Pourquoi une brouille autour du misoprostol hors AMM ?

Réservé aux abonnés
Publié le 6 mai 2013
Par Anne-Gaëlle Harlaut
Mettre en favori

L’ANSM a mis en garde(1) les professionnels de santé sur les risques potentiels liés à l’emploi hors AMM du misoprostol dans « le déclenchement artificiel de l’accouchement et toute autre utilisation gynécologique ». Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a dénoncé(2) l’abus du principe de précaution au détriment de la concertation.

NOTRE EXPERT INTERROGÉ

Philippe Deruelle, gynécologue-obstétricien au CHU de Lille, secrétaire général du CNGOF.

Qu’est-ce que le misoprostol ?

C’est un analogue de la prostaglandine E1. Outre son usage en gastro-entérologie (Cytotec), il présente des propriétés utérotoniques (contractions du myomètre et relâchement du col utérin) utilisées en gynécologie-obstétrique pour faciliter l’ouverture du col utérin.

A-t-il des indications en gynécologie ?

L’interruption volontaire de grossesse (IVG) par méthode médicamenteuse, au plus tard au 49e jour d’aménorrhée, et la préparation du col utérin avant IVG par méthode chirurgicale au premier trimestre sont deux indications avec AMM pour la spécialité orale Gymiso dosée à 200 µg de misoprostol, délivrée en officine uniquement pour « usage professionnel » aux médecins. Le Cytotec, mêmes forme et dosage mais vingt-cinq fois moins cher, est parfois utilisé hors AMM, dans le déclenchement de l’accouchement à partir de 37 semaines d’aménorrhée (SA).

Pourquoi utiliser Cytotec hors AMM alors que d’autres méthodes existent ?

Les méthodes de déclenchement à partir de 37 SA préconisées par la HAS(3) sont le décollement mécanique des membranes, l’hormone ocytocine en perfusion ou les prostaglandines E2 (dinoprostone tampon ou gel vaginal). Les recommandations pour la pratique clinique du CNGOF(4) ajoutent le misoprostol, « moyen efficace et peu onéreux pour déclencher le travail, notamment sur col très défavorable en cas de terme dépassé », par voie orale ou vaginale, à la dose de 25 µg toutes les trois à six heures. En pratique, cela nécessite de reconditionner le Cytotec en doses unitaires à 25 µg.

Pourquoi n’y-a-t-il pas d’AMM ou de RTU dans cette indication ?

La faible « niche » de cette indication en obstétrique ne justifie sans doute pas le développement industriel et financier lié à une demande d’AMM. Une RTU (recommandations temporaires d’utilisation) s’entend en l’absence d’alternative thérapeutique, est temporaire (maximum trois ans) et requiert une implication des industriels pour la mise en place et le financement de la collecte des données relatives au suivi des patients.

Publicité

Les risques avancés par l’ANSM sont-ils propres au misoprostol ?

L’ANSM estime(1) que dans le déclenchement du travail, « le recours à des spécialités non autorisées, quelle que soit la voie d’administration, fait courir des risques graves à la mère et à l’enfant », et mentionne des effets indésirables rapportés avec le Cytotec : la survenue de rupture utérine, d’hémorragies ou d’anomalies du rythme cardiaque fœtal. Pour le CNGOF(2), l’ANSM « enfonce des portes ouvertes », ces risques étant inhérents à toute méthode provoquant des contractions utérines.

Les risques du misoprostol sont-ils mesurés dans cette indication ?

Les recommandations et dosages préconisés pour le Cytotec s’appuient sur des études randomisées. Suite au renforcement de l’encadrement des prescriptions hors AMM en 2011, le CNGOF s’est doté d’une commission hors AMM chargée d’encadrer l’emploi des produits hors AMM, fréquente en obstétrique faute d’études (exemple : l’aspirine dans la prévention de la pré-éclampsie). L’utilisation du Cytotec dans le déclenchement du travail est d’ailleurs probablement peu répandue (aucune enquête n’existe).

Pourquoi une réaction aussi vive des praticiens ?

C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Après la mise en cause des prescriptions de pilules 3G, les menaces de sanctions s’ils orientent vers une PMA à l’étranger, le CNGOF exprime son mécontentement(2) face aux politiques qui brandissent à tout bout de champ le trop fameux principe de précaution et ignorent les recommandations des praticiens sur l’amélioration des conditions du déclenchement du travail.

(1) Les risques potentiels liés à l’utilisation hors AMM du Cytotec (misoprostol) dans le déclenchement de l’accouchement et toute autre utilisation gynécologique, ANSM, 25 février 2013.

(2) Principe de précaution contre concertation, le match inacceptable.

(3) Déclenchement artificiel du travail à partir de 37 semaines d’aménorrhée, HAS 2008.

(4) Grossesse prolongée et terme dépassé, recommandations pour la pratique clinique, Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), 7 décembre 2011.

Repères

→ 13 nov. 2011 : création de l’association de patients Timéo et les autres « pour que soit reconnu le préjudice subi par les victimes du Cytotec utilisé en obstétrique ».

→ 25 fév. 2013 : l’ANSM publie une mise en garde sur les risques potentiels liés à l’emploi hors AMM du misoprostol en gynécologie(1).

→ 26 fév. 2013 : l’association Timéo et les autres lance une pétition demandant « l’interdiction de l’utilisation du Cytotec dans les accouchements à terme sur enfant vivant ».

→ 28 fév. 2013 : le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) publie un billet d’humeur en réponse à la mise en garde de l’ANSM.