Préparation de sertraline : les pharmaciens piégés

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Préparation de sertraline : les pharmaciens piégés

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Publié le 15 mai 2025 | modifié le 16 mai 2025
Par Christelle Pangrazzi
Face aux ruptures persistantes de sertraline, l’ANSM a ouvert la voie à des préparations magistrales. Mais le tarif fixé par l’Assurance maladie est jugé économiquement invivable par les représentants des préparatoires, qui refusent de produire. Résultat : des solutions théoriques inapplicables et des officinaux pris au piège entre colère des façonniers et attentes des patients.

Depuis trois semaines, les tensions d’approvisionnement en sertraline,  largement prescrit dans les troubles anxiodépressifs, ont poussé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) à autoriser le remplacement des spécialités industrielles par des préparations magistrales. L’intention était claire : maintenir la continuité des traitements, sans nécessité d’une nouvelle prescription.

Mais le soulagement aura été de courte durée. Ce 14 mai, un arrêté fixant les conditions de prise en charge de ces préparations a paru au Journal officiel. Or, selon les représentants des préparatoires, le tarif proposé ne couvre pas les coûts de production des façonniers. « Ils ont été unanimes à nous dire qu’ils ne produiront pas dans ces conditions », a alerté Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), lors du dernier point d’actualité syndical. « C’est trop faible au regard du coût humain, du risque d’achat de matière première et des charges. »

Une solution en théorie, un accès nul en pratique

Dans les faits, cette impasse tarifaire rend caduque l’ensemble du dispositif. D’autant plus que, pour le moment, les monographies n’ont pas encore été publiées. « On se retrouve avec un tableau de substitution officiel, un arrêté de remboursement… mais personne pour produire. » En clair, les pharmaciens sont autorisés à remplacer une spécialité absente, mais ne peuvent, à l’heure actuelle, ni la fabriquer eux-mêmes ni la faire sous-traiter. Le risque ? « Promettre au patient une solution qu’on ne peut pas délivrer. C’est le pire scénario, notamment dans des contextes psychiatriques où l’observance et la stabilité thérapeutique sont déjà fragiles. »

Des tensions sur d’autres antidépresseurs

La situation de la sertraline n’est pas isolée. La venlafaxine LP est, elle aussi, en rupture dans de nombreux établissements. Comme pour la quetiapine LP avant elle, l’ANSM pourrait publier des tableaux de conversion vers des formes à libération immédiate, nécessitant des adaptations posologiques complexes.

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Ces ruptures en cascade trouvent leur origine dans des défaillances de production. Pour la quetiapine, par exemple, une des deux usines mondiales de principe actif a temporairement cessé ses activités. « Quand un maillon saute, c’est toute la chaîne mondiale qui s’effondre, et la prescription se reporte mécaniquement sur d’autres molécules, analyse Pierre-Olivier Variot. Mais ni les stocks ni les structures économiques ne sont prêts à encaisser ces chocs. »

Le spectre d’une crise durable

Le refus des façonniers de produire à perte soulève une question de fond sur la politique de santé : peut-on encore compter sur les préparations magistrales comme filet de sécurité en cas de rupture ? Pour l’USPO, cette affaire de sertraline pourrait faire jurisprudence. « Si on ne réagit pas, demain ce sont toutes les préparations qui seront menacées », avertit le président du syndicat.

D’ores et déjà, l’USPO appelle les pharmaciens à une extrême prudence : avant de proposer une préparation à base de sertraline, il est impératif de vérifier la faisabilité auprès des façonniers habituels. À défaut, c’est la relation patient qui risque d’en payer le prix.

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