Les préparateurs aiment leur métier mais le quittent

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Publié le 23 mai 2022
Par Annabelle Alix
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Le turn-over des préparateurs est une réalité inquiétante puisque 33 % des moins de 29 ans rejoignent ou quittent la branche. Le socio-économiste Stéphane Rapelli émet des hypothèses sur ce désamour du métier et ses remèdes éventuels. La formation et le management en font partie.

« Le préparateur est le couteau suisse de la pharmacie », a annoncé Stéphane Rapelli, précisant que, « dans une TPE(1), la personne couteau suisse est la personne importante ». Lors du salon Pharmagora, en mars (lire Porphyre n° 585, avril 2022), le socio-économiste a présenté son analyse sur les préparateurs en pharmacie, qu’il a définis comme « une invisibilité statistique ». Obtenir des chiffres et des données sur le profil de ces professionnels est difficile, malgré les études régulières de l’Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL). C’est pour cette raison que Patrick Béguin, président de l’Association nationale des préparateurs en pharmacie d’officine (ANPPO), a sollicité Stéphane Rapelli. L’ANPPO a mené deux grandes enquêtes auprès de préparateurs(2) et recueilli plus de 300 témoignages.

Après analyse et recoupement avec d’autres données officielles, déclarées par les entreprises ou provenant d’instituts de recensement(3), Stéphane Rapelli a constaté un turn-over significatif et défini quatre profils de préparateurs. Il a également proposé des pistes pour maintenir l’attractivité du métier, une fois les jeunes en poste.

Des professionnels clés

Le constat est formel : les préparateurs sont des acteurs clés de l’officine. « Alors que le nombre d’actifs en pharmacie a chuté de 3,6 % depuis 2011, celui des préparateurs a diminué deux fois moins vite – il est de 1,7 % – et il est relativement stable, pointe Stéphane Rapelli. C’est parlant, car lorsque le nombre d’actifs régresse dans un secteur, on évite de se délester des professionnels clés ». L’économiste a aussi réussi à estimer le nombre de préparateurs actifs, ce qui est difficile en l’absence de numéro Adeli ou RPPS de ces professionnels : « Apprentis compris, ils sont 70 856 en France et représentent plus de 56 % des salariés de la branche de la pharmacie d’officine ». La population est relativement stable, mais le taux de turn-over, ou de rotation, interpelle.

Chez les préparateurs et apprentis en activité, 16,5 % sont nouveaux dans le métier, mais 14,6 % en ressortiront en cours de carrière. Un tiers des moins de 29 ans rejoignent ou quittent la branche. « Quand le taux de rotation – taux d’entrée et de sortie des salariés – atteint les 15 %, c’est qu’il se passe quelque chose, explique notre expert indépendant. Un taux d’entrée élevé signifie que le métier, la branche ou l’entreprise se développe. Un taux de sortie important est, au contraire, un signe d’alerte. Et chez les préparateurs, le taux de rotation atteint 15,6 % ». Bien qu’il soit moindre que chez les assistants vétérinaires (22 %), par exemple, il n’en reste pas moins critique.

Quatre profils socio-démographiques

Stéphane Rapelli s’est d’abord interrogé sur le profil des préparateurs. « J’ai voulu voir s’il reflétait une population précaire, mais ce n’est pas le cas ». À la demande de l’ANPPO, il a déterminé quatre profils socio-démographiques du préparateur selon des critères d’âge, de résidence : le conjoint mobile, qui représente 62 % des profils, le citadin stabilisé, l’urbain fragile et le jeune apprenant (voir encadré p. 8). « Certes, les jeunes apprenants qui quittent la profession ne représentent que 7 % des préparateurs, mais ce sont les professionnels de demain », souligne-t-il, d’où l’intérêt d’aller chercher des explications à ces départs. Mauvais rapports hiérarchiques, salaires trop bas, manque de perspectives, de bien-être au travail… sont des causes répertoriées, mais qu’en est-il pour les préparateurs ?

Un métier passion qui s’étiole vite

Dans l’esprit du jeune apprenant, le métier de préparateur est un métier « passion ». L’envie de prendre soin de l’autre, de participer à une profession de santé le pousse derrière le comptoir de l’officine. « La pharmacie renvoie aussi l’image d’un certain prestige, ajoute Stéphane Rapelli, surtout auprès des catégories sociales défavorisées ». L’accessibilité de la profession, tant sur le plan financier, grâce à la rémunération de l’alternance, que sur celui des compétences par rapport aux études de médecine, par exemple, est également plébiscitée. « Une fois formés, quand le travail devient effectif, les préparateurs ont une sensation de déclassement, à cause de l’aspect commercial, des objectifs de rentabilité et du management qui commence à ressembler à celui d’une entreprise commerciale à flux tendus ». Loin du métier de santé valorisant et du « prendre soin » qui suscitaient l’attrait. Le client en pharmacie a également changé. « Les patients sont devenus des consommateurs de services de soins. Ils savent ce qu’il leur faut car ils l’ont vu sur Internet. Certains préparateurs sont même confrontés à des comportements violents, qui les découragent car, pour eux, la relation avec le patient est essentielle », rapporte l’expert.

