pour les industriels. Le plan hivernal sera reconduit pour une troisième saison.

Faut-il produire sous contrôle public ?

Interrogée sur la piste d’une production publique de médicaments, évoquée fin 2024 avant sa nomination, Catherine Paugam-Burtz réaffirme son intérêt pour la constitution d’un réseau de façonniers, à activer en cas de rupture grave. Cette production serait encadrée par l’État, sans nécessairement être portée directement par lui. Une orientation qui rejoint les réflexions sur la relocalisation industrielle et la sécurisation des chaînes de fabrication.

Vers une écoproduction plus responsable ?

En parallèle de la lutte contre les pénuries, l’ANSM développe des actions dans le cadre de sa politique RSE. Elle soutient les industriels souhaitant s’engager dans l’écoconception ou l’écoproduction, et travaille sur l’allongement possible des durées de péremption, en lien avec les données de stabilité réelle.

Une étude de l’UFC-Que Choisir, publiée en 2024, révélait que 8 médicaments sur 10 à base de paracétamol ou d’ibuprofène conservaient plus de 90 % de leur principe actif plusieurs années après leur date de péremption. Une piste prometteuse pour limiter le gaspillage sans compromettre la qualité pharmaceutique.

Analyse : vers une régulation sans contrainte ?

Ce que révèle cette intervention de la directrice de l’ANSM, c’est une montée en responsabilité réglementaire sans capacité de coercition pleine. L’Agence formule des recommandations, émet des sanctions ponctuelles, mais ne peut contraindre les industriels à déclarer ce qu’ils ne savent pas. En clair : la transparence reste largement volontaire.

Dans ce contexte, les officinaux se trouvent pris dans une asymétrie d’information structurelle. Pas sûr que le renforcement des dispositifs numériques, des coopérations territoriales et des dérogations de préparation suffira à imposer une transparence systémique sans moyens accrus pour l’ANSM.

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