Interventions pharmaceutiques en officine : 25 % du temps dédié à gérer les pénuries

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Interventions pharmaceutiques en officine : 25 % du temps dédié à gérer les pénuries

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Publié le 11 avril 2025
Par Christelle Pangrazzi
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Dans un entretien accordé au Moniteur des pharmacies, Félicia Ferrera, présidente de l’URPS pharmaciens Paca, dévoile les résultats d’une expérimentation inédite de traçabilité des interventions pharmaceutiques. Et alerte : la gestion des ruptures de stock accapare un quart du temps professionnel en officine.

Depuis septembre 2024, l’URPS pharmaciens Paca, sous l’impulsion de sa présidente Félicia Ferrera, mène une expérimentation de traçabilité des interventions pharmaceutiques (IP) à l’officine. Les premiers résultats sont sans appel : sur les 909 IP recensées dans le cadre de cette étude, plus d’un quart sont directement liées à une indisponibilité de médicament. Un constat qui, au-delà des chiffres, soulève une interrogation de fond : qui reconnaît – et valorise – le temps passé à gérer l’imprévisible ?

Félicia Ferrera, également vice-présidente de la Société française de pharmacie clinique (SFPC), décrypte les enjeux systémiques de ce travail quotidien non reconnu.

Pourquoi avoir lancé cette expérimentation de traçabilité des interventions pharmaceutiques ?

L’objectif était triple. D’abord, disposer enfin d’un état des lieux objectif des interventions réalisées à l’officine. Ensuite, anticiper l’arrivée de la e-prescription, qui imposera de documenter précisément tout changement sur une ordonnance – ce que permet la grille ActiP. Enfin, il s’agit d’un enjeu fondamental de visibilité : tant que nous ne traçons pas ce que nous faisons, cela n’existe pas aux yeux des décideurs. Or, aujourd’hui, l’activité pharmaceutique repose encore trop sur de l’oral, du réflexe, du non-dit.

Quelles sont les premières conclusions tirées de cette étude menée dans 78 pharmacies ?

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Sur une semaine, nous avons recueilli 909 interventions (les pharmaciens pouvaient être rémunérés 260 euros pour participer à cette expérimentation NdlR). Deux catégories prédominent : les problèmes de posologie et les ruptures d’approvisionnement. Ce dernier point est massif. Nous avons pu chiffrer que 26 % des IP sont liées à une indisponibilité de médicament. En extrapolant, cela signifie que 25 % du temps de dispensation est dédié à gérer les pénuries. C’est un volume de travail considérable, qui mobilise du temps, des compétences, de la coordination… sans aucune reconnaissance.

Gérer une pénurie, est-ce une mission pharmaceutique au sens strict ?

C’est toute la question. Adapter une posologie ou sécuriser une ordonnance, c’est notre rôle, et c’est inscrit dans le Code de la santé publique. Mais assurer la continuité des soins en situation de pénurie, trouver une alternative, contacter le médecin, rassurer le patient… Ce n’est pas officiellement prévu, ni valorisé. Pourtant, sans cela, le système vacille. Nous sommes un peu les « femmes au foyer du système de santé » : on fait tout pour que ça tienne, mais personne ne le voit.

Quel outil avez-vous utilisé pour structurer cette traçabilité ?

Nous avons utilisé ActIP, conçu par la SFPC. C’est un outil libre, gratuit, déjà éprouvé à l’hôpital. Il permet de qualifier précisément chaque intervention. Dans le secteur hospitalier, il a permis de redéfinir le périmètre d’action du pharmacien. Nous espérons qu’il joue ce même rôle structurant en ville. Cela dit, il reste un point noir : nos logiciels de gestion officinale (LGO) ne permettent pas de tracer automatiquement nos actes. C’est une faiblesse technique qu’il faudra corriger pour intégrer cette traçabilité dans les usages quotidiens.

Quelles suites envisagez-vous pour cette démarche ?

Une deuxième phase est en cours sur tout le mois d’avril. Les pharmaciens volontaires ont jusqu’au 30 mai pour saisir leurs données. À l’automne, une troisième phase analysera les IP sur une journée entière dans les 15 officines les plus actives. L’objectif est de produire un indicateur encore manquant aujourd’hui : le nombre moyen d’IP réalisées chaque jour. Ces données seront publiées dans Le Pharmacien clinicien en janvier 2026, mises à disposition des syndicats, des autorités, de la profession. En tant qu’Union régionale des professionnels de santé (URPS), notre rôle est clair : produire des données robustes pour structurer l’avenir de la pharmacie clinique de ville.

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