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Une formation et un management à côté

Les enquêtes et les témoignages révèlent aussi une formation au BP trop en décalage avec le métier. « Les préparateurs ont du mal à s’adapter aux nouvelles demandes des clients, car la vente, le merchandising, la micronutrition ou encore la phyto-aromathérapie sont absents de leur formation ».

Côté management, la pharmacie fonctionne selon un schéma traditionnel classique propre aux professions libérales de santé. Un « management libéral à l’ancienne, avec, d’un côté, le “sachant”, qui ne se mélange pas, qui dresse une frontière forte entre ses salariés et lui, et de l’autre, les employés, qui soutiennent le “sachant” dans son activité », explique le socio-économiste. Un schéma dépassé. Épauler le pharmacien dans son activité, ou jouer les petites mains, n’intéresse plus le préparateur. L’ère du paternalisme est révolue. D’autant que préparateur a le sentiment d’être essentiel au fonctionnement de l’officine, voire d’effectuer les mêmes tâches que le pharmacien, la reconnaissance en moins.

Il faut que ça bouge

Le salaire pose problème (voir encadré p. 6), comme le manque de perspectives d’évolution. « Chez les seniors, la variété des tâches permet de le compenser, mais ce n’est pas le cas chez les jeunes, note Stéphane Rapelli. Les nouvelles générations ne peuvent plus rester figées dans un poste, dans une situation. Les jeunes ont besoin que ça bouge. Ils veulent être considérés comme de véritables collaborateurs qui participent à la construction de l’entreprise ».

Ces attentes semblent coller avec les besoins du titulaire, à en croire les objectifs de ventes. Logique, car « les officines sont de plus en plus en concurrence entre elles et avec d’autres structures, comme les supermarchés ou les instituts d’esthétique sur les produits de dermo-cosmétique ».

Lâcher du lest

Chez les jeunes titulaires, certains ont lâché du lest. « Ils ont pris conscience que, sans motivation des salariés, sans cohésion au sein de l’équipe, on n’arrive à rien aujourd’hui ». L’idée est donc d’apprendre à déléguer, de responsabiliser les préparateurs, et d’encourager une démarche un peu plus entrepreneuriale.

Depuis une dizaine d’années, le management participatif a le vent en poupe. « Prendre en compte les observations, les remarques des préparateurs, est un bon début », suggère Stéphane Rapelli. Et de souligner, un brin provocateur : « La pharmacie est une branche qui forme et offre des emplois pérennes mais pas forcément de qualité. Il y a beaucoup à faire au niveau de la reconnaissance. »

Actualiser la formation, moderniser le management en pharmacie et améliorer la reconnaissance au travail, notamment en offrant des perspectives d’évolution, pourraient changer la donne et donner l’envie de rester dans la profession. À la branche de s’emparer désormais de ces questions essentielles, à l’heure où la pénurie commence à peser sur ses entreprises.

(1) Une très petite entreprise emploie moins de dix salariés.

(2) Association nationale des préparateurs en pharmacie d’officine (ANPPO), recueil de 300 témoignages du 14 au 20 janvier 2022 ; ANPPO, enquêtes en ligne réalisées en novembre et décembre 2020, 985 répondants.

(3) Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL), Baromètres salariés, 2022 ; Déclaration annuelle des données sociales unifiée (DADS), 2011 à 2019 ; Institut national des statistiques et des études économiques (Insee), Données de recensement de la population, 2011 à 2019.

Un salaire plus faible qu’ailleurs

Le salaire médian des préparateurs s’avère plus faible que celui de l’ensemble des professions intermédiaires (professions paramédicales, professionnels de l’action sociale, etc.), dans lesquelles ils sont inclus : 1 833 euros net par mois en 2019, contre 1 950 euros pour un temps plein, travaillé sur toute l’année en 2019.

Le salaire médian est également un peu plus faible que celui des Français (1 940 euros net par mois).

Chiffres clés

→ 91,7 % des préparateurs sont des femmes, contre 51 % dans l’ensemble des salariés du privé.

→ L’âge médian dans la profession est de 37 ans.

→ Taux de CDI : 83,4 %, soit 8 % de plus que l’ensemble des salariés du privé.

→ Taux de temps plein : 73,9 %.

→ Les temps partiels sont majoritairement négociés.