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À quelle échéance les MNU seront-ils réinjectés dans le circuit officinal ?
La Caisse nationale de l’Assurance maladie (Cnam) propose de faire de la réutilisation des médicaments non ouverts et non périmés une norme pour limiter le gaspillage. Mais l’étude en cours avec l’Agence nationale de sécurité médicament et des produits de santé (ANSM) et Cyclamed montre les limites du dispositif : traçabilité, conditions de conservation, nature des produits. Les pharmaciens, eux, alertent sur les risques.
Dans son rapport annuel Charges et produits 2026, la Cnam entend mobiliser tous les leviers pour contribuer à hauteur de 3,9 Md€ à la maîtrise de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). Parmi eux, une proposition suscite la polémique : faire de la réutilisation des médicaments non ouverts et non périmés une norme. L’objectif : réduire les déchets pharmaceutiques et limiter l’impact environnemental du système de santé.
« De nombreuses boîtes demeurent inutilisées ou sont jetées sans même avoir été ouvertes », justifie la Cnam. Elle affirme travailler avec l’ANSM à une sécurisation du dispositif, avant d’engager des travaux plus opérationnels avec les pharmaciens, les pharmacies à usage intérieur, les industriels et les répartiteurs.
Des données de terrain qui tempèrent l’enthousiasme
Sur le terrain, les données disponibles dressent un tableau plus nuancé. Depuis le début de l’année, la Cnam, l’ANSM et Cyclamed mènent une cartographie des médicaments non utilisés (MNU), collectés en pharmacie. Objectif : caractériser les produits rapportés par les patients, vérifier s’ils sont périmés et observer leur état d’intégrité.
Les premiers résultats sont éloquents : aucun médicament onéreux n’a été retrouvé dans les deux premières vagues analysées. En revanche, laxatifs, sirops et antibiotiques dominent. Or, ces classes posent des problèmes de stabilité et de sécurité en cas de réutilisation.
Des conditions de conservation incompatibles avec le réemploi
Autre alerte, pointée par Laurent Wilmouth, directeur général de Cyclamed : « La majorité des gens rangent leurs médicaments dans la salle de bain, qui est le pire endroit car c’est chaud et humide. » En clair : aucune garantie de conservation ne peut être assurée pour des boîtes rendues, même non ouvertes. L’ex-président de Cyclamed, Thierry Moreau-Desfarges, renchérit : « Il n’est pas question de réutiliser ces médicaments, la traçabilité n’existe pas, les conditionnements sont incomplets et nous demandons déjà aux patients de jeter boîtes et notices. »
Le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot, avait d’ailleurs anticipé le sujet en avril : « L’idée même d’une réutilisation en officine est saugrenue, au regard des exigences sanitaires et réglementaires », avait-il averti.
Un volume de déchets en baisse constante
Selon Cyclamed, le gisement total de MNU en 2024 s’élevait à 9 960 tonnes, dont 7 795 tonnes collectées, soit un taux de retour de 77 %. Ce volume diminue depuis 2021, grâce à une meilleure adaptation des conditionnements et à des prescriptions plus ciblées.
Plus de 8 Français sur 10 déclarent rapporter leurs médicaments non utilisés au moins une fois par an. Parmi ceux qui ne le font pas, 12 % les jettent à la poubelle, 5 % les conservent, et 1 % les donnent.
DM, logiciels et carbone : la stratégie multifacette de la Cnam
Au-delà des médicaments, l’Assurance maladie mise aussi sur le réemploi des dispositifs médicaux (DM). Selon ses estimations, 30 à 40 % des aides techniques (déambulateurs, loupes, béquilles…) seraient jetées après usage, représentant plus de 50 000 tonnes de déchets évitables. Un décret de mars 2025 a ouvert le remboursement des DM reconditionnés, amorçant une structuration de la filière.
Par ailleurs, la Cnam prévoit d’intégrer des données d’impact environnemental dans les outils d’aide à la prescription, notamment via des scores carbone pour les médicaments et les transports associés aux soins.
Réutiliser ou rationaliser ? Le dilemme reste entier
Si la Cnam entend « faire la preuve que certaines boîtes peuvent réintégrer le circuit », la réalité opérationnelle est bien plus complexe. Sans garanties sur la conservation, sans traçabilité fiable, et sans analyse économique du coût de sécurisation d’un tel dispositif, la piste de la réutilisation semble encore très fragile.
À l’heure où les pharmaciens sont mobilisés pour sécuriser la dispensation, réduire les ruptures et élargir leurs missions cliniques, cette nouvelle « norme » envisagée apparaît, pour beaucoup, comme un signal technocratique déconnecté des réalités de terrain.
